Patrice Corbin
Membre du Comité Directeur du CRAPS, Avocat et Conseiller Maître Honoraire à la Cour des comptes
Comme très souvent dans l’histoire la guerre n’éclatât pas d’un seul coup : il y eut des signes avant-coureurs que tout esprit un tant soit peu délié aurait dû décrypter. En tout cas, autour des années 2020, personne ne pouvait plus nier qu’il y avait en France un problème de pénurie de certains médicaments, essentiellement des antibiotiques, des antalgiques, des corticoïdes soit au total près de 600 produits.
La Ministre en charge de la Santé à cette époque fit ce que tout Ministre fait dans ce genre de situation, elle décidât d’un « plan », pas plus mauvais qu’un autre mais malheureusement inadapté à une situation que les pouvoirs publics n’avaient pas su anticiper. En effet, en 30 ans, l’industrie pharmaceutique s’était profondément transformée, devenant de concentration en concentration une machine à cash-flow extrêmement rentable et ne s’intéressant plus vraiment à ce qu’elle fabriquait c’est-à-dire des biens essentiels à la vie des hommes. De plus et toujours dans le but d’améliorer ses marges, cette industrie s’était presque totalement délocalisée au profit (si l’on peut dire) de pays du tiers monde : 80% des matières actives à usage pharmaceutique étaient fabriquées en dehors de l’Union Européenne. Ajoutons à cela l’élection de Trump qui était vent debout contre la situation qui prévalait à l’époque où le prix des médicaments était 5 à 10 fois plus élevé aux États-Unis qu’en Europe ce qui selon lui était très dommageable aux intérêts des grandes firmes pharmaceutiques américaines. Cette situation était simplement en Europe (et en particulier en France) le fruit d’un mode intelligent de fixation des prix sur la base de négociations particulières au moment de la mise sur le marché d’un nouveau produit.
Bref tout cela était inacceptable pour des firmes pharmaceutiques qui se trouvaient en position de force : elles décidèrent en 2021 de sortir du bois et déclarèrent qu’elles ne fourniraient plus certains pays européens (et en particulier la France) si les prix n’étaient pas considérablement revus à la hausse.
A la suite des élections législatives de 2022 le gouvernement de l’époque cédât au chantage : les firmes étaient libres de fixer elles-mêmes le prix de leurs produits ; l’Assurance maladie déterminait quant à elle ses propres prix, la différence étant prise en charge par les Mutuelles qui, très rapidement, ne purent suivre l’escalade des prix et donc in fine par le patient.
L’égal accès de tous aux soins était clairement remis en question ; aux élections suivantes le gouvernement fut battu ; le gouvernement suivant décidât alors de mettre en place une politique toute différente. Désormais les firmes pharmaceutiques qui souhaitaient voir leurs produits admis au remboursement en France devaient répondre à des appels d’offre par grandes catégories thérapeutiques ; appels d’offre où étaient pris en compte l’efficacité reconnue du produit et bien sûr le prix. Évidemment le corps médical protestât car là où il disposait d’une gamme variée de produits il n’en disposait plus que d’un ou deux mais les patients eux se réjouirent du nouveau système. Les firmes pharmaceutiques quant à elles rentrèrent toutes dans le rang « jurant mais un peu tard que l’on ne les y reprendrait plus » car à tout prendre le système existant en 2019 ne leur était pas si défavorable. Quant à l’Union Européenne, elle décidât enfin qu’aucun principe actif ne pourrait être commercialisé en Europe s’il n’était fabriqué en son sein où dans un pays appliquant les mêmes règles de protection écologiques.