Tribune

Par
Dr Charlotte Garret
Directrice médicale du Lab innovation santé de Santéclair
L’essor du numérique est en train de changer radicalement les paradigmes du système de santé. De nombreux avantages apparaissent à la lumière des nouvelles technologies et outre les freins liés à la fracture numérique, le digital pourrait permettre de penser la santé et la prévention différemment, plus efficacement.
Le numérique devrait permettre une bien meilleure prévention et santé populationnelle. L’analyse de données et l’intelligence artificielle permettent aujourd’hui d’affiner les risques individuels de développer une maladie. Le Mammorisk® en est un exemple : avec un questionnaire médical pour préciser les facteurs de risque, une mammographie et une analyse salivaire, fini les mammographies systématiques pour toutes les femmes de plus de 50 ans ! Le suivi sera modulé dès 40 ans en fonction du risque individuel. Il en va de même avec les risques cardio-vasculaires, le diabète, les cancers, la santé mentale…
Le numérique et l’analyse des données permettront aussi d’évaluer l’efficacité des mesures de prévention mises en place et de les adapter en fonction. Si on prend l’exemple de l’évaluation du risque cardio-vasculaire par une application santé, le suivi des données en vie réelle permettrait ensuite de valider cette évaluation du risque et si besoin de l’adapter. Les messages et les parcours qui permettent à l’individu d’aller au bout de son dépistage, de sa prise en charge préventive puis thérapeutique le cas échéant pourront également être évalués et ajustés. Avant d’atteindre cet idéal de prévention personnalisée permettant un dépistage précoce, un accompagnement adapté et un usage démocratisé, il reste de nombreux obstacles à franchir.
Le foisonnement des acteurs et l’interopérabilité des SI : les acteurs autour de la prévention en santé sont multiples et bien que les données soient de plus en plus nombreuses, l’interopérabilité des systèmes informatiques reste un frein majeur. Les données récupérées par l’Assurance maladie du SNDS sont une formidable source d’information, tout comme les données médicales des dossiers informatisés des patients dans les établissements de santé et chez les professionnels de santé mais aussi toutes les données récupérées par les applications santé. La multiplicité des acteurs, des sources de données et leur manque d’interopérabilité restent un frein majeur à l’exploitation que l’on pourrait en faire.
La protection des données personnelles : la réglementation européenne et encore plus particulièrement française est très stricte concernant la protection des données. C’est une véritable sécurité pour les individus et il faut garder des règles strictes sur leur utilisation. Cependant, la lourdeur des démarches et les délais incompressibles pour avoir accès aux données freinent leur exploitation. L’évaluation des solutions digitales : les difficultés sont nombreuses pour effectuer des travaux de recherche clinique et avoir une évaluation de leur efficacité. Les applications santé pullulent dans les champs de la prévention primaire, du bien-être, de la santé mentale et pourtant, il y a très peu d’études publiées sur leur efficacité, particulièrement en vie réelle. Nous manquons cruellement de données sur les tunnels de conversion, la rétention et les usages, mais surtout sur les impacts en termes de bénéfices pour l’individu et la société : impact sur la qualité de vie, impact sur la morbi-mortalité, impact médico-économique.
L’éthique : les innovations et l’intelligence artificielle ont ouvert de multiples questions éthiques. Si nous pouvons à l’avenir prédire les risques propres à chaque individu quels pourraient être les impacts psychologiques mais aussi sociétaux de savoir, par exemple, que nous avons un risque majeur de devenir dément à 60 ans ? La prédiction pour les maladies évitables où le dépistage et la prise en charge précoces peuvent changer le pronostic est plus facilement acceptable bien que cela n’écarte pas la question. Quid des maladies mortelles et pour lesquelles nous n’avons pas de traitement curatif ? Quels pourraient être les impacts sur les risques assurantiels, l’emploi, la prévoyance, la santé mentale… ?
Nous pouvons nous inspirer de ce qui fonctionne dans d’autres pays et développer des solutions concrètes afin de permettre de relever ces défis liés à la prévention et à l’accompagnement des individus grâce au digital. Le foisonnement des acteurs et l’interopérabilité des SI : favoriser le recensement des solutions digitales en santé sur Mon espace santé, et donner de la visibilité sur les évaluations faites de ces solutions. Généraliser l’interopérabilité des SI, des logiciels métiers des professionnels de santé mais également des applications/solutions digitales qui voudraient, par exemple, s’inscrire dans Mon espace santé.
La protection des données : Une étude récente menée par Ipsos pour Bristol Myers Squibb (BMS) France et l’EDHEC Business School montre que 42 % des Français sont inquiets pour leurs données de santé. Il faut rassurer les Français avec une meilleure transparence de l’usage qui est fait de leurs données tout en simplifiant l’accès aux données anonymisées.
Les difficultés à effectuer des travaux de recherche clinique et à avoir des données en vie réelle : afin de pouvoir mener plus d’études en vie réelle, on pourrait simplifier les démarches auprès de la CNIL et du CESREES et accélérer les accès surtout en cas d’anonymisation. Les entreprises et start-up en santé qui mettent à disposition des outils digitaux devraient avoir des obligations de publication de données en vie réelle, particulièrement quand elles relèvent du dispositif médical et d’un recensement sur Mon espace santé.
L’éthique : au-delà de suivre les multiples recommandations publiées par différentes organisations (OMS / ANS / CNPEN / DNS…) on pourrait envisager à l’instar de la CNIL un comité responsable de l’évaluation des considérations éthiques sur ces sujets de santé numériques dans lesquels l’IA va prendre une place prépondérante. Attention cependant à ce que cette autorisation éthique n’alourdisse pas le processus actuel et les délais déjà très longs.