Tribune
Félix Faucon
Enseignant (économie de la santé) à Sciences Po Paris
En France, l’empowerment du patient est assez souvent pris dans un sens littéral : la prise de pouvoir par le patient sur les décisions relatives à sa prise en charge, alors que sa traduction est plus proche de la notion d’émancipation, d’autonomisation, donc de responsabilisation. En effet, en 1995, Feste et Anderson publient un article fondateur1 qui différencie clairement la compliance de l’empowerment. Ils insistent, d’une part, sur la responsabilité qui découle2 de cette liberté et, d’autre part, sur la réalisation d’un processus éducatif qui assiste le patient pour le rendre capable d’exercer ce pouvoir.
L’effet de ciseaux entre une épidémie d’affections chroniques que traduit l’inflation du nombre d’ALD (affections de longue durée) contributeur majeur à la croissance des dépenses d’assurance maladie en France, et une démographie médicale au mieux stagnante, met sous tension l’ensemble d’un système de santé jusqu’alors épargné par l’allongement des files d’attente. Or, les modèles productivistes ont atteint les limites du supportable pour les professionnels de santé, comme en témoignent la crise de l’hôpital public ou celle des vocations pour l’exercice libéral.
Il devient indispensable de mieux mobiliser la valeur ajoutée latente des patients, alors que toute pression régulatrice exercée sur la demande de soins constitue un tabou, en France. Il convient donc d’aller bien plus loin que la démocratie sanitaire issue de la loi de 20023 : la liberté de choisir (son médecin, son traitement, etc.) ne suffit plus, le patient doit aussi agir, devenir l’un des acteurs de sa prise en charge. Encore faut-il qu’il le fasse de façon éclairée, pertinente et efficace.
Or, aussi intéressantes et utiles soient-elles, les initiatives consacrant (y compris par des diplômes universitaires) le patient devenu expert par l’expérience, ou même l’éducation thérapeutique, ne peuvent pas répondre au besoin adressé par une masse de patients qui se comptent par millions.
En revanche, la santé numérique et, plus précisément, les applications dédiées aux pathologies chroniques, permettent de mobiliser le gisement de valeur que constituent des patients devenus coauteurs de leur prise en charge.
« Mon espace santé » doit bientôt déployer une plateforme sur laquelle seront disponibles les solutions numériques fiables et sûres, validées par la Haute Autorité de santé. Mais l’adoption de ces applications par les patients ne va pas de soi, même si la situation évolue rapidement. Selon le baromètre du numérique réalisé par le Credoc en 2021, 84 % de la population étaient équipés d’un smartphone et 23 % disposaient d’un objet connecté à la santé (11 % en 2019).
Un nouveau réflexe devra donc être développé par les médecins : prescrire via « Mon espace santé » l’usage d’une application pertinente permettant de bien informer le patient, si nécessaire de capter et analyser ses constantes physiques, de répondre à un premier niveau de questions, de préconiser les conduites à adopter au regard de situations rencontrées en vie réelle, et d’indiquer quand solliciter l’avis d’un professionnel de santé voire d’organiser la prise de rendez-vous si nécessaire.
La modélisation des parcours de soins devrait également intégrer l’identification des applications utiles pour les patients, non seulement pour leur conseiller la bonne observance des traitements et la réalisation des activités (mobilité, nutrition, etc.) facteurs de réussite de la stratégie thérapeutique adoptée, mais encore pour renforcer et instrumenter leur autonomie et élargir leur capacité de décision.
Au-delà de la performance du système de soins et de l’amélioration de sa soutenabilité, cet enjeu comporte aussi un volet économique.
Si la France compte des fleurons dans le domaine de l’industrie pharmaceutique, elle est quasi inexistante pour ce qui concerne les équipements médicaux. Il suffit pour s’en convaincre de lire les marques des instruments présents sur les plateaux techniques hospitaliers : elles sont principalement japonaises, allemandes, américaines ou hollandaises. Or, la e-santé constitue un nouveau marché en croissance très rapide : déjà 20 milliards d’euros à l’échelle de l’UE en 2018.
La conjugaison de l’excellence médicale française et du savoir-faire national de niveau mondial dans celui de la conception des logiciels (y compris l’intelligence artificielle) constitue un gage de qualité. Le potentiel de ces atouts de compétitivité devrait être concrétisé au moyen d’appels à projet, comme ceux pratiqués au niveau européen4, mettant l’accent sur la M-santé (ou e-santé mobile, i.e. les applications installées sur les smartphones).
La performance globale du système de santé français serait alors portée par la qualité des produits garantie par la HAS, la confiance des prescripteurs et la satisfaction des utilisateurs (si ergonomie et facilité d’utilisation sont présentes au rendez-vous).
1. Feste C, Anderson RM. Empowerment: from philosophy to practice. Patient Educ Couns. 1995 Sep;26(1-3):139-44. doi: 10.1016/0738-3991(95)00730-n. PMID: 7494713.
2. “The empowerment philosophy is based on the premise that human beings have the capacity to make choices and are responsible for the consequences of their choices. Empowerment is defined as an educational process designed to help patients develop the knowledge, skills, attitudes, and degree of self-awareness necessary to effectively assume responsibility for their health-related decisions.”
3. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
4. Par exemple, EIT Health depuis 2015, ou plus récemment le Projet important d’intérêt européen commun (PIIEC) dans le secteur de la santé signé en mars 2022 par 16 pays de l’UE dont la France.
Source : Les nouveaux chemins de la performance en santé – CRAPS et ANAP