Dans ce contexte bien particulier, l’Organisation des Nations Unies succède donc à feu la Société des Nations. Elle chapeautera désormais cet ordre nouveau, adjointe de l’Organisation Internationale du Travail pour tout ce qui touche de près ou de loin aux questions sociales…

Hervé Chapron

1er Vice-Président du CRAPS

Partie 1. 1919 : déjà un nouveau monde ?

Depuis la peste noire du XIVème siècle, jamais tant de millions d’hommes avaient été appelés à mourir. Rien que pour la France, les pertes humaines s’élèvent à 1,4 million de morts, 3 millions de blessés. 700 000 veuves, 750 000 orphelins iront désormais, encadrés des gueules cassées, tous les 11 novembre se recueillir pieusement devant le monument aux morts que chaque village construira à l’identique, en son centre. La liste des morts est infinie. Elle ne s’effacera jamais. Elle est gravée dans le marbre. Les pères et les fils vivants ou morts, miraculés ou mutilés,  sont devenus les héros d’une France exsangue, épuisée mais victorieuse.

« La boucherie » avait été au-delà de ce qui était possible d’imaginer…L’impensable était devenu réalité. L’utilisation des gaz symbolisait désormais la face démoniaque de l’humanité. L’on prenait brutalement conscience que « les civilisations sont mortelles1 ». Le XXème siècle naissait sur un champ de ruines tant physiques que morales et les survivants ne parviendront jamais à se défaire de ce goût de cendres qui nourrira bien d’autres catastrophes ! Le conflit restera à tout jamais dans la mémoire collective comme la Grande Guerre…

Pour l’heure, la situation géopolitique se traduit par le glissement du centre de gravité du monde de l’Europe vers les USA, en d’autres termes la fin aussi progressive qu’inéluctable de l’européanisation du monde a d’ores et déjà commencé, d’abord par une hégémonie économico-financière américaine. Rien de moins que quatre empires se sont écroulés (empires allemand, russe, austro-hongrois et ottoman). L’intégrité territoriale allemande, la naissance de l’Union soviétique, la recomposition des Balkans et quelques velléités de toute nature plus de la part du Japon que de l’Asie en général complètent le nouveau visage de la planète ! Certes, mais l’essentiel est plus complexe !

« Transformer le monde, a dit Karl Marx ; changer la vie, a dit Rimbaud : ces deux mots d’ordre pour nous n’en font qu’un2». Alors, ce sera à n’en pas douter la « der des der ». La paix ! La paix à tout prix ! Oui, la paix pour ne plus revoir l’insupportable… Les mouvements culturels qui traversent les états, chacun faisant fi à sa manière des frontières nouvelles ou anciennes, s’acharnent à détruire cet ordre mathématisé venu du quattrocento par un éclatement de l’espace-temps que le cubisme et le surréalisme conduiront à son extrême. Plus jamais ça, vite un monde nouveau loin de la barbarie, de la détresse, de la douleur !

L’internationalisme, idée nouvelle, séduit le peuple, car il est dans l’imaginaire populaire synonyme de paix. Les élites car il est propice intellectuellement à de nouveaux horizons. Si chacun peut constater qu’Il prend des formes diverses, personnes n’est conscient qu’il emprunte des voies irréconciliables, des modalités dangereuses. Le communisme depuis 1917 n’a plus rien d’une expérience théorique, le pacifisme avec sa part de naïveté, le libéralisme comme solution à tous les maux, le poids moral des anciens combattants sous-tendant un mouvement antiguerre garant de l’efficacité d’une sécurité collective sont autant de courants qui galvanisent les uns et les autres dans une foi païenne de la paix. 

D’ailleurs, pourquoi ne pas y croire ?

Les années folles sont belles car trépidantes. La culture descend de Montmartre à Montparnasse, la Rive gauche naît, le triangle Vavin Raspail Montparnasse est « le nombril du monde4 ». La prospérité est de retour, l’envol de la bourse en témoigne, s’expliquant par une économie dopée par la reconstruction. La prospérité de ces « années folles » semble garantir le maintien d’une paix durable. Oui, c’était effroyable, mais c’est derrière nous !

« Les générations ont, toutes, à peu près la même somme de vitalité et de génie. Malheur à celles que les circonstances contraignent à l’user dès le départ. Elles ne se relèvent plus5… ».

En attendant la paix doit s’organiser ! Elle ne peut s’appréhender que sous l’angle de la pacification. Les diplomates entrent en action. La conférence de Paris prépare le traité de Versailles… On choisit l’entre soi, les vaincus sont exclus de tout, il convient de « presser le citron jusqu’à ce que les pépins craquent6 » ! Le traité de Versailles sera digne d’un triomphe romain !

Côté pacification, les choses vont bon train… Déjà le congrès de Vienne, un siècle plus tôt, avait essayé de mettre en place le concept novateur « de concert européen » reposant sur l’équilibre des forces en présence c’est-à-dire des puissances européennes. Rendre la guerre impossible par une équivalence des potentiels ! Désormais, l’utopie s’étendra au monde… 

Pétris de certitudes, euphoriques et naïfs, les vainqueurs tentent de synthétiser cette vieille idée de « concert des nations » et quelques principes du droit anglo-saxon – émergence des USA oblige ! -. Le Président Wilson à travers ses fameux 14 points, en reprenant le concept de « police des nations » cher au Français Léon Bourgeois parachève les fondements du nouvel ordre mondial. De cette tentative naîtra la Société des Nations, organisation internationale permanente ayant pour vocation à solutionner les conflits entre États par le biais de modalités pacifiques comme l’arbitrage tout en disposant d’un potentiel de sanctions collectives contre les pays récalcitrants… 

Déclinés dans la sphère du travail, les principes fondateurs de la Société des Nations incitent les grandes nations nouvellement industrielles à comprendre qu’il était dans leur intérêt de coopérer pour que les travailleurs aient partout les mêmes conditions de travail et qu’elles puissent ainsi affronter la concurrence sur un pied d’égalité.

Ainsi, l’Organisation Internationale du Travail est fondée dès 1919. S’inscrivant dans le droit fil de l’idée selon laquelle une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale, la nature même de sa gouvernance, ne peut être que consensuelle d’où une organisation tripartite, unique en son genre, dont les organes exécutifs sont composés de représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs7.

Le Préambule de la Constitution de l’Organisation Internationale du Travail est nourri de ces concepts et idées :

• Attendu qu’une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale,

• Attendu qu’il existe des conditions de travail impliquant pour un grand nombre de personnes l’injustice, la misère et les privations, ce qui engendre un tel mécontentement que la paix et l’harmonie universelles sont mises en danger, et attendu qu’il est urgent d’améliorer ces conditions,

• Attendu que la non-adoption par une nation quelconque d’un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d’améliorer le sort des travailleurs dans leurs propres pays.

Et livre, fait rarissime pour ne pas dire unique au sein d’un préambule un certain nombre d’actions, préfiguration d’un programme, destinées à améliorer la situation des travailleurs :

• La réglementation des heures de travail, y compris la fixation d’une durée maximale de la journée et de la semaine de travail,

•Le recrutement de la main-d’œuvre, la lutte contre le chômage, la garantie d’un salaire assurant des conditions d’existence convenables,

•La protection des travailleurs contre les maladies générales ou professionnelles et les accidents résultant du travail,

La protection des enfants, des adolescents et des femmes,

• Les pensions de vieillesse et d’invalidité, la défense des intérêts des travailleurs occupés à l’étranger,

• L’affirmation du principe « à travail égal, salaire égal »,

• L’affirmation du principe de la liberté syndicale,

• L’organisation de l’enseignement professionnel et technique et autres mesures analogues.

Ce que l’on retiendra de ce catalogue, c’est l’étonnante modernité de ces idées qui un siècle plus tard agitent toujours les pays industriels qui peinent à le concrétiser. 

Le Bureau International du Travail (BIT), secrétariat permanent de l’Organisation Internationale du Travail, s’installe à Genève dès l’été 1920. Le Français Albert Thomas en est le premier Directeur… L’utopie va-t-elle devenir réalité ?

La mémoire courte. Deux Français aux responsabilités…et oubliés !

Ainsi 1919 veut plus que tout la paix. La paix universelle, la paix éternelle. Elle ne sera atteinte qu’avec cette utopie d’une gouvernance mondiale qui pourra à n’en pas douter effacer l’apocalypse qui hante toutes les mémoires.

Deux français vont être au cœur de ce mouvement caractéristique du début du XXème siècle.

D’abord Léon Bourgeois (1851-1925). D’une famille modeste et républicaine – ce qui à cette époque n’allait pas de soi – haut fonctionnaire, homme politique, il est une figure marquante de la IIIème République. Président du Conseil, il est le seul à avoir été Président des deux chambres.

Fondateur de la doctrine dite du “solidarisme8”, il considère que “l’Homme naît débiteur de l’association humaine”. Il est donc l’obligé de ses contemporains mais aussi de ses aînés et de ses descendants. Tous les individus ont droit à une éducation, un socle de biens de base pour exister et des assurances contre les principaux risques de la vie. Quelle modernité ! Un “devoir social” est de facto affecté à chacun. Léon Bourgeois, “établit, en même temps que la liberté, l’égalité non des conditions, mais du droit entre les hommes”.

Il sera le premier Président de la Société des Nations et prix Nobel de la paix en 1920.

Ensuite Albert Thomas (1878-1932). Lauréat du Concours général, major de l’école normale, militant syndicaliste et coopérateur, membre de la Fédération nationale des coopératives de consommation, proche du monde ouvrier, il se distingue lors de la Première Guerre mondiale comme un formidable organisateur de la production d’armements et du travail ouvrier en temps de guerre. Il conçoit alors ce qu’il appelle «l’économie collectiv ou « l’économie organisée » : il répartit les commandes de l’État entre les industriels. À ce sujet, il déclare « entre les industriels, hier, c’était la concurrence, parfois la guerre. Aujourd’hui, l’État coordonne l’initiative sans en étouffer aucune ».

Après la guerre, le traité de Versailles donne naissance à l’Organisation Internationale du Travail, avec une première Conférence Internationale du Travail à Washington en novembre 1919, qui réunit pour la première fois dans l’histoire les gouvernements, les patrons et les ouvriers.Albert Thomas en est élu premier Directeur Général du Bureau International du Travail, qui s’installe d’abord à Londres avant de migrer à Genève en 1920.

Albert Thomas impulsera dès le début une forte dynamique à l’Organisation. En quelques années, il crée une institution internationale forte de 400 personnes, avec son propre bâtiment à Genève. Au cours des deux premières années, 16 conventions et 18 recommandations internationales du travail seront adoptées. À partir de 1920, le BIT lance un programme ambitieux de publications, qui comprend le Bulletin officiel, la Revue internationale du Travail (mensuelle) et divers autres périodiques et journaux. Le rôle moteur d’Albert Thomas a contribué à donner du BIT l’image d’une entité débordante d’enthousiasme et d’énergie.

Albert Thomas est également en 1925 l’un des artisans de la fusion entre l’AIPLT – l’Association internationale pour la lutte contre le chômage – et le Comité permanent pour le développement des assurances sociales. L’Association internationale pour le progrès social (AIPS) est ainsi créée. Il sera aussi à l’origine de la création de la section française de l’AIPS.

Partie 2. L’Organisation Internationale du Travail d’aujourd’hui

Philadelphie face au défi permanent de la culture du résultat.

Le constat est sans appel. La « Der des Der » ne l’a pas été, les années folles se sont brisées sur la folie des Hommes, l’île reconstruite n’a pas été une « île heureuse ». Pire ! la récente maîtrise de la scission de l’atome a montré toute son efficacité destructrice et le processus industriel dans son organisation la plus froide, la plus déshumanisée a été le moteur d’un génocide implacable… Le temps des illusions est révolu… Pour combien de temps ?

La société des Nations a très rapidement été atteinte d’impuissance fatale et le concept de gouvernance mondiale est resté au rayon des invendus. L’Organisation Internationale du Travail et son bureau, face à la grande dépression commencée un jeudi noir n’ont pu mettre en œuvre le noble dessein pour lequel ils avaient été créés ! 

Le monde espéré, voulu et promis à toutes et à tous en 1919 est dramatiquement, définitivement anéanti… Mais la nature humaine est ainsi faite qu’en 1945 on recréera avec la même foi, la même ferveur et avec les mêmes illusions ou presque, un monde nouveau… De monde nouveau en monde nouveau, le XXème siècle a été ainsi chahuté !

Pour l’heure, le nouvel ordre économique mondial se fonde, reconstruction oblige, sur un capitalisme libéral rénové sous influence américaine puis, sans coup férir, sous leadership américain. Le système monétaire issu des accords de Brettons-Woods, le Gatt sont autant de créations qui doivent assurer rapidement le rétablissement des échanges commerciaux internationaux de facto sous contrôle américain dans le cadre d’un capitalisme que l’on veut ordonner. Qui pouvait encore penser que le jeu des forces économiques, abandonnées à elles-mêmes, permettrait d’atteindre les objectifs découlant de la justice sociale ? Alors force à la « collaboration la plus complète, dans le domaine de l’économie, afin de garantir l’amélioration de la condition ouvrière, le progrès économique et la sécurité sociale1 ».

Dans ce contexte bien particulier, l’Organisation des Nations Unies succède donc à feu la Société des Nations. Elle chapeautera désormais cet ordre nouveau, adjointe de l’Organisation Internationale du Travail pour tout ce qui touche de près ou de loin aux questions sociales.

Mais était-il raisonnable de recueillir, comme si rien ne s’était passé, un héritage du désormais vieux monde ? Si le traité de Versailles avait confiné, en termes de compétences, l’OIT au strict domaine des conditions de travail prenant soin à travers une charte du travail d’énumérer neuf principes2 guidant ainsi les membres de la SDN, tirant les leçons de la grande dépression qui a démontré que les conditions de travail des travailleurs sont directement dépendantes des résultats économiques d’un pays, les rédacteurs de la déclaration de Philadelphie3  ont élargi le spectre de réflexion et d’intervention de l’Organisation Internationale du Travail aux politiques nationales, économiques et sociales, comme le montre, à travers les principes arrêtés, le cartouche en annexe (p.33).

Est-ce pour autant en ce début de XXIème siècle, 73 ans après, encore suffisant ? N’est-ce pas obsolète face à l’accélération de l’Histoire ?  Peut-on décemment se contenter de déclarations aussi généreuses que générales certes pertinentes mais qui restent au-delà des programmes de développement mis en place, plus proches de l’incantation que d’un potentiel opérationnel. Le monde du travail de 2018 s’est, depuis les années 70, auto-révolutionné tous les 20 ans. L’apparition du chômage de masse, d’une nouvelle pauvreté, la mondialisation et l’informatisation sont autant de phénomènes aussi visibles que non achevés d’un monde en perpétuelle révolution copernicienne.

Quantitativement d’abord. Le travail informel continue à concerner plus de 50% des emplois dans le monde en 2015. La situation de précarité dans laquelle peuvent se trouver les travailleurs informels, les exclut de fait des régimes de protection sociale, lorsqu’ils existent.

La même année, le monde comptait 197,1 millions de chômeurs ce qui représentait 5,8% de la population en âge de travailler, soit une hausse de 27 millions par rapport au niveau du chômage mondial en 2007 soit en à peine huit ans, aux prémices de la crise financière. Pour 2016, l’Organisation Internationale du Travail prévoyait une augmentation d’environ 2,3 millions chômeurs pour atteindre 199,4 millions. Le dernier rapport Emploi et Questions Sociales dans le Monde – tendances 2017 confirme cette estimation4.

Qualitativement ensuite. Les quarante dernières années ont vu le monde se transformer de bancaire en financier, fortement encouragé en cela par l’ultralibéralisme prôné par M. Thatcher ou D. Reagan dès les années 80. Le marché en devenant roi doit prioritairement servir l’actionnaire, la ressource humaine n’est plus qu’une variable d’ajustement ! Si la qualité du produit demeure un critère marketing, si la recherche et développement pérennise l’entreprise, la conquête de nouveaux marchés se gagne autant par la mise en concurrence des législations fiscales et sociales des pays que par les règles classiques. Le dumping social est désormais un vecteur de réussite entrepreneurial, dévastateur de tous principes de justice sociale. « L’insécurité économique des travailleurs et leur exposition au risque sont les moteurs de leur productivité et de leur créativité.5 » Le marché devient une idéologie païenne, le profit son culte… puisque « le développement des télécommunications, des services financiers et des technologies de l’information ont rendu possible la coordination d’une production éclatée à travers le monde ; l’amélioration des infrastructures, de la logistique et des transports a rendu l’acheminement de la production plus rapide et meilleur marché ; la multiplication des accords commerciaux (bi/multilatéraux ou conclus dans le cadre de l’OMC)  ont permis de faciliter les échanges et de réduire leur coût ; l’émergence de certaines grandes puissances économiques ont fait doubler la quantité de main d’œuvre disponible dans le monde.6 ».

Les temps modernes se caractérisent désormais par la fin des rentes de croissance, par un effondrement des capacités industrielles nationales jamais compensées malgré le boom de l’emploi public.7 Dès lors, le profit exige des délocalisations qui entraînent une précarisation…durable du marché du travail. De production, celle du chômage est la plus florissante !

Alors quid de la déclaration de Philadelphie et de ses grands principes ? 

Philadelphie face à « l’Ubérisation » de l’économie… et de l’emploi. L’issue est déjà écrite !

L’expansion hybridante du numérique déstabilise les repères – droit, fiscalité, social, management, culture – « il n’y a plus de règle », la liberté technophile semble finir inéluctablement en prédation sociale.

Les pays industriels voient poindre la fin du salariat, et l’avènement du nouveau prolétariat libéral… «flexibilisé » à souhait, l’entrepreneur pur et parfait. En quelque sorte le triomphe digital de la génération « Point Break » ! La majorité des métiers connus disparaitront d’ici vingt ans et laisseront place à de nouvelles compétences … qui restent à inventer. 

Ce « grand soir » libéral est préparé par quelques opérateurs globaux et hypercapitalisés. Mark Zuckerberg et Éric Schmidt rivalisent d’investissements et de développements technologiques, afin d’être les premiers à connecter l’ensemble de la planète d’ici 2020. Et achever ainsi le nouveau Léviathan d’une « humanité augmentée » : le marché global… c’est-à-dire le marché pur et parfait au creux d’une main certes invisible mais digitale.

Mais les perspectives et finalités en termes d’emploi restent indéterminées.

Si les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) semblent apporter un surcroît d’autonomie aux fonctions qualifiées elles renforcent aussi les sujétions des populations qui ne le sont pas.  Selon une étude Roland Berger de 2015, 3 millions d’emplois pourraient avoir disparu en France d’ici 2025, conséquence directe de la « Révolution numérique ». Deux chercheurs d’Oxford prédisent la disparition de 47% des emplois dans leurs formes actuelles à l’horizon 2030 aux Etats-Unis8.

Le travail « uberisé » deviendrait ainsi une nouvelle modalité d’emploi, a fortiori pour des publics qui n’ont pas accès à l’offre conventionnelle… « La croissance des formes d’emploi atypiques dans le monde est une tendance marquante de ces dernières décennies9. » !

Alors quid de la pertinence en la croyance d’un monde ordonné ?

Dans le cadre de la préparation du futur centenaire de l’Organisation Internationale du Travail, le Directeur général du Bureau International du travail, Guy Ryder, a demandé à ses membres de proposer des recommandations pour renforcer son rôle face aux défis émergents qui traversent de part et d’autre le monde du travail. On trouvera les propositions de la délégation française dans un cartouche annexe (p.36).10 

OIT : Le Tripartisme comme crédo, le dialogue social comme moyen !

L’OIT a pour vocation de promouvoir la les droits de l’Homme et les droits au travail reconnus internationalement. Elle œuvre pour la justice sociale, seule capable d’assurer une paix durable et universelle. 

Unique agence « tripartite » de l’ONU, l’OIT réunit des représentants des gouvernements, employeurs et travailleurs de 187 états Membres pour établir des normes internationales, élaborer des politiques et concevoir des programmes visant à promouvoir le travail décent pour tous les hommes et femmes dans le monde. 

4 objectifs stratégiques sont dévolus à l’OIT :

• Promouvoir et mettre en œuvre les principes et les droits fondamentaux dans la sphère « travail »,

• Accroître les possibilités pour les hommes et les femmes d’obtenir un emploi décent, 

• Etendre le bénéfice et l’efficacité de la Protection sociale pour tous, 

• Renforcer le tripartisme et le dialogue social.

Par essence, l’OIT s’emploie à répondre de manière concrète aux besoins des travailleurs  et des travailleuses dans le monde grâce à des normes du travail, des politiques et des programmes conçus et élaborés conjointement par les gouvernements, les travailleurs et les employeurs. En effet, quelle valeur et quelle pertinence auraient des normes élaborées sans l’accord des gouvernements chargés in fine de les mettre en oeuvre. Ainsi, la structure de l’OIT, au sein de laquelle les syndicats et les organisations patronales participent aux délibérations sur un pied d’égalité avec les gouvernements, incarne le dialogue social opérationnel fondé sur le tripartisme. 

A ce titre, l’OIT veille à ce que les points de vue des partenaires sociaux soient fidèlement reflétés dans les normes du travail, les politiques et les programmes de l’OIT.

Principaux organes de gouvernance de l’OIT

L’OIT mène son action à travers trois organes principaux associant chacun des représentants gouvernementaux, travailleurs et employeurs :

La Conférence internationale du Travail (CIT) détermine les normes internationales du travail et les grandes orientations de l’OIT. Souvent désignée comme le Parlement international du travail, cette Conférence annuelle est aussi un forum de discussions pour les principales questions de travail et les problèmes sociaux.

Le Conseil d’administration est l’organe exécutif de l’OIT ; il se réunit trois fois par an à Genève. Il prend des décisions relatives à la politique de l’OIT et établit le programme et le budget qui sont ensuite soumis pour adoption à la Conférence.

Le Bureau international du Travail (BIT) est le secrétariat permanent de l’Organisation internationale du Travail. Basé à Genève, il sert de quartier général à l’ensemble des activités de l’Organisation qu’il met en œuvre sous le contrôle du Conseil d’administration et sous l’autorité du Directeur Général.

Le Conseil d’administration et le Bureau sont secondés dans leur mission par des commissions tripartites qui couvrent les grands secteurs d’activités. Ils sont également soutenus par des comités d’experts sur des sujets comme la formation professionnelle, la formation à la gestion, la santé et la sécurité au travail, les relations professionnelles, l’éducation ouvrière et les problèmes spécifiques liés aux femmes et jeunes. Des réunions régionales des Etats Membres de l’OIT ont lieu régulièrement afin d’étudier les questions qui concernent particulièrement telle ou telle région. Par ailleurs, l’OIT entretient un réseau de bureaux de pays dans le monde entier.

L’OIT a mis au point divers mécanismes de contrôle qui permettent de suivre, au-delà du moment de leur adoption par la Conférence internationale du Travail et de leur ratification par les États, l’effet donné aux conventions et recommandations en droit et dans la pratique. 

Depuis le début des années 1950, l’OIT assure une coopération technique aux pays de tous les continents et à tous les stades de développement économique. Les projets sont mis en œuvre dans le cadre d’une coopération étroite entre les pays bénéficiaires, les donateurs et l’OIT qui entretient un réseau de bureaux de pays dans le monde entier. La coopération au développement renforce les capacités techniques, organisationnelles et institutionnelles des mandants de l’OIT pour qu’ils puissent mettre en place une politique sociale cohérente et efficace et assurer un développement durable.

Forte d’une cinquantaine d’années d’expérience dans la coopération pour le développement sur tous les continents et à tous les stades de développement, l’OIT gère aujourd’hui plus de 600 projets et programmes dans une centaine de pays, avec l’appui de 120 partenaires pour le développement.

Le programme et budget de l’Organisation sont approuvés tous les deux ans par la Conférence internationale du Travail. Le programme biennal de travail de l’OIT est décliné dans les états Membres, essentiellement par le biais des programmes par pays de promotion du travail décent (PPTD), lesquels sont alignés aux plans nationaux de développement et aux cadres de programmation des Nations Unies.

Les résultats et les réalisations de l’OIT sont financés par le biais de trois principales sources de financement :

• Le budget ordinaire, financé au moyen de contributions statutaires fixées pour les États Membres sur la base du barème des contributions des Nations Unies,

• Le compte supplémentaire du budget ordinaire, financé au moyen des contributions volontaires de base de plusieurs partenaires financiers mettant à disposition des ressources non affectées à des fins spécifiques,

• Les ressources extrabudgétaires destinées à la coopération technique, financées par les contributions volontaires de plus de 100 partenaires financiers, y compris les organismes publics et privés, les institutions financières internationales et autres organismes des Nations Unies, pour des projets spécifiques.

Le programme pour 2018-19 est proposé sur la base d’un budget à croissance nulle de 797 390 000 dollars des Etats-Unis en dollars constants.

Des programmes ambitieux pour un monde meilleur.

Les principes énoncés dès 1919 fondés sur l’idée qu’une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale, ayant aboutis à la création de l’Organisation Internationale du Travail, trouvent leur concrétisation à travers l’élaboration de programmes très ambitieux mis en oeuvre par le Bureau International du Travail.

Lieu commun, certes ! mais d’une réalité aussi dramatique que violente : la mondialisation a transformé une partie du monde, celle des bas salaires et des coûts de production peu élevés en un vaste atelier de production, en fournisseurs dociles au profit de l’autre partie, celle la plus développée au pouvoir d’achat nettement plus confortable.

Agir en consommateur aveugle, c’est être irresponsable au regard des générations à venir ! « Aider le tiers-monde, c’est s’aider soi-même » affirmait François Mitterrand dans la années 80. 

L’organisation Internationale du Travail, conformément à sa mission développe des projets à long terme pour réduire les inégalités de toute sorte à travers Better Work et Vision Zero Fund.

Better Work : un monde meilleur par un travail décent

Plus de 60 millions de travailleurs dont 80% de femmes dans les pays en voie de développement trouvent en l’industrie textile et celle de la chaussure ce qui leur apparaît être le graal, c’est-à-dire un emploi. Mais quel emploi ! Les mauvaises conditions de travail restent un problème fondamental dans ces deux secteurs : nombre d’heures de travail sans fin, dangerosité de l’activité, intimidation des syndicats et basses rémunérations au demeurant octroyées plus que négociées constituent la triste réalité quotidienne de ces secteurs mis sous tension par des multinationales dont la rentabilité financière est l’unique préoccupation. D’où une pression permanente sur les coûts, sur les délais de livraisons au détriment des conditions de travail des ouvriers vivant à l’autre bout du monde, de l’environnement, en d’autres termes de tout respect élémentaire de l’individu et de son cadre de vie. 

Le drame du Rana Plazza au Bangladesh en 2013 faisant plus de 1 100 victimes a mis en lumières, en prenant comme témoin l’opinion publique mondiale, les conséquences dramatiques au plan humain des chaînes d’approvisionnement mondiales11

C’est pourquoi, l’OIT/BIT a lancé le programme Better Work dès 2006 en direction des industries des pays en développement à forte intensité de main-d’œuvre comptant un grand nombre de travailleurs vulnérables. Sa philosophie peut se synthétiser à travers le tryptique : un meilleur travail, une meilleure entreprise, un monde meilleur !

Privilégiant les améliorations durables par des actions à long terme, issu d’un partenariat entre l’Organisation internationale du travail (OIT) et la Société financière internationale (SFI)12, lancé dès août 2006 afin d’améliorer les normes du travail en termes de rémunération, contrats, sécurité, santé au travail et temps de travail, le programme Better Work aide les entreprises à améliorer leurs pratiques sur la base des normes fondamentales du travail de l’OIT et du droit du travail national en développant à la fois des outils mondiaux et des projets locaux pour générer des changements irréversibles tant politiques que comportementaux grâce à des évaluations, à la formation, au dialogue. Les résultats acquis sur le terrain par la participation de tous ne peuvent qu’amener les décideurs aussi bien politiques qu’économiques à promouvoir le travail décent…

Le programme est actif à ce jour dans 1 564 usines employant 2,1 millions de travailleurs dans sept pays13 et trois continents. Quatre états en sont les principaux partenaires : l’Australie (Département des affaires étrangères et du commerce, DFAT), les Pays-Bas (Ministère des affaires étrangères), la Suisse (Secrétariat d’Etat à l’économie, SECO), les États-Unis (Département du travail des États-Unis, USDOL) auxquels viennent s’ajouter les gouvernements locaux, les associations professionnelles, les travailleurs et leurs syndicats représentatifs ainsi que les multinationales concernées.

Quatre phases de mise en œuvre structurent ce programme : l’appropriation au cours de laquelle les processus d’amélioration sont élaborés, parallèlement aux évaluations des équipes du programme, par les acteurs que sont les ouvriers, hommes et femmes dans une acception de changement durable : identification des besoins, amélioration des conditions de travail, prévention efficace sont au cœur de la démarche (phase I) ! Son interface étant l’émergence d’un dialogue réel (phase II) au sein de l’usine dont la responsabilité (phase III) de chacun pérennise un processus itératif (phase IV) d’amélioration capitalisant les résultats.

Les domaines couverts par les évaluations portent sur le travail des enfants, la discrimination (notamment sur l’écart de rémunération entre les sexes,) le travail forcé, violence verbale, harcèlement sexuel, la liberté syndicale, la négociation collective et les réglementations nationales du travail en matière d’indemnisation, de relations contractuelles et professionnelles, de sécurité et santé au travail…

Le programme Better Work a chargé l’Université américaine Tufts de mener une évaluation d’impact de ses mesures. Sur la base de 15 000 réponses de travailleurs de la confection et 2 000 réponses de directeurs d’usine en Haïti, en Indonésie, en Jordanie, au Nicaragua et au Vietnam, il ressort de ce programme tant sur les conditions de travail que sur la performance des entreprises des éléments particulièrement positifs, entre autres:

• Amélioration de 50% de la sécurité et de la santé au travail en Haïti, en Jordanie et au Vietnam,

• Obtention de 100% de conformité en versant des salaires minimums corrects, des congés payés et des prestations de sécurité sociale en Jordanie parmi les usines participant au programme depuis plus de deux ans,

• 91% des usines élaborent des contrats de travail conformes à la loi en Haïti,

• Élimination de la discrimination formelle contre le VIH/SIDA dans les usines du Lesotho,

• 65% des usines de Better Work Vietnam ont connu une augmentation de leurs ventes, 62% ont augmenté leur capacité de production et 60% ont créé de l’emploi,

• En Haïti, les améliorations des conditions de travail facilitées par Better Work coïncident avec une augmentation de plus de 40% de la valeur des exportations de vêtements vers les Etats-Unis.

Vision Zero Fund :  Pour un monde sans accidents du travail et maladies professionnelles

Selon les estimations de l’Organisation Internationale du Travail, 2,78 millions de travailleurs meurent chaque année suite aux accidents et maladies professionnels. 160 millions de travailleurs supplémentaires souffrent de maladies liées au travail et 313 millions de travailleurs sont blessés chaque année. Pire ! 60% de la main d’œuvre mondiale ne sont pas efficacement protégés contre les accidents du travail et les maladies professionnelles. Sur le plan économique, l’OIT estime que les blessures et maladies professionnelles représentent près de 4% du PIB mondial, soit plus d’un milliard d’euros par an… 

« Le Fonds Vision zéro aidera à prévenir et à réduire le nombre inacceptable de décès, de blessures et de maladies liés au travail. L’accès aux chaînes d’approvisionnement mondiales peut constituer une partie importante des stratégies de réduction de la pauvreté. Le Fonds aidera à rendre cette route plus sûre. », explique Guy Ryder, Directeur Général du BIT.

Le Fonds Vision zéro (VZF) a été mis en place suite à une initiative des pays rassemblés au sein du G7, lors de la rencontre à Elmau en 2015 sous présidence allemande. Initialement doté de 8 millions de dollars versés par les gouvernements allemand (trois millions), américain (un million) et la Commission européenne (trois millions) – la France et l’Italie s’étant engagées quant à elles à fournir des intrants en nature, y compris des cours de formation dans les pays bénéficiaires – le fonds a pour objet de prévenir les décès, blessures et maladies liés au travail dans les secteurs opérant ou souhaitant rejoindre les chaînes d’approvisionnement mondiales en aidant localement à mettre en place des inspections du travail, des structures publiques pour la sécurité et la santé sur le lieu de travail, des assurances accidents et des initiatives durables au niveau de l’entreprise  au regard des chaînes de valeur du vêtement et de l’agroalimentaire.

Il s’agit donc d’encourager et de renforcer, par l’action collective publique et privée, les activités concrètes de prévention de la sécurité et de la santé au travail dans les entreprises opérant dans les pays à faible et moyen revenu. 

Le fonds Vision Zéro cible des secteurs et des pays spécifiques puisque les pays pilotes actuels sont l’Éthiopie, Madagascar et le Myanmar, le Laos et la Tunisie ayant rejoint en 2018 le programme. 

Le Fonds Vision Zéro est conçu comme un fonds d’affectation spéciale multi-donateurs : gouvernements, organisations intergouvernementales ou non gouvernementales mais également pourvoyeurs privés, y compris entreprises, fondations et particuliers. Les donateurs actuels se comptent parmi la Commission européenne, l’Allemagne, la France, la Suède, la Norvège et les États-Unis. Siemens est récemment devenu le premier donateur du secteur privé à rejoindre le Fonds. 

S’il est encore trop tôt pour présenter des résultats tangibles de ce programme, une chose est certaine, rien ne pourra en termes d’efficacité remplacer la pression de l’opinion publique qui de consommatrice avide doit muter en témoin accusateur et ainsi mettre fin à des situations inacceptables au regard de la dignité humaine. à cet égard, les actions menées à l’encontre de l’utilisation commerciale de la fourrure animale devrait servir d’exemple s’agissant en l’occurrence de la condition humaine… Y-a-t-il autre chose qui vaille ?

Définition du Demandeur d’emploi, Chiffre du chômage : BIT ou Pôle emploi. Vive la complexité ou pourquoi faire simple ?

Le choc promis de la simplification de l’état reste à ce jour bien modeste. Il n’a pas touché à l’évidence le monde de l’emploi et son corolaire celui du chômage, malgré la réforme de 2008 du service Public de l’Emploi. La preuve…

D’aucuns s’étonnent, d’autres ne comprennent pas que le nombre de demandeurs d’emploi pour la même période de référence puisse varier parfois de manière significative suivant l’organisme qui diffuse les chiffres tant attendus par une population particulièrement inquiète de la situation économique. Pourtant l’écart s’explique. Bien plus, il ne peut que perdurer !

Deux organismes calculent et diffusent les chiffres du chômage – l’INSEE et Pôle emploi pour le compte de la DARES14 -. Leur méthode de calcul diffère sur trois points bien précis…

Pour l’INSEE, la période de référence est le trimestre alors que pour Pôle emploi, c’est le mois puisque les demandeurs d’emploi sont indemnisés mensuellement. Première différence d’approche… 

La seconde réside en la définition même du demandeur d’emploi. En effet, l’INSEE se réfère à la définition du demandeur d’emploi adoptée dès 1954 et revue en 1982 par le Bureau International du Travail à savoir qu’un chômeur est une personne en âge de travailler (15 ans ou plus) qui répond simultanément à trois conditions :

Être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant une semaine de référence,

Être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours,

Avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.

La perception du demandeur d’emploi partagée par la DARES et Pôle emploi est plus complexe car voulue plus aboutie. Conséquence, elle est soumise à des interprétations politiques. En effet, le demandeur d’emploi est réparti en catégorie suivant sa situation précise, à savoir : 

• Catégorie A : Demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, sans emploi,

• Catégorie B : Demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, ayant exercé une activité réduite courte (i.e. de 78 heures ou moins au cours du mois),

• Catégorie C : Demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, ayant exercé une activité réduite longue (i.e. de plus de 78 heures au cours du mois), • Catégorie D : Demandeurs d’emploi non tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi (en raison d’un stage, d’une formation, d’une maladie) y compris les demandeurs d’emploi en CRP-CTP-CSP, sans emploi,

• Catégorie E : Demandeurs d’emploi non tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, en emploi (par exemple : bénéficiaires de contrats aidés, créateurs d’entreprise).

Le point commun des catégories A, B, C réside en l’obligation pour le demandeur d’emploi de mener des recherches d’emploi alors que celui transversant l’ensemble des catégories est l’inscription sur les livres de Pôle emploi ;

Ainsi, le même demandeur d’emploi peut  être  comptabilisé par l’INSEE et non par Pôle emploi et inversement !

Enfin, la méthode statistique constitue la troisième différence d’approche des deux organismes. Alors que pour l’INSEE le support matériel repose sur une enquête téléphonique régulière d’une quinzaine de questions auprès d’un échantillon de 65 000 foyers soit l’équivalent de 115 000 personnes, Pôle emploi lui tire de son fichier et uniquement de son fichier le nombre de demandeurs d’emploi fin de mois par catégorie. Ainsi, l’INSEE dégage une tendance alors que Pôle emploi livre un taux à date précise.

Qu’on se rassure toutefois ! Sur le moyen terme, les tendances et les évolutions sont identiques…

Une Protection sociale pour tous : le pari mondial de l’OIT

« La justification de la Protection sociale est encore plus incontestable en cette période d’incertitude économique. » Sandra Polaski 15

Dis-moi de quelle protection sociale tu bénéfices et je te dirai dans quel pays tu vis !

Cette phrase d’apparence anodine est au regard de la dignité humaine insupportable tant elle est porteuse d’inégalités. Elle ne peut non seulement qu’interpeller tous les membres du CRAPS mais elle justifie à elle seule la raison d’être de notre think tank qui plus que jamais voit en la Protection sociale une idée d’avenir ! 

L’OIT, définissant la Protection sociale comme une sécurité sociale couvrant tous les groupes sociaux dans leur accès aux soins médicaux et l’obtention d’une garantie de revenu notamment pour les personnes âgées et celles traversant des périodes de chômage, de maladie, d’invalidité, d’accident du travail, de maternité ou de disparition du soutien de famille a lancé en 2003, une campagne mondiale visant à aider plus de trente pays à étendre leur couverture au niveau national et à consolider les régimes de sécurité sociale de type communautaire. 

En effet, « La sécurité sociale préserve la sécurité et la dignité humaines, l’équité et la justice sociale, tout en favorisant l’autonomisation, la participation à la vie politique et la démocratie », a déclaré lors du lancement de la campagne Juan Somavia, premier représentant de l’hémisphère Sud à la tête de l’organisation internationale du Travail avant de poursuivre : « des régimes efficaces de sécurité sociale concourent à améliorer les performances de l’économie et à établir un avantage comparatif sur les marchés mondiaux. Nous avons la volonté, et maintenant nous devons trouver les moyens d’offrir à un plus grand nombre de personnes les prestations sociales qui sont nécessaires pour survivre et prospérer. »

Ainsi, cette campagne développée par nature sur le moyen et long terme a pour but de favoriser l’émergence d’un large partenariat entre organisations internationales, pays donateurs, institutions de sécurité sociale et organisations de la société civile et reprend à son compte les principes et stratégies définis par la Conférence Internationale du Travail. En premier lieu, il n’existe pas un seul bon modèle de sécurité sociale,ensuite il convient de donner la priorité absolue à la conception de politiques et d’initiatives propres à faire bénéficier de la sécurité sociale ceux qui ne sont pas couverts par les régimes existants, enfin la sécurité sociale doit reposer sur le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes.  Dans ce cadre, chaque pays doit définir une stratégie nationale qui le conduira vers la sécurité sociale pour tous.

La tâche, pour être noble, est non seulement immense mais un obstacle majeur car structurel est de nature à en réduire la portée, du fait d’abord que les personnes ne bénéficiant pas de couverture sociale se situent pour la grande partie d’entre elles dans l’économie informelle des pays en développement. Qu’ensuite, même dans les pays en développement à forte croissance économique, un nombre croissant de travailleurs – très souvent des femmes – ont des emplois précaires (occasionnels, à domicile ou indépendants) ne donnant pas droit à la sécurité sociale.Or l’essor constaté de l’emploi informel a entraîné la stagnation, voire le déclin, des taux de couverture.

Toutefois, des signes encourageants ont incité à la poursuite de cette campagne et des projets qu’elle développe. Ces dernières années, certains pays à revenus intermédiaires ont réussi à élargir leurs régimes de sécurité sociale. 

Tel est le cas du Costa Rica offrant désormais à ses ressortissants une couverture totale en matière de santé en alliant l’assurance maladie et la gratuité des services de santé publique ; tel est aussi l‘exemple du régime national de retraite de l’Inde financé à l’aide de ressources du gouvernement central et des provinces, couvrant déjà un quart des personnes âgées du pays – soit environ 50% des retraités en situation de pauvreté ; enfin, le Brésil, état dans lequel les prestations d’assistance sociale préservent quatorze millions de personnes de l’extrême pauvreté. 

Le nouveau régime de sécurité sociale mis en place en République de Corée, a permis de surmonter les conséquences sociales de la crise financière asiatique de la fin des années quatre-vingt-dix et notamment le nouveau programme d’assurance chômage qui a aidé le pays à faire face au quadruplement du taux de chômage. « Notre exemple montre que la sécurité sociale n’est ni un luxe ni une charge pour le gouvernement »témoigne le représentant de la Corée du sud à l’OIT et de poursuivre : « au contraire, elle favorise la productivité et la cohésion sociale et elle sert de lubrifiant pour l’économie dans les périodes de crise ou de grand changement.à l’ère de la mondialisation, cela est indispensable pour garantir un développement économique et social durable ». Peut-on rêver de plus beau plaidoyer ?

Fort de ces avancées fondamentales les Nations Unies ont voté en 2015 des Objectifs de Développement Durable traduisant l’engagement conjoint des pays à « mettre en œuvre des systèmes nationaux de protection sociale pour tous, y compris des socles » pour réduire et prévenir la pauvreté (ODD 1.3). Cet engagement envers l’universalisme réaffirme l’accord mondial sur l’extension de la couverture sociale scellé par la recommandation (n°202) de l’OIT sur les socles de protection sociale, adoptée par les gouvernements, les travailleurs et les employeurs de 185 pays en 2012.

Ce pari de l’OIT, mondial, universaliste et fraternel n’est-il pas pour autant utopique au regard de ce que nous apprend le dernier rapport sur la Protection sociale dans le monde 2017-2019 que l’OIT vient de publier. Les chiffres sont préoccupants voire alarmants !

Seuls 45% de la population bénéficient réellement d’au moins une prestation sociale, les 55% restants – 4 milliards de personnes – sont laissés sans protection. Pire ! 29% seulement de la population mondiale disposent d’un accès à une sécurité sociale globale certes en très légère hausse par rapport aux 27% comptabilisés pour la période 2014-15 alors que les autres 71%, soit 5,2 milliards de personnes ne sont pas, ou que très partiellement, protégées.

« L’absence de Protection sociale place ces personnes en situation de vulnérabilité vis-à-vis de la maladie, de la pauvreté, des inégalités et de l’exclusion sociale tout au long de leur vie. Dénier ce droit humain à 4 milliards de personnes à l’échelle mondiale est un obstacle considérable au développement social et économique. Si de nombreux pays ont parcouru un long chemin pour renforcer leur système de protection sociale, des efforts majeurs sont encore nécessaires pour garantir que ce droit à la protection sociale devienne une réalité pour tous », selon Guy Ryder.

• Seuls 35% des enfants dans le monde jouissent d’un réel accès à la Protection sociale. Près des deux tiers des enfants du monde entier – 1,3 milliard d’enfants – ne sont pas couverts, la plupart d’entre eux vivant en Afrique et en Asie,

• En moyenne, seulement 1,1% du PIB est consacré aux prestations familiales pour les enfants âgés de 0 à 14 ans,

• Plusieurs pays ont réduit la Protection sociale des enfants du fait des politiques d’assainissement budgétaire,

• 41,1% des mères de nouveau-nés perçoivent une allocation maternité mais 83 millions de nouvelles mères n’étant pas couvertes,

• 21,8% des travailleurs au chômage sont couverts par des allocations chômage mais 152 millions de travailleurs sans emploi ne le sont toujours pas,

• Seuls 27,8% des personnes lourdement handicapées dans le monde touchent une prestation d’invalidité,

• 68% des personnes ayant dépassé l’âge de la retraite touchent une pension de vieillesse,

• 6,9% du PIB en moyenne avec de fortes variations régionales sont consacrées aux retraites et autres prestations pour les personnes mais les niveaux de prestation sont souvent faibles et insuffisants pour sortir les personnes âgées de la pauvreté. Cette tendance est souvent alimentée par les mesures d’austérité,

• Dans les zones rurales 56% de la population n’ont pas accès à une couverture maladie alors que ce pourcentage tombe à 22% dans les zones urbaines,

• 10 millions de professionnels de santé supplémentaires sont nécessaires pour parvenir à une couverture sanitaire universelle et garantir la sécurité humaine, 

Les soins de longue durée – dont ont surtout besoin les personnes âgées – excluent plus de 48% de la population mondiale, les femmes étant affectées de manière disproportionnée,

 • 57 millions de travailleurs «volontaires » – principalement des femmes – non rémunérés assument l’essentiel de la couverture en soins de longue durée. La pénurie de travailleurs qualifiés dans le domaine des soins est estimée à 13,6 millions à l’échelle mondiale.

Chiffres éloquents qui au-delà de la souffrance humaine qu’ils traduisent, démontrent d’une manière implacable qu’il ne peut y avoir d’essor économique sans développement de la Protection sociale…

Oui, la Protection sociale est bien une idée d’avenir et croire comme Denis Kessler que pour sortir de tous nos maux, il suffit «aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! » est un leurre intellectuel, une hérésie économique, une contre vérité universelle ! .

SOURCES

1 La Conférence Internationale du Travail approuve en 1941 les principes de la charte de l’Atlantique et promet l’engagement plein et entier de l’OIT pour les mettre en oeuvre.
2 Cf. Cartouche “Principes énoncés par la déclaration de Philadelphie (10 mai 1944) p.33
3 10 mai 1944
4 Rapport : “Avenir du Travail”. Contribution française. 16 février 2017.
5 Alain Supiot. “L’esprit de Philadelphie : la justice sociale face au marché total.” Paris, Seuil, 2010.
6 Rapport : “Avenir du Travail”. Contribution française. 16 février 2017.
7 Hervé Chapron. “Tout va très bien madame la Marquise.” Edition Docis. 2017.
8 Carl Benedikt Frey, Michael A. Osborne (2013), The Future of Employment, Osford Martin School.
9 Rapport : “Avenir du Travail”. Contribution française. 16 février 2017.
10 Cf. Cartouche “Contribution française dans le cadre du centenaire du BIT. p.36
11 Le terme “chaines d’approvisionnement mondiales” doit être entendu comme “l’organisation transfrontalière des activités nécessaires pour produire des biens ou fournir des services, depuis l’utilisation d’intrants jusqu’à la commercialisation en passant par différentes phases de conception, de fabrication et de livraison” Bureau International du Travail “Le travail décent dans les chaines d’approvisionnement mondiales” Rapport IV, CIT 2016.
12 Membre du Groupe de la banque mondiale, IFC est la plus importante institution mondiale d’aide au développement dont les activités concernent exclusivement le secteur privé dans les pays en développement. Son objectif est de mettre fin à l’extrême pauvreté dans les pays en développement.
13 Bangladesh, Nicaragua, Jordanie, Egypte, Haïti, Vietnam, Cambodge.
14 DARES : Service ministériel, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) produit des statistiques et analyses utiles au ministère en charge du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et aux acteurs économiques et sociaux (partenaires sociaux, conseils régionaux, service public de l’emploi, presse économique et sociale, etc.).
15 Directrice Générale Adjointe de l’Organisation Internationale du Travail.