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Pour sa troisième série estivale, le CRAPS, le think tank de la Protection sociale vous propose d’imaginer à travers les contributions de nos auteurs, le regard et les commentaires – sérieux, drôles, d’humeur et pourquoi pas loufoques – qu’aurait pu avoir et tenir Hippocrate, le père de la médecine moderne sur la crise sanitaire. Comme d’habitude le romanesque, l’imagination raisonnée ou débridée guident les récits…
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Épisode 5 // Par MICHEL HANNOUN
En cette XXXIIe Olympiade de l’ère Moderne, le CRAPS a eu la bonne idée de m’envoyer rencontrer le natif de la LXXXe Olympiade des Temps Anciens, l’immense Hippocrate pour l’interroger sur l’actualité.
J’y voyais là un clin d’œil ou une coïncidence d’autant que j’avais prêté serment sur les paroles du vieux Maître en devenant Docteur en Médecine.
Comme tous mes confrères. Mais qu’en avions-nous fait ? Tellement de gens trouvaient ce serment ringard et prévoyaient même d’en supprimer la prestation !
Bravant confinement, quarantaine et autres joyeusetés du voyage, je rencontre un homme de 108 ans, portant un chapeau pour masquer sa calvitie.
Accueil cordial chez lui, en Thessalie. Dialogue immédiatement concret.
Hippocrate : Que venez-vous faire ici, mon cher Confrère ?
Moi : Essayer de connaître votre sentiment sur la Médecine que nous pratiquons aujourd’hui !
Hippocrate : Je suis admiratif de cette médecine qui ne fait que de la science et oublie qu’elle est un art. Vos techniques nouvelles sont merveilleuses ; les chirurgiens peuvent voir avant d’ouvrir alors que de mon temps et même du vôtre, mon cher Confrère, on ouvrait pour voir. Vous avez même transféré une partie de votre intelligence à des robots et cette intelligence artificielle vous impose ses règles et vous rend presque totalement dépendant d’elle.
Moi : J’entends une forme de doute sur l’efficacité de cette médecine.
Hippocrate : Certes, le doute est le sel de l’esprit. Mais, mon cher Confrère, vous et vos collègues, vous avez tendance à oublier trop facilement l’homme. Pour vous l’homme doit se plier à la technique et non l’inverse. Vous donnez l’impression que l’homme n’est plus une personne mais un élément statistique, une moyenne, un décile, un pourcentage… Ce qui me frappe le plus, c’est que je ne suis pas sûr que vous et vos confrères ayez conscience de cela.
Moi : Mais, mon cher Maître, que de progrès ont été réalisés ? Que de maladies diagnostiquées et traitées ? Vous ne pouvez pas faire comme si cela n’existait pas et ce sont les techniques et la science qui nous ont aidés.
Hippocrate : La Médecine est le plus difficile de tous les arts, où l’on ne doit rien négliger ni rien faire témérairement. Surtout, avec vos spécialités en tout genre, vous avez tendance à oublier que la Médecine consiste à rassembler précisément en un seul point de vue le présent, le passé et l’avenir de la personne qui sollicite vos soins. Vous ne vous parlez pas assez. Le Médecin de l’Hôpital ignore celui de la Ville ; et le spécialiste de telle ou telle anomalie colloque avec ses semblables et la maladie devient un dossier, parfois un article.
Moi : Vous êtes sévère, mon cher Maître, avec vos successeurs, si je peux me permettre. Vous-même, ne demandiez-vous pas à Dieu pour récompense de vos travaux, ni les plaisirs, ni les richesses mais de vivre longtemps dans une santé parfaite, de réussir dans votre art et de vous rendre illustre dans tous les siècles. Votre âge en est la preuve. Et vous êtes sain d’esprit et de corps. Vous êtes prestigieux et ceux que vous critiquez de manière à peine voilée ont prêté serment sur vos écrits.
Hippocrate : Être illustre, parlons-en. Il n’y a que deux choses, la science et l’opinion. La première fait qu’on sait, la seconde qu’on ignore. Vos plateaux de télévision sont éphémères. L’occasion passe vite ! L’épreuve est trompeuse, le jugement difficile. Certains de vos confrères présentent des points de vue comme des règles sans exception alors qu’ils devraient rechercher des vérités d’une étendue assez grande pour mériter d’être recueillies par ceux qui ne savent pas. D’ailleurs, combien seront encore cités ou connus dans 2 500 ans ?
Moi : Vous avez été admiré pour avoir sauvé Athènes de l’épidémie de Peste. Et vous avez beaucoup écrit dans vos traités sur les grandes questions épidémiologiques.
Hippocrate : Vous avez vu, comment, dans une époque d’arrogance et de futilité, un micro organisme est venu rappeler à la Gaïa entière que le vivant doit être respecté, si petit fût-il. C’est à Athènes que j’ai compris et dit ce que vous résumez : Aux grands maux les grands remèdes. C’est là que j’ai constaté que le Médecin doit faire ce qu’il fait, mais le malade aussi. Et les serviteurs et tous les entours. Rappelez-le sans cesse et d’abord à vos confrères qui sont, comme dites-vous, « antivax ». Ils ont une curieuse conception de notre art et surtout de leur dignité de soignant. Rappelez-leur, mon cher confrère, que les excès en chaleur épaississent les humeurs et font qu’elles ne peuvent pas autant s’étendre. Car l’hydropique qui tousse est hors d’espérance.
Moi : Merci, cher Maître, pour ce moment de bonheur où vous nous avez rappelé à notre serment et à son respect.
Et Hippocrate me porte une accolade en me disant : « N’oubliez pas que vous faites le plus beau métier du Monde ».