Tribune

« Qui ne préférerait pas être en bonne santé plutôt que d’être bien soigné quand cela est possible ? »

François Krabansky
Médecin spécialiste de santé publique

Un décrochage de l’état de santé de la France qui s’est accentué au cours des dernières années

La France n’est plus un pays à la pointe de la santé. Ce constat peut être difficile à entendre, mais doit être accepté pour envisager de redevenir le pays ayant l’un des meilleurs systèmes de santé. Une précision est nécessaire, nous parlons bien ici de la santé et non uniquement des soins. En effet, dans ce domaine, la France reste une référence bien que les grandes avancées médicales du siècle dernier se font plus rares. Cette maîtrise et cet investissement en faveur des soins sont à la fois sa force et sa plus grande faiblesse. Notre système de santé se focalise depuis des décennies sur les aspects curatifs de la santé et en particulier les soins de pointes, ceux qui sont prodigués à l’hôpital. Certes, ce modèle hospitalier, alliant pratiques, formations et recherches avancées, a été le fleuron de notre modèle depuis 1958, lors des grandes réformes de l’hôpital et la création des CHU. Ce modèle permet toujours de soigner les maladies graves et complexes et de maintenir une des meilleures espérances de vie au monde. Cependant, les enjeux en matière de santé ont évolué depuis, sans que notre pays ait repensé son approche pour améliorer la santé. La preuve est que, malgré une très bonne espérance de vie (la France est 2e de l’OCDE après le Japon avec une espérance de vie à 65 ans de 21,5 ans pour une moyenne des pays de l’OCDE de 19,5 ans)1, l’espérance de vie en bonne santé de la France, c’est-à-dire sans incapacité, est à la traîne (la France est 10e des pays de l’OCDE avec une espérance de vie en bonne santé de 10,3 ans où la Suède, première en a 16,31). S’ajoute à ce décrochage de l’espérance de vie en bonne santé, des inégalités tant sociales que territoriales qui se creusent ou à défaut se maintiennent. Les personnes ayant les conditions socio-économiques les plus précaires et celles dans les territoires les plus isolés ont, en moyenne, une espérance de vie plus courte.

L’origine du décrochage de la France est le retard d’investissement en prévention et promotion de la santé dans un contexte d’augmentation des maladies chroniques et du vieillissement de la population. Une évolution qui est elle-même due à la performance du système de soins qui permet de maintenir longtemps en vie, mais sans pour autant toujours guérir les maladies. En négligeant la prévention et la promotion de la santé, il n’a pas été possible de réduire la survenue de maladies évitables ou d’en diminuer la gravité. On peut prendre l’exemple des cancers et des maladies cardio-vasculaires à très fort impact sur la santé qui peuvent être évités ou être moins graves en ayant des comportements favorables à la santé ou en étant détectés précocement. Cet investissement dans la promotion de la santé et la prévention, les pays ayant la meilleure espérance de vie en bonne santé comme la Suède, l’Islande ou la Norvège l’ont fait depuis plusieurs années déjà.

Renverser la tendance en mettant la promotion de la santé et la prévention au cœur des politiques publiques en santé

Tout d’abord, rappelons que la prévention est la mise en place d’actions permettant d’éviter les maladies ou d’en limiter leur gravité en adoptant des comportements favorables à la santé, en détectant les maladies de façon précoce ou encore d’en limiter l’impact en optimisant la prise en charge. La promotion de la santé est une discipline qui peut aisément intégrer la prévention. De façon globale, elle vise à permettre à chacun d’être autonome vis-à-vis de sa santé, que ce soit en maîtrisant les comportements favorables à la santé ou en étant capable de faire face à des événements de santé. Par exemple, savoir s’il est nécessaire de consulter ou comment s’automédiquer en fonction des symptômes identifiés ou ressentis.

En promotion de la santé, la place des déterminants de santé, incluant les environnements physique, social et économique, mais également les comportements individuels, est centrale. Les environnements physiques, sociaux et économiques ont un impact de 60 % sur l’état de santé quand celui du système de soins est seulement de 25 %. Investir la promotion de la santé incluant la prévention, c’est donc viser un impact de 60 % sur la santé alors qu’aujourd’hui l’essentiel des préoccupations porte sur le système de soins avec un impact ne dépassant pas 25 %. Bien entendu, cela ne veut pas dire qu’il faut abandonner l’idée d’une amélioration de notre système de soins ! Il y aura toujours besoin de soigner les maladies et les blessures. Donc la médecine ambulatoire et hospitalière trouvera toujours leur raison d’être. Il est même à prévoir que les acteurs du soin retrouveront plus de sens dans leur pratique si l’on améliore la promotion de la santé. Les consultations concerneraient alors des situations qui n’auront pu être évitées par la prévention ou prises en charge de façon autonome par les citoyens. Les acteurs du soin auraient à se concentrer sur les prises en charge de maladies plus graves ou plus complexes qui sont le cœur de la médecine curative, qui permet de guérir les patients, de sauver des vies. Pour autant, cela n’exclut pas la participation essentielle des acteurs du soin dans la prévention et la promotion de la santé, notamment en matière d’éducation, de dépistage et de vaccination qui ont également du sens dans la pratique médicale.

Investir dans la promotion de la santé et la prévention, ce n’est pas seulement mettre des moyens financiers ou humains, c’est aussi qu’elles deviennent une réelle préoccupation tant des pouvoirs publics que des acteurs de santé qu’ils soient nationaux ou dans les territoires. Quand on parle d’acteurs de santé, il ne s’agit donc plus uniquement des acteurs du soin, mais de tout acteur pouvant avoir un impact sur la santé donc agissant sur les environnements physiques, sociaux et économiques ou sur les comportements.

La santé dans toutes les politiques et le développement du concept One Health, les bases pour développer la promotion de la santé et renforcer la prévention en France

Afin de pouvoir agir sur tous les environnements ayant un impact sur la santé, mais aussi sur les comportements, il faut fédérer les acteurs agissant sur différents milieux. En priorité, le milieu scolaire, celui du travail et le milieu de vie sont concernés. L’Education nationale, les entreprises, le monde du travail et les collectivités territoriales ont un rôle primordial à jouer dans cette évolution. Pour que ces acteurs puissent jouer pleinement ce rôle, ils doivent bénéficier d’une politique qui lie leur activité aux enjeux de santé. On imagine assez bien comment la santé peut être un enjeu de l’éducation, du travail, du sport, de l’économie, de l’écologie, de l’agriculture et de l’alimentation sans que ce lien soit aujourd’hui clairement pris en compte dans la déclinaison de leurs politiques. Les politiques locales concernant l’urbanisme, l’aménagement du territoire ou encore les politiques sociales et environnementales ont également un impact conséquent sur la santé. Il ne serait donc pas suffisant de décliner une politique nationale qui ne peut être qu’un inducteur. Ces acteurs locaux doivent se saisir des enjeux de santé et avoir une autonomie suffisante pour les adapter aux particularités de leurs territoires. C’est en cela qu’il est nécessaire de mettre la santé dans toutes les politiques.

À cela s’ajoute l’impact sur la santé du lien entre les différents environnements, la santé animale et la santé humaine. Ce lien est la définition du concept dit « One Health ». Dans une approche globale de la santé, on ne peut plus se contenter de prendre en charge la santé des humains si l’on veut avoir une réelle amélioration de l’état de santé. Il est nécessaire d’agir sur les différents environnements et les comportements avec la promotion de la santé et la santé dans toutes les politiques, mais aussi dans cette approche One Health, d’y inclure la santé animale et l’approche curative. L’enjeu est de taille. Il implique d’investir rapidement et fortement dans des compétences en santé publique dans tous les secteurs concernés et de partager bien plus largement les enjeux de santé. Ils ne doivent plus être réservés aux acteurs du soin mais bien à tous les acteurs pouvant avoir un impact sur la santé tant au niveau national que local. Alors seulement nous pourrons envisager de retrouver un système de santé complet et performant, permettant à tous de profiter d’une vie plus longue et surtout, en meilleure santé. Qui ne préférerait pas être en bonne santé plutôt que d’être bien soigné quand cela est possible ?

1 Espérance de vie et espérance de vie en bonne santé — OCDE — 2017