Interview
Étienne Tichit
Corporate Vice-Président et Directeur Général de Novo Nordisk France
Quel est l’apport économique et social de l’Alliance des entreprises franco-danoises en France ?
ÉTIENNE TICHIT : Détenues par des fondations, les entreprises membres de l’Alliance franco-danoise de santé (ALK, Coloplast, LEO Pharma, Lundbeck et Novo Nordisk) représentent à elles cinq 1,8 milliard d’euros de chiffre d’affaires cumulé en France en 2019 dont 490 millions d’euros d’exports. Ces 10 dernières années, elles ont investi plus de 400 millions d’euros en France, notamment dans leurs six sites de production. L’étude que nous avons confié au BIPE-BDO permet d’aller plus loin : elle montre que nous avons collectivement contribué à hauteur de 850 millions d’euros au PIB français en 2019 dans notre champ de responsabilité directe, et à 1,2 milliard d’euros en prenant en compte l’effet de diffusion à l’ensemble de l’économie, soit 0,5 % du PIB de la France. Nos entreprises ont également un effet d’entraînement en matière d’emploi dans un secteur de pointe, puisqu’elles génèrent 3 500 emplois directs en équivalent temps plein, dont 58 % dans la production. Cela représente 7 600 emplois en comptant nos fournisseurs directs, les effets induits sur la consommation comme l’emploi public et 11 500 emplois en considérant l’effet de diffusion en cascade à l’ensemble de l’économie.
L’Alliance des entreprises franco-danoises de santé met son expérience au service de la relance. Comment cela se concrétise-t-il ?
É.T. : Nous voulons contribuer à une filière de santé forte, notamment dans le cadre du Conseil Stratégique des Industries de Santé qui se tiendra en 2021. Notre participation à cette ambition se concrétise sous la forme d’une triple contribution, inspirée de notre héritage franco-danois : économique, sanitaire et environnementale. Nous recherchons la performance économique pour investir dans l’innovation, en particulier la recherche clinique. Cette performance nous permet d’assurer, aux côtés des professionnels et des patients, notre mission de santé au service des maladies chroniques qui constituent les plus grands enjeux en matière de prise en charge. Enfin nous nous efforçons d’opérer en harmonie avec notre écosystème, avec un plan ambitieux de réduire à zéro notre impact carbone dans la prochaine décennie et établir une économie circulaire.
L’intention de poursuivre nos investissements sur le sol français est maintenue plus que jamais. Il est difficilement envisageable de relever le défi de la productivité, en revanche nous pouvons faire de la France un leader dans le domaine des biotechnologies et la bio production en plaçant nos efforts sur les compétences et surtout produire différemment, par exemple plus vert, favoriser les circuits courts, plus faire appel aux technologies et savoir-faire locaux. Cependant, pour investir, nous avons besoin non seulement de renforcer la flexibilité en matière d’emploi et surtout de bénéficier d’une prévisibilité et stabilité budgétaire pour conduire des investissements durables.
Le contexte sanitaire interroge la capacité de la France et plus largement de l’Europe à conserver sa souveraineté sanitaire. L’Alliance des entreprises franco-danoises peut-elle y contribuer ?
É.T. : Nous y contribuons déjà ! Les produits et solutions des cinq membres de l’Alliance servent plus de 2 millions de patients en France et des millions d’autres dans le monde, dans des domaines aussi variés que le diabète, l’allergie, les maladies de peau, du cerveau, les troubles de la continence, etc. Une clé pour assurer la continuité d’activité, y compris en temps de crise sanitaire est la maîtrise de la chaîne allant de la R&D jusqu’au patient. C’est aussi le choix de nos maisons mères détenues par des fondations de concentrer leurs efforts sur des pathologies majeures, plutôt que d’être hyper-diversifiées. Cette recherche d’excellence et de leadership dans des domaines bien définis a conduit nos groupes à miser sur l’outil industriel français, à y pérenniser des sites dans des territoires parfois en difficulté économique. Cette volonté permet de maintenir et de continuer à développer un savoir-faire dont la crise a révélé l’importance vitale, pour produire des traitements indispensables reconnus comme médicaments d’intérêt thérapeutique majeur et préserver la qualité de vie de millions de personnes.
L’Alliance valorise le modèle de fondation actionnaire, peu développé en France mais très présent au Danemark. En quoi cette approche singulière est-elle un facteur d’efficience, de stabilité et d’efficacité ?
É.T. : L’actionnariat d’une fondation est un garant d’indépendance dans les choix stratégiques, de la R&D à la commercialisation, et de cohérence par la spécialisation des entreprises de l’Alliance principalement sur des pathologies chroniques. La fondation actionnaire favorise de plus l’investissement long terme, elle permet de développer un outil industriel très performant, y compris sur le plan environnemental, et un ancrage dans la vie des territoires. Loin d’un positionnement opportuniste, notre leadership s’exerce souvent dans une coopération public et privé pour faire face aux grands défis de Santé et sociétaux.
Craignez-vous une baisse d’attractivité industrielle, liée aux choix politiques et à la crise sanitaire en France ?
É.T. : Il est vrai que les projets d’investissements restent complexes à mettre en œuvre. Il faudrait que le principe de « guichet unique » se développe, comme au Danemark, où l’Etat évalue la contribution d’un industriel de façon plus large. Favoriser la recherche, le développement clinique, la production verte, l’accès aux traitements innovants pour les pathologies chroniques, avoir une vision à long terme de cette contribution sur le parcours de soins et mesurer les résultats devraient rentrer dans l’équation développée et évaluée avec ce « guichet unique ». La crise sanitaire devrait être l’opportunité de reconnaître l’importance stratégique de la filière santé et d’agir sur les leviers qui lui permettront d’être encore plus performante à l’avenir. Aider à la relocalisation est une bonne chose. Mais n’oublions pas que la relance passe aussi par la capacité d’entreprises déjà fortement implantées comme les nôtres à se projeter. Subventionner la production ne suffit pas, il faut aussi travailler sur d’autres facteurs clés d’attractivité, comme les délais d’accès aux patients, trois fois plus élevés en France qu’au Danemark. En tant qu’Alliance franco-danoise, nous voulons contribuer au partage d’expérience sur ces questions.