TRIBUNE
ALICE MALABRY
Chargée d’études au CRAPS
Quand bien même la France se déchristianise lentement depuis plus d’un siècle, que le sentiment religieux régresse, que la sociologie médiévale qui reconnaissait comme catégorie ceux qui prient est très très loin derrière nous, le décalogue reste en ce début du XXIème siècle constitutif d’une conscience collective voire de notre civilisation !
Sa traduction civile en termes de médecine : « Je ne remettrai à personne du poison si on m’en demande, ni prendrai l’initiative d’une pareille suggestion » est l’essence même du serment d’Hippocrate.
Religion, déontologie…
Écartons le Graal, la recherche de l’immortalité, doux fantasme, plus féconde en littérature que créatrice d’une quelconque réalité dans ce bas monde !
Condamné ! Chaque vie d’Homme s’inscrit dans un temps plus ou moins long ! Au-delà de poser à travers ce biais la question philosophique fondamentale de la liberté de l’Homme… force est de constater qu’avec les progrès colossaux de la médecine au XX° siècle, avec l’intelligence artificielle naissante en ce début de XXI° siècle, avec la prévention érigée en premiers remparts et malgré les soins palliatifs, abréger les souffrances, mettre fin à ce qui est considéré comme indigne au regard de notre conception de la vie en relation avec le concept de progrès, est devenu aux fils des ans un sujet de société incontournable… pour autant très personnel ! Désormais chaque candidat à l’élection présidentielle doit se prononcer sur l’éventuelle légalisation d’une mort assistée !
Egalité des chances, égalité de traitement…
Mais sommes-nous égaux devant la mort ? Non bien sûr ! Prisonnier d’un corps endommagé, esclave d’une maladie neurologique, qui n’a jamais pensé au soir de sa vie aux modalités pour en finir, refusant ainsi d’être un spectateur du piètre tableau qu’offre alors sa propre mort !
Aristote dans son Ethique à Nicomaque, dissèque le libre arbitre comme la mise en pratique d’une séquence comportant trois étapes : la délibération, le choix, l’action ; certes ! mais ces étapes sont-elles pertinentes lorsque l’individu n’est plus en mesure de délibérer, de choisir ou d’agir, lorsque précisément son libre arbitre est annihilé par la maladie. Le tiers porte alors la responsabilité du choix irréversible…
Mais alors selon quel dogme devrions-nous laisser assumer autrui de provoquer l’inévitable fin qui ne fait qu’attendre patiemment les derniers éclats de cette lueur si souvent vaine que l’on nomme Espoir ?
Ce qui divise l’opinion publique…
En d’autres termes doit-on, in fine, donner la mort par respect voir, ce qui est encore plus douloureux, par amour ? Ce qui revient à ne plus entendre cette terrible phrase lors d’un décès : « c’est un soulagement pour lui » !
Plusieurs épisodes, tous plus tragiques les uns des autres, ont été mis en exergue par les médias. Vincent Humbert fut précurseur d’une cause qu’il a – malgré lui – dignement menée avec sa mère Marie Humbert. Ce fait divers a fait naître une véritable prise de conscience auprès de l’opinion publique et du monde politique, notamment lorsque, paralysé suite à un accident de la route, mais pouvant communiquer avec sa mère à l’aide de son pouce, il demandait au Président de la République, Jacques Chirac, le droit « de mourir pour lui-même mais surtout pour sa mère » ; ce à quoi Jacques Chirac, ès qualité, garant des Institutions, du respect de la Loi et de l’incité du tissu social lui répondit « je ne peux vous apporter ce que vous attendez ».
La fin du combat contre son propre corps fut finalement décidée, provoquée courageusement par sa mère, à travers l’injection d’une dose mortelle et par le docteur Chaussoy le « débrancha des machines » le retenant à la vie.
A l’instar de Vincent Humbert, Vincent Lambert, tétraplégique en conscience minimale depuis sept ans ne peut, lui, même plus suivre la controverse dont il fait l’objet dans l’opinion publique. Pire, au sein même de sa propre famille : sa femme suppliant qu’il soit « débranché » arguant de son souhait anticipé, ses parents exigeant que son souffle soit maintenu artificiellement.
Autre cas, celui de Chantal Sébire, atteinte d’une tumeur incurable, lorsqu’elle demanda à la Justice d’autoriser ses médecins de lui donner la mort en lui procurant la dose létale libératrice ; assimilée à un suicide assisté, sa demande fut déboutée, ce qui ne l’empêcha pas, de se suicider deux jours plus tard à l’aide de barbituriques.
Encore plus saisissante et controversée par la dimension du choix à opérer, est l’histoire d’une enfant de 14 ans, mineure par définition, Inès Biddarri, souffrant d’une maladie auto-immune, placée sous ventilation mécanique, considérée par les médecins dans un état de mort cérébrale alors que l’espoir des parents demeurait intact. Inès est décédée le 21 juin dernier, suite à l’arrêt de ses soins décidé par ses médecins.
Ainsi, que le choix appartienne à la médecine à travers son diagnostic ou à la famille encline tout naturellement à la compassion, abréger la vie pose en tout état de cause un vrai dilemme déontologique. La fragilité de certains principes éthiques dans les situations extrêmes de l’existence humaine est certaine et une place non négligeable doit être faite aux émotions. Mais le Droit ne doit-il pas venir encadrer l’affect pour qu’il soit éclairé, pour établir l’attitude à adopter face à la souffrance d’un mourant, pour fixer ce qu’il est raisonnable de faire et ainsi, être le guide du choix ?
Le dogme public est tel aujourd’hui qu’il enferme autrui face à sa conscience en ne lui permettant pas, légalement, de pouvoir répondre à la condition provoquée par l’impuissance de vivre dignement d’un malade !
Pourtant, le droit dispose de différentes possibilités pour « accorder » la mort en désespoir de cause par des moyens scientifiques. Le suicide assisté permet à une personne consciente de demander à un médecin les moyens médicaux de mourir ; l’euthanasie active enjoint l’intervention d’un tiers pour administrer une dose létale au malade. Ces deux méthodes exigent de facto l’action d’un tiers pour mourir. A l’inverse, l’euthanasie passive consiste à refuser ou mettre fin aux traitements. En cela, elle n’est pas un acte de mort en tant que tel, elle permet seulement de « laisser mourir ».
La sacralisation de la vie traditionnellement issue du dogme religieux, le serment d’Hippocrate, la condamnation pénale de l’homicide involontaire sont des normes justifiant que la loi française enferme « le droit de mourir » à l’euthanasie passive. Instituée par la loi Léonetti – réponse à l’affaire Vincent Humbert -, ces dispositions ont surtout pour but de soulager la douleur et de prohiber l’acharnement thérapeutique. Mais lorsque le patient est séquestré par son corps, voire par son esprit, lorsqu’il en va d’un cas d’absence d’état de conscience, la famille ou les médecins se retrouvent finalement mandataires du choix non pas de donner la mort mais de « laisser mourir » par nécessité. Le choix est tout aussi ardu et ne fait qu’allonger la souffrance ! Et à l’instar des deux autres méthodes, il mène l’espoir à perdurer !
Droit et Société…
Pourtant, l’acte de donner la mort, acte pénal qualifié d’« homicide » est rarement condamné comme tel par le pouvoir judiciaire lorsque les circonstances ont été à la fois murement réfléchies et exceptionnelles. Ainsi, Jean Mercier a aidé sa femme, dépressive chronique, à mourir et fut mis en examen pour « non-assistance à personne en danger » puis relaxé en appel. Concernant l’acte d’euthanasie active dans l’affaire Vincent Humbert, Marie Humbert et le docteur Chaussoy, accusés d’empoisonnement, ont été acquittés en 2014. Si le regard de la société évolue, le droit doit en prendre acte. Tout combat légitime trouve son aboutissement par la modification du droit…IGV, Mariage pour tous… La société a toujours précédé le droit.
De facto, le débat concernant l’euthanasie active n’est pas clos d’autant plus que cette pratique est autorisée dans certains pays. A l’échelle même de l’Europe la pratique de donner la mort par nécessité et non pas seulement de « laisser mourir » a pu être instaurée sans que la société s’en trouve déstabilisée. Ainsi, le Benelux a légalisé l’euthanasie active sous condition qu’elle soit la seule issue pour le malade. Long chemin semé d’embûches pour aboutir à la liberté de choix ! Ces pays ont pris conscience des conditions inhumaines de certaines fins de vie, de la dimension indigne du malade, de l’intensité d’une souffrance inhumaine. Si science sans conscience n’est que ruine de l’âme, qu’est-ce que l’humanité sans compassion, sans lucidité, sans responsabilité ?
Le simple bon sens, à un moment où l’Europe est remise en cause au sein même de ses propres valeurs, serait d’adapter à nos principes culturels fondamentaux, le droit par une plateforme européenne commune uniformisant la réponse à ce problème. Eviter ainsi que l’ultime voyage soit précédé par une halte hors de nos frontières… Mais cette position ne pourra t-elle pas naître que d’une lente évolution des moeurs d’une société sclérosée par une foi silencieuse remettant son destin au main du mythe ?