Tribune
Par
Luis Godinho
Vice-Président du Syndicat des audioprothésistes,
Vice-Président des Libéraux de santé,
Vice-Président du Centre national des professions de santé
Le déficit auditif représente un enjeu majeur de santé publique en France, avec une prévalence qui ne cesse de croître, touchant 7 millions de personnes aujourd’hui, un chiffre attendu à 8 millions en 2030. Ce phénomène, comparable en effectifs à l’obésité chez l’adulte, met en lumière la nécessité impérieuse d’une approche proactive. En effet, comme souligné dans des études publiées par The Lancet, l’impact du déficit auditif sur la qualité de vie est profond, engendrant isolement, troubles mentaux, dépression, chutes, déclin cognitif et perte d’autonomie. Ces conséquences, affectant directement la santé mentale, la locomotion et la cognition, trois des six « capacités intrinsèques » évaluées par le programme « ICOPE » de l’OMS, soulignent l’urgence d’interventions préventives efficaces.
Un essai contrôlé randomisé publié par The Lancet en 20231 confirme l’efficacité de l’appareillage auditif dans la réduction du déclin cognitif chez les personnes âgées à risque, avec une diminution de 48 % sur trois ans de la perte des capacités de réflexion et de mémoire, symptomatiques du déclin cognitif. Cette donnée scientifiquement validée appuie l’idée que l’investissement dans les aides auditives est non seulement un impératif sanitaire, mais offre également un retour sur investissement exceptionnel, identifié par l’OMS comme étant de 37 dollars par dollar investi dans les pays à revenus élevés2.
La prise en charge du déficit auditif, bien au-delà d’une simple prescription d’aides auditives, nécessite une approche globale et personnalisée, où la satisfaction des patients se révèle comme un facteur déterminant de l’observance thérapeutique et donc de l’efficacité de l’appareillage. Cette satisfaction, profondément opérateur-dépendante, repose sur le savoir-faire et l’implication de l’audioprothésiste dans l’adaptation et le suivi des appareils auditifs. Une étude sociologique de Pierru et Juven en 20183 souligne l’importance cruciale de la relation entre le patient et l’audioprothésiste, mettant en évidence que « l’appareil auditif n’est pas autosuffisant ».
En outre, le rôle de l’audioprothésiste et son interaction avec le patient sont clarifiés dans un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS)4 qui rappelle que si le diagnostic initial de la perte d’audition est de la compétence du médecin ORL, le choix, l’adaptation et le réglage précis des aides auditives relèvent de l’expertise spécifique de l’audioprothésiste. Ce professionnel, par sa connaissance approfondie des dispositifs disponibles et sa capacité à ajuster l’appareillage aux besoins uniques de chaque individu dans son environnement sonore particulier, joue un rôle indispensable dans le succès du traitement.
L’analyse de l’Autorité de la concurrence de 20165 confirme la valeur ajoutée créée par les audioprothésistes, qui ne se limitent pas à la vente d’un produit, mais fournissent des prestations de santé dans la durée. Une régulation accrue et une formation continue des professionnels apparaissent donc comme des leviers essentiels pour assurer une prise en charge optimale des déficiences auditives, alignée sur les besoins et attentes des patients, pour qui l’audition joue un rôle vital dans leur qualité de vie et leur intégration sociale.
L’asymétrie d’information entre le patient, souvent démuni face à l’évaluation de ses propres besoins et de la qualité des soins fournis, et l’audioprothésiste, justifie la régulation économiquement motivée de cette profession, comme l’évoque l’Inspection générale des finances dans son rapport sur les professions réglementées.
Pourtant, la mise en œuvre de la réforme du 100 % santé en audiologie, bien qu’accueillie positivement pour avoir amélioré l’accès financier aux aides auditives, est questionnée pour son manque de suivi réglementaire. Avant la réforme, la régulation du secteur se faisait par l’important reste à charge, 1 000 euros par oreille, rappelons-le. Ce manque de régulation post-réforme a entraîné une augmentation des fraudes et des pratiques commerciales trompeuses, appelant à une régulation plus stricte de la profession. À cette fin, le Syndicat des audioprothésistes appelle à lier conventionnellement les remboursements de l’Assurance maladie à l’audioprothésiste exécutant l’appareillage et non à l’établissement employeur, à la création d’un décret de compétences spécifiant les actes réservés aux audioprothésistes, à l’installation d’une instance de gestion du tableau des audioprothésistes et de règles de bonnes pratiques, à la dérogation à l’interdiction générale de publicité des dispositifs médicaux dont font l’objet les aides auditives…
Pour faire face à l’augmentation attendue des personnes en perte d’autonomie, il est également impératif d’agir dès l’âge de 45-50 ans en promouvant le dépistage du déficit auditif, une mesure susceptible de prévenir jusqu’à 20 % des cas évitables de démence, selon une commission du Lancet 6. L’élaboration d’une stratégie nationale pluriannuelle sur l’audition, intégrée à la stratégie nationale de santé et au plan national de santé publique, est cruciale pour une prise en charge globale et efficace du déficit auditif. Elle visera à améliorer significativement la qualité de vie des personnes concernées et à contrer les effets délétères pour la santé publique et pour son financement, du déficit auditif, un handicap encore trop méconnu et sous-estimé7.
Sources :
1. Frank R. Lin, et al. Étude « Hearing intervention versus health education control to reduce cognitive decline in older adults with hearing loss in the USA (ACHIEVE): a multicentre, randomised controlled trial ». The Lancet, 402. Septembre 2023.
2. David Tordrup, et al. Étude « Global return on investment and cost-effectiveness of WHO’s HEAR interventions for hearing loss: a modelling study ». The Lancet Global health, 10. Janvier 2022.
3. Pierre-André Juven, Frédéric Pierru. Rapport « Sociotechnique de la presbyacousie. Enquête ethnographique auprès d’audioprothésistes et de personnes appareillées ». HAL. Mars 2018.
4. Philippe Blanchard, Hélène Strohl-Maffesoli et Bruno Vincent. Rapport « Evaluation de la prise en charge des aides techniques pour les personnes âgées dépendantes et les personnes handicapées ». Inspection Générale des Affaires Sociales. Avril 2023.
5. Autorité de la concurrence. Avis n° 16-A-24 du 14 décembre 2016 relatif au fonctionnement de la concurrence dans le secteur des audioprothèses. Décembre 2016.
6. Syndicat des audioprothésistes. Communiqué de presse « Prévenir la démence : l’utilisation d’aides auditives permettrait de prévenir 20 % des cas évitables (étude du Lancet) ». Septembre 2020.
7. Juliette Bloch, Bertrand Gagnière et Cécile Brouard. Rapport « Personnes sourdes ou malentendantes : un handicap méconnu, une population vulnérable ». Bulletin épidémiologique Hebdomadaire, 42-43. Décembre 2015.