Tribune

Manifestation gilets jaunes arc de triomphe
« Cinq questions pour un quinquennat qui devra trouver les solutions aux « difficultés structurelles antérieures au Covid-19 (qui) sont toujours là et ont même souvent été aggravées par la pandémie »

Michel MONIER & Hervé CHAPRON
Respectivement anciens directeurs généraux adjoints de l’Unédic et de Pôle emploi et auteurs de Penser le social : 5 questions pour 2022

L’échéance approche. Mesurée au nombre des candidats l’offre politique illustre le foisonnement d’idées. L’occasion est donc donnée d’adresser 5 questions « sur la chose sociale » aux postulants.

Quand la société est tout entière mobilisée sur une crise sanitaire sans fin, quand le débat est tout entier occupé par la sécurité, l’immigration, l’égalité des chances, l’affaiblissement des fondements mêmes de la République et la défiance à l’égard des Institutions, c’est que quelque chose ne fonctionne plus au plus profond de notre société !

Au printemps 2020 on se félicitait que l’État ait tenu. Mais il avait tenu grâce à la dette qui permettait de déployer tout l’arsenal des aides à l’économie et aux individus. Les mesures de Protection des individus et celles de Protection de l’économie permettaient de passer le choc du confinement. Ce recours massif à l’emprunt venait rappeler ce que l’on feignait d’ignorer et que l’on a déjà oublié : « Au moment du déclenchement de la crise, la France disposait de moins de marges de manœuvre financières que la plupart de ses partenaires européens, avec un niveau de déficit public égal à 3,1 % du PIB et un ratio de dette approchant 100 % du PIB1 ». La crise sanitaire doit donc faire poser une première question, trop longtemps éludée : Le tout État peut-il être la solution pour une Protection sociale ? Peut-on continuer à se satisfaire d’un « toujours plus d’État » financé par l’emprunt dont les interventions sociales colmatent sans jamais pouvoir prévenir ?

Pour préciser, si besoin, cette première question, la deuxième porterait sur le rôle donné à la Protection sociale : peut-elle être le substitut permanent d’une politique économique défaillante ? Peut-on se satisfaire de primes pour l’emploi ou d’aide à l’embauche qui ne permettent pas de remettre en marche l’ascenseur social ou de réduire le préoccupant déficit du commerce extérieur ? Peut-on encore inventer des dispositifs de maintien du pouvoir d’achat dont la récente prime contre l’inflation est l’exemple le plus significatif, sans envisager de « sortir de l’austérité salariale2 ». S’il faut encore enfoncer le clou : peut-on définitivement privilégier une politique de redistribution et s’affranchir d’une vraie politique de développement économique (qui doit prendre en compte les enjeux des transitions énergétique et démographique).

Si quelque chose ne fonctionne plus au plus profond de notre société n’est-ce pas la démocratie sociale ? Les corps intermédiaires sont-ils devenus ennemis de la démocratie représentative ? Dans un État historiquement centralisateur, qui ne veut et ne sait pas décentraliser, les acteurs économiques et sociaux sont aujourd’hui tenus loin de la conception et l’élaboration des politiques publiques. On sait comment leurs négociations sont « cadrées », on sait le soupçon qui plane sur leur capacité à gérer.

Alors, la démocratie sociale est-elle un enfant illégitime de la Démocratie ? Un enfant obscur (un bâtard ?) que l’on doit définitivement oublier ? Il faudrait l’oublier, le rejeter définitivement parce qu’il coûte cher. L’impératif de la soutenabilité budgétaire, qu’il faut toujours affirmer face à … l’insoutenable légèreté des Finances publiques, fait toujours regarder prioritairement vers les dépenses sociales. C’est là un vieux réflexe, celui de la recherche de la victime expiatoire. Pour les dénoncer vraiment, il faut impérativement identifier des coupables. Les coupables faciles sont donc les Partenaires sociaux, quitte à oublier que quand ils sont absents de la scène, voir l’épisode des Gilets jaunes, non seulement la dépense publique s’affole mais la rue devient l’agora de la cité. Le débat se fera donc, en sortie de crise sur la gestion de la dette Covid. On la cantonne, elle n’est pas « d’État », elle est sociale et une solution sortirait du chapeau : il faut fondre dans les lois de Finances, celles du financement de la Sécurité sociale et tout ce qui est « financement social ». Voilà la quatrième question : le déficit public va-t-il sonner l’hallali des Partenaires sociaux ?

Le nécessaire « quoi qu’il en coûte » a fait remiser, pour la durée du temps de crise, la référence aux principes, jamais vraiment respectés, de bonne gestion publique. La guerre, car il s’agissait d’une guerre, a toujours fait recourir à l’emprunt ! On ne peut pas suspecter que l’urgence de la situation a fait donner un autre sens aux mots que celui qu’ils ont : « il est des biens et des services qui doivent être placés hors des lois du marché3 ». Le pognon de dingue devenait nécessaire, ne peut-il pas devenir investissement social ? C’est là la cinquième question.

Cinq questions pour un quinquennat qui devra trouver les solutions aux « difficultés structurelles antérieures au Covid-19 (qui) sont toujours là et ont même souvent été aggravées par la pandémie4 » et prendre aussi « certaines mesures impopulaires (qui) doivent s’inscrire, pour être acceptées, dans une approche globale, un ensemble plus large de mesures qui prennent en compte les effets distributifs, les représentations des citoyens et la question de la confiance5 ». À n’en pas douter, la richesse de l’offre politique permet d’apporter les réponses à ces 5 questions !

1 La Cour des comptes, rapport « Une stratégie des Finances publiques pour la sortie de crise » – juin 2021.

2 Patrick Artus « 40 ans d’austérité salariale- Comment en sortir ? » – Odile Jacob – avril 2020.

3 Adresse aux Français du Président de la République, 12 mars 2020.

4 In « Les grands défis économiques » – Rapport de la commission présidée par Olivier Blanchard et Jean Tirole – juin 2021.

5 O. Blanchard, J. Tirole.