Jeannick Tarrière
Fondatrice du cabinet de conseil en analyse stratégique et management de l’information Traits d’union
Lors du débat de l’entre-deux tours de la primaire de la droite et du centre, Alain Juppé note une «divergence assez profonde» avec son adversaire, qui préconise de baisser les taux de remboursement pour résorber le déficit de la sécurité sociale. Interpelé, François Fillon répond qu’il veut «désétatiser» le système de santé français. Il propose de concentrer les remboursements sur les affections graves et de longue durée, et que ce soit les assurances privées qui prennent en charge les autres dépenses.
Comme 8,4 millions de téléspectateurs, Marisol Touraine assiste aux échanges entre François Fillon et Alain Juppé sur les «petits risques» et les «gros risques». Elle réagit sur Twitter «Vous proposez la privatisation». Le mot est lâché, le tollé immédiat. Le choc est tel que personne dans l’équipe Fillon n’osera contre-attaquer sur le fond.
Personne ne souligne qu’il n’existe pas de correspondance parfaite entre « protection sociale » et «sécurité sociale». Personne ne rappelle que les organismes de protection sociale complémentaire, notamment les mutuelles, font partie de notre système de soins et de sa prise en charge, depuis son origine. En 1945, les créateurs de notre système d’Assurance maladie ont, en effet, fait le choix que l’Assurance maladie obligatoire couvrirait une partie des dépenses de santé et laisserait un reste à charge aux assurés. En 2015, ce reste à charge représente 44,3 Md€ (sur une dépense de soins et de biens médicaux de 194,6 Md€ en 2015).
Pour se voir rembourser tout ou une partie de ce qui reste à leur charge, les patients souscrivent une couverture complémentaire santé, c’est-à-dire un contrat dont l’objet principal est le remboursement des frais médicaux, laissés à leur charge. Sur la même année 2015, le reste à charge des ménages, après l’intervention des organismes complémentaires, est évalué à 16 Md€ soit 8,4%, l’un des plus bas des pays de l’OCDE.
Avant même le 1er janvier 2016 et l’entrée en vigueur de l’obligation pour les entreprises de droit privé de proposer une couverture santé à leurs salariés, l’IGAS relève que 95% de la population française déclare bénéficier d’un contrat de complémentaire santé (dont 6% de la CMU-C).
Très attachés à leur modèle social, conscients qu’il est indispensable d’acquérir une couverture complémentaire pour accéder aux soins, les Français sont fatigués des solutions extrêmement onéreuses, à l’instar de la généralisation de la complémentaire santé des salariés. En plein été, les standards des assureurs complémentaires ont explosé quand les salariés ont découvert que les remboursements des dépassements d’honoraires avaient été plafonnés par voie réglementaire et que leur reste à charge augmentait.
Le système de soins et de prise en charge collective est devenu totalement illisible. Cette illisibilité est d’autant plus grave qu’elle concerne la santé.
Comme l’indique l’Institut Montaigne, «trop souvent, les initiatives passées de réforme ont basculé directement des constats à l’élaboration de mesures sans vision d’ensemble». Un travail de fond impliquant les principales parties prenantes du système serait nécessaire pour construire une vision à moyen et long terme du système que l’on souhaite et des bénéfices attendus.
Comme dans d’autres domaines, nos concitoyens attendent des responsables politiques qu’ils s’engagent sur un cap clair et durable, offrant à tous une lisibilité à long terme de notre système de protection sociale. Le mandat ne sera pas accordé à ceux qui font peur sur des sujets qui ont pour finalité de protéger.