Tribune

« Les partenaires sociaux, […] semblent avoir abandonné le champ global de la gestion paritaire pour ne livrer que des combats, parcellaires, en réaction »

Michel Monier
Ancien Directeur Général adjoint de l’Unédic et membre du think tank CRAPS

Agirc-Arrco : le piège n’est encore pas refermé… quelle stratégie pour le paritarisme ?

Le ministre délégué en charge des comptes publics l’a dit1, le gouvernement a décidé « à ce stade » de ne pas déposer d’amendement au PLFSS 2024, pour opérer une ponction sur les caisses de l’Agirc-Arrco. Le ministre ajoutait que les partenaires sociaux ont « le temps ouvert par la navette parlementaire » pour « définir un cofinancement des minima de pension des salariés, ou d’autres dispositifs de solidarité, à partir de 2024 ».

Dans le même temps, la loi pour le plein emploi prévoit le financement du nouvel établissement public France Travail par une réallocation d’une partie des excédents de l’Unédic ainsi « détournés » du remboursement de sa dette.

C’est sur ces deux fronts que l’Exécutif continue d’avancer. Le cas de l’Agirc-Arrco et celui de l’Unedic sont, aujourd’hui, différents : depuis 2019, l’Unedic n’est plus un régime d’assurance sociale mais un régime de solidarité financé pour partie par la CSG mais, majoritairement, par les cotisations sociales-employeurs. Les cas sont différents mais l’Unedic ressemble fort au modèle que l’Exécutif cherche à appliquer à l’Agirc-Arrco.

Le piège n’est pas encore refermé sur l’Agirc-Arrco, quelle stratégie pour les partenaires sociaux …

Qu’il s’agisse de la loi de financement de la Sécurité sociale ou de la loi pour le plein emploi (!) l’État parle d’une seule voix, celle des comptes publics, à laquelle il apporte la touche morale de la solidarité. Les partenaires sociaux, eux, en sont encore à la polyphonie et parlent fort de l’Agirc-Arrco d’un côté, et plus faiblement de l’Unedic de l’autre. Sont-ils incapables de parler d’une seule voix : celle du paritarisme ?

L’invitation faite par le ministre aux partenaires sociaux de « définir un cofinancement des minima de pension des salariés, ou d’autres dispositifs de solidarité, à partir de 2024 » arrive tard, ils ont déjà répondu : la solidarité n’est pas, pour eux, une morale de circonstance : les retraites complémentaires et l’indemnisation du chômage y participent déjà.

Ne voit-on pas que l’invitation faite par le ministre des comptes publics ruine l’argument d’une réforme qui devait sauver le régime par répartition. En demandant aux partenaires sociaux de financer la solidarité il faut voir que la réforme dite « Borne » ne sauve pas le régime par répartition. Demander aujourd’hui aux partenaires sociaux de « définir un cofinancement des minima de pension des salariés, ou d’autres dispositifs de solidarité » c’est dire que cette réforme sape le système par répartition. À l’instar de ce qui s’est passé pour l’Unédic il s’agissait de faire financer encore plus la solidarité par les cotisations sociales et transformer une assurance retraite contributive en un régime de solidarité. Le ministre des comptes publics a mis le pied dans la porte !

Le sujet n’est pas simplement budgétaire et comptable : il s’inscrit dans le lent, mais déterminé, mouvement de détricotage des assurances sociales au bénéfice d’un système universel de solidarité. Les cotisations sociales sont substituées à l’impôt.

Le système est rodé avec les prestations sous plafond de ressources, avec l’Unedic ne finance pas seulement l’indemnisation du chômage mais, depuis 2008, les politiques publiques de l’emploi via l’établissement public Pôle emploi, bientôt plus encore avec France travail, avec les déremboursements de la sécurité sociale transférés sur les mutuelles, avec la contribution de la branche AT-MP à la branche maladie du régime général, avec…

… oser un en même temps paritaire pour démêler assurances sociales et solidarité.

Les partenaires sociaux sauront-ils, dans leurs discussions avec l’Exécutif, sortir de leurs silos et, eux aussi, jouer un en même temps pour, d’une seule voix paritaire, parler en même temps des retraites complémentaires et de l’indemnisation du chômage. À défendre l’indépendance du régime des retraites complémentaires du privé d’un côté et tenter de sauver ce qu’il reste de paritaire à l’Unedic les partenaires sociaux ne se donnent pas les moyens de dire combien les cotisations sociales, constitutives de droits individuels, participent déjà à la solidarité nationale. Ils ne disent pas que la solidarité ne doit être financée par le travail, dont on sait dire le coût, mais par l’impôt.

Il manque aux partenaires sociaux d’oser parler paritairement, il manque aux partenaires sociaux, trop souvent suspectés de corporatisme, d’oser dire celui du secteur public (dont les régimes de retraite complémentaire, eux aussi en situation excédentaire, ne sont pas appelés à un effort de solidarité du public vers les petites retraites du privé). 

Les partenaires sociaux, habitués peut-être aux coups de boutoirs étatiques semblent avoir abandonné le champ global de la gestion paritaire pour ne livrer que des combats, parcellaires, en réaction. « Le temps ouvert par la navette parlementaire » ne sera pas suffisant pour qu’ils élaborent une stratégie de réponse globale. Ce qu’il reste aujourd’hui de régime assuranciel financé par des cotisations constitutives de droits fait poser une question : jusqu’où l’Exécutif veut-il socialiser le système assuranciel au nom de la solidarité qu’il refuse de financer par l’impôt ? Les partenaires sociaux sauront-ils la poser pour démêler assurances sociales et solidarité et redonner son sens à la gestion paritaire ?

1. Source AEF- 24 octobre 2023.