IMAGINEZ UN PAYS DANS LEQUEL, IL Y A VINGT ANS, « UNE INSTANCE INDÉPENDANTE ET PLURALISTE D’EXPERTISE ET DE CONCERTATION CHARGÉE D’ANALYSER ET DE SUIVRE LES PERSPECTIVES À MOYEN ET LONG TERME DU SYSTÈME DE RETRAITE » AURAIT ÉTÉ CRÉÉE

PATRICE CORBIN

CONSEILLER MAÎTRE HONORAIRE À LA COUR DES COMPTES

Imaginez un pays dans lequel, il y a vingt ans, « une instance indépendante et pluraliste d’expertise et de concertation chargée d’analyser et de suivre les perspectives à moyen et long terme du système de retraite » aurait été créée. Ce pays disposerait ainsi d’un outil de concertation et de négociation à l’expertise incontestable dans l’hypothèse où un Gouvernement déciderait de faire évoluer son système de retraite.

Cet heureux pays prévoyant c’est la France, l’instance est le « Conseil d’orientation des retraites », le COR. Créé en 2000 et placé auprès du Premier ministre, ses missions ont été définies par la loi. 

• Décrire les perspectives à moyen et long terme des régimes de retraite obligatoires au regard des évolutions économiques, sociales et démographiques ;

• Apprécier les conditions requises pour assurer la viabilité financière à terme de ces régimes ;

• Mener une réflexion sur le financement des régimes de retraite et en suivre l’évolution ;

• Suivre la situation des retraités, en portant une attention particulière aux différences entre les femmes et les hommes ;

• Produire, chaque année avant le 15 juin, un rapport annuel sur les évolutions et perspectives des retraites en France, fondé sur des indicateurs de suivi et de pilotage visant à mesurer l’adéquation du système à ses objectifs ;

• Participer à l’information sur le système de retraite et les effets des réformes conduites pour garantir son financement.

NE PAS UTILISER L’EXPERTISE DONT ON DISPOSE SUR UN SUJET AUSSI COMPLEXE ET DÉLICAT QUE LE SYSTÈME DE UNE RETRAITE EST DOUBLE FAUTE, TECHNIQUE ET POLITIQUE

Le Conseil d’orientation des retraites est exemplaire dans sa composition et ses modes de fonctionnement. Composé de :  8 parlementaires (4 députés, 4 sénateurs) 16 représentants des partenaires sociaux (dont l’UNAPL et la FNSEA), 8 représentants des Administrations (Budget, INSEE, France Stratégie…) et 6 personnalités qualifiées. 

Les méthodes de travail du COR sont également remarquables, il détermine librement son programme annuel de travail et formule ses analyses et ses recommandations dans des rapports qu’il remet au Premier ministre et les communique ensuite à l’Assemblée nationale et au Sénat. Ces rapports sont ensuite rendus publics.

Enfin la qualité de ses travaux n’a jamais été remise en cause. Depuis 20 ans le COR remet chaque année au Premier ministre un rapport sur les perspectives du système de retraite et aborde à chaque fois un point particulier. À titre d’exemple le rapport du COR de 2006 traitait des perspectives en 2020 et 2050 ; celui de 2010 : « Annuités, points ou comptes notionnels ? Options et modalités techniques » ; celui de 2015 : « Les retraités : un état des lieux de leur situation en France » et celui de 2019 « Perspectives des retraites en France à l’horizon 2030 ».

Alors que le pays et le Parlement s’affrontent sur le texte portant sur la réforme des retraites, on ne peut que s’étonner et regretter que cet organisme, par construction lieu d’expertise et de dialogue, ait tout simplement disparu, au profit d’une nouvelle administration créée autour de Monsieur Delevoye par le Gouvernement. 

N’aurait-il pas été de bonne politique, compte tenu des travaux antérieurs, de la légitimité et de la composition du COR de lui confier le soin de rassembler tous les éléments nécessaires pour une telle réforme et de conduire les négociations ? Non content d’avoir délibérément décidé d’ignorer le COR, le Gouvernement a choisi de mettre un terme à son activité, l’un des articles du projet de loi prévoyant sa dissolution. Ne pas utiliser l’expertise dont on dispose sur un sujet aussi complexe et délicat que le système de retraite est une double faute, technique et politique, qui explique, notamment, le sentiment partagé par une large partie de l’opinion, de l’impréparation et de l’amateurisme à l’œuvre dans la réforme en cours.

Le COR ne peut par ailleurs en aucune manière être tenu pour responsable de cette attitude du Gouvernement.

Une hypothèse serait en revanche que c’est justement son expertise qui dérange dans la mesure où elle met à mal l’existence d’une difficulté de financement de notre système de retraite.

Le rapport du COR de 2019 nous dit, en effet, qu’en termes de dépenses la situation est sous contrôle grâce aux mesures prises il y a 30 ans.

À horizon 2030/2050, la part de la richesse nationale consacrée au financement des retraites resterait à peu près stable (environ 13,8 % du PIB) et cela quel que soit le scénario économique. Ce constat rassurant s’explique par deux phénomènes agissant en sens inverse, d’une part la poursuite du vieillissement de la population et donc de la dégradation du rapport entre cotisants et retraités, mais d’autre part une progression de la pension moyenne de l’ensemble des retraités moins rapide que le revenu d’activité moyen (cela ne signifie pas que les retraites vont diminuer en valeur absolue mais que l’écart avec le revenu d’activité va se creuser).

En revanche, la situation est plus compliquée du côté des ressources, et plus particulièrement de la part des ressources du système de retraite provenant du budget de l’État via, soit un certain nombre de régimes spéciaux dont l’état assure l’équilibre, soit en tant qu’employeur.

Ces ressources qui représentaient, en 2018, 27 % du total ne relèvent pas de la logique du financement d’un système de retraite mais de la simple gestion du budget de l’État (évolution du salaire des fonctionnaires et de leur nombre…) sauf qu’à un moment donné ces politiques publiques ont une répercussion sur le système de retraite. Plus les économies sont importantes en matière de rémunération des agents publics,  plus la masse salariale se contracte (et donc avec un effet positif pour le budget de l’État : une moindre dépense) plus le solde global du système de retraite se trouve dégradé et fait apparaitre un déficit que le COR estime, à horizon 2030, entre -0,3 % et -0,7 % du PIB. Il s’agit là d’un déficit très particulier que l’on pourrait presque qualifier de vertueux dans la mesure où il est la contrepartie d’une économie budgétaire.

En temps normal cette prévision de déficit ne soulèverait pas d’inquiétudes particulières mais, dans le contexte d’une réforme annoncée des régimes de retraite, les projections du COR posent avec acuité la question de savoir si les réformes annoncées peuvent être mises en œuvre à coût constant, c’est-à-dire en respectant les grands équilibres dessinés par ces projections : beaucoup en doutent.

À titre d’exemple, la modification évoquée de l’indexation des cotisations retraite sur les salaires et non plus comme actuellement sur les prix aboutirait à un déficit majeur du système de retraite.

La réforme des régimes spéciaux est un autre exemple ; il faut en effet convaincre les agents publics d’accepter une modification de leur système de pension, ce qui aura nécessairement un coût ; il faudrait en effet intégrer les primes des fonctionnaires dans le calcul de leur pension ou augmenter le salaire des enseignants ou trouver des modes de passage d’un mécanisme à un autre qui ne soit pas trop pénalisant pour les intéressés.