Tribune

DE MÊME, NE PROFITONS PAS DE CETTE RÉFORME NÉCESSAIRE POUR REJETER LE MONDE ACTUEL DE FINANCEMENT DES HÔPITAUX PUBLICS

Jean-Pierre Dewitte

ANCIEN DIRECTEUR GÉNÉRAL DU CHU DE POITIERS ET ANCIEN PRÉSIDENT DE LA CONFÉRENCE NATIONALE DES DIRECTEURS GÉNÉRAUX DE CHU

Deux mois de crise sanitaire aigüe, ont confirmé la place primordiale de l’hôpital public français et tout particulièrement des centres hospitaliers universitaires.

En tout premier lieu, il convient de rendre hommage à tous les personnels de l’hôpital public, parmi lesquels les soignants les plus visibles, mais aussi toutes les autres professions sans lesquelles l’hôpital ne fonctionnerait pas. Plus de cent métiers coexistent quotidiennement dans un CHU.

À l’heure des remerciements, il ne faudra oublier personne. 

L’hôpital public a fait preuve d’une extrême adaptabilité, et de l’agilité de ses organisations. Ses personnels ont montré un dévouement et un dépassement de soi exemplaires. Cette réussite collective n’a été possible que grâce aux fondations solides et stables de nos hôpitaux.

À l’heure où certains rêvent d’un nouveau monde et d’une révolution de l’hôpital public, réaffirmons nos valeurs qui ont fait la force et le succès de notre régime de Protection sociale et de l’hôpital public. Soyons les garants des valeurs humanistes qui depuis le XVIIIe siècle nous animent : valeurs de solidarité, d’égalité, de neutralité, qui donnent tout leur sens à l’action des professionnels.

L’hôpital public fonctionne globalement bien, il a fait preuve de son adaptabilité par exemple à travers le développement de la médecine et de la chirurgie ambulatoire, de l’hospitalisation à domicile plébiscitées par les patients qui bénéficient de prises en charge de qualité.

L’objectivité impose de reconnaître qu’avant la crise sanitaire, un malaise gangrénait le monde hospitalier. La succession des années de contraintes budgétaires et normatives a pollué la vie quotidienne des hospitaliers. La qualité légitimement prouvée et recherchée ne pouvait être déployée.

La fermeture des lits, le plafonnement de l’évolution de la masse salariale, le gel des salaires, le retard d’investissements étaient dénoncés par les professionnels, directeurs, médecins, soignants, personnels techniques et administratifs, mais pas entendus. 

À cela, il convient d’ajouter le déficit criant du nombre de médecins, conséquence là encore d’un numérus clausus beaucoup trop bas, la baisse d’attractivité des fonctions infirmières d’où les postes vacants non pourvus, les remplacements partiellement réalisés. La qualité du travail et la qualité de vie au travail n’étant que des incantations sans traductions concrètes.

Oui, il faut améliorer le fonctionnement de l’hôpital public, mais il ne faut pas se tromper de cibles.

Trois actions m’apparaissent prioritaires :

• La première concerne l’augmentation significative des rémunérations de tous les personnels hospitaliers et en premier lieu celles des catégories les plus basses, aides-soignants, agents administratifs, ouvriers… Les rémunérations des infirmières doivent être au moins égales à celles effectives dans les autres pays européens. Il faut assouplir les règles statutaires de recrutement, de rémunération. Comment recruter un ingénieur biomédical, un contrôleur de gestion, un informaticien en respectant les grilles de rémunération statutaires ? Il faut permettre le développement de l’intéressement collectif et individuel. L’attractivité pour l’ensemble des professionnels est à ce prix ;

• Il faut relancer le financement de l’investissement hospitalier. Oui le progrès médical, les nouvelles technologies, les systèmes d’informations, l’équipement des plateaux techniques, la robotique ont un coût. L’architecture aussi doit être libérée de son carcan de normes restrictives, cessons de réduire les capacités et les espaces de travail, d’hébergement, de vie collective. L’hôpital public est aussi une activité économique productrice de richesses ;

• La troisième action, bien décrite par de nombreux observateurs de cette crise concerne la simplification du fonctionnement interne de l’hôpital, sa complexité est rejetée en interne et inexplicable à l’extérieur. Le choc de simplification souvent annoncé n’a jamais franchi le seuil de l’hôpital.

Une juste mesure est à trouver, mais il convient de libérer les initiatives, simplifier les procédures d’achats… D’une façon générale, il faut privilégier le contrôle à postériori, car nous sommes bien conscients que liberté rime avec contrôle dans la gestion des fonds publics. Nos ressources nationales connaitront toujours une limitation.

On ne peut et il ne faut vouloir tout révolutionner en même temps. Il nous faut rester solidaires sur ces trois axes et ne pas commencer ce qu’adorent les Français : la chasse aux sorcières.

Les critiques centrées sur les Directeurs d’ARS pour certains « boucs émissaires de la crise » sont injustifiées et déplacées. N’oublions pas qu’ils sont chargés de la mise en œuvre des politiques publiques dans leur ressort territorial. à leur décharge, la réforme territoriale a engendré la création de superstructures difficilement gérables, qui font disparaître l’esprit de la réforme initiale lors de création des ARH.

Ne critiquons pas non plus les Directeurs d’établissements et leurs équipes de direction qui ont également montré un engagement exemplaire dans cette délicate période. 

Comment laisser dire que cette crise « a permis aux médecins de reprendre le pouvoir à l’hôpital » ? Je suis certain que la gouvernance n’est pas l’enjeu de la réforme annoncée de l’hôpital public. 

Quarante ans de direction et d’hôpital m’ont démontré que les relations quotidiennes envers un directeur et un Président de CME qui est le responsable des médecins, sont excellentes dans la quasi-totalité des établissements. Nul n’imagine diriger efficacement sans cette écoute et ce dialogue permanent. 

Revendiquer et partager le pouvoir n’est possible que si l’on partage la responsabilité administrative et juridique de la fonction. En quoi la codécision serait bénéfique ? à l’inverse, pourquoi ne pas nommer un médecin à la tête d’une institution hospitalière ? Les textes l’autorisent depuis longtemps, mais il semblerait que les candidatures soient absentes.

De même, ne profitons pas de cette réforme nécessaire pour rejeter le monde actuel de financement des hôpitaux publics. Rappelons que le financement à l’activité ne représente que 50 % du financement d’un CHU.

Observons les difficultés des structures restées au budget global ; Les hôpitaux psychiatriques, mal financés et le développement des soins de suite paralysés, alors que leurs créations permettraient de fluidifier le parcours patient.

Après ne sera pas comme avant, l’hôpital public a depuis longtemps besoin d’un traitement de fond et non de remèdes ponctuels successifs.

Nous devons nous interroger sur la gestion statutaire par trop rigide des personnels, sur le statut lui-même de l’hôpital public, sur l’inflation des normes.

Tout en restant sans but lucratif, l’hôpital ne devrait-il pas s’inspirer du modèle des structures d’intérêt collectif…

Dans tous les cas, la gestion de fonds publics nous oblige à la juste dépense et donc à l’efficience pour offrir à chacun de nous un égal accès à des soins de qualité.