Par Hervé Chapron
Ancien Directeur Général Adjoint de Pôle emploi
Depuis un siècle, la santé au travail a été circonscrite d’abord à travers une acception exclusivement physique (travail des enfants, médecine du travail, accident du travail, CHSCT, etc.) pour limiter en partie l’absentéisme de plus ou moins courte durée, puis ensuite étendue aux aspects psychologiques aboutissant à la dernière loi sur le droit à la déconnexion informatique.
Aujourd’hui, la santé au travail est appréhendée à travers une acception extrêmement large, celle du bien-être, devant trouver son aboutissement dans le contexte « d’entreprise libérée ». Ainsi de trepalium, c’est-à-dire de torture pour définir le concept de travail, on aboutit désormais à une nécessaire voire indispensable notion d’épanouissement…
On estime désormais que pour un euro investi en santé/sécurité au travail, le retour sur investissement serait supérieur à 2 euros.
Social, santé, organisation et management sont devenus indissociables. Le véritable enjeu étant le bien-être des salariés et leur valorisation comme principale ressource de l’entreprise… On ne peut que s’en réjouir.
Mais voilà… depuis la fin des Trente Glorieuses, depuis l’externalisation de notre industrie, depuis la recherche effrénée d’une économie à bas coût pour satisfaire un pouvoir d’achat érigé en graal, depuis la préférence française pour le chômage, les conséquences de notre « Munich social » sur la santé des demandeurs d’emploi deviennent préoccupantes sans pour autant être prises en compte.
• Fin 2020, 6,7 millions de chômeurs sont recensés dont seuls 4 millions sont indemnisables.
• 20 % des jeunes sont au chômage et jusqu’à 35 % en outre-mer.
• 2,6 millions de chômeurs étaient inscrits à Pôle emploi depuis plus d’un an fin 2019, soit deux fois plus que dix ans auparavant.
• La durée moyenne du chômage atteint un an et quatre mois.
• L’indemnisation moyenne est de 990 euros nets par mois.
• 2 milliards d’euros/an d’indemnités ne sont pas attribués à des chômeurs, pourtant éligibles, faute d’inscription à Pôle emploi.
Le chômage est désormais une question de santé publique :
• 10 à 14 000 décès par an lui sont imputables du fait de l’augmentation de certaines pathologies, maladie cardio-vasculaire, cancer… (Enquête SUIVIMAX, Inserm 2015). Le chômage tue près de 3 fois plus que les accidents de la route !
• Le risque de connaître un épisode dépressif pour un demandeur d’emploi est multiplié, 24 % des hommes et 26 % des femmes sont ainsi concernés (Dares 2015).
• Une augmentation de 10 % du taux de chômage se traduirait par une hausse du taux de suicide de 1,5 % tous sexes confondus.
• Les hommes sans emploi ont 2,32 fois plus de risques de se déclarer en mauvaise santé et 1,34 fois plus de risques de devenir obèses que ceux qui ne le sont pas.
Or, ce risque est insuffisamment identifié par les politiques de santé publique : au-delà de la fragilisation des individus et de leurs familles, c’est l’équilibre même des régimes de Protection sociale qui se voit impacté. Cette réalité est mal connue et peu documentée.
Pour autant, face à ces chiffres dévastateurs, aucune mesure n’est prise pour enrayer ce drame. Si le demandeur d’emploi touche un salaire de substitution, ce qui est le cas puisque l’Unédic verse en lieu et place les cotisations retraite aux différents organismes concernés, comment expliquer alors qu’il ne bénéficie pas de la médecine du travail ? Comment expliquer que l’on mobilise des aides à la rédaction de CV, des conseils de « relooking » et que l’on oublie la « santé au chômage » ?
Et si on obligeait le demandeur d’emploi comme pour un salarié, à une visite médicale une fois par an.
Et si on confiait cette consultation à la médecine du travail. D’autant que la segmentation de cette population mise en oeuvre par Pôle emploi faciliterait grandement la gestion opérationnelle de cette proposition. Dénoncer en permanence les difficultés d’accès aux soins, dénoncer les déserts médicaux, affirmer à juste raison que le chômage est un chemin privilégié vers la pauvreté est nécessaire mais pas suffisant. Et si on profitait des structures existantes, et si on élargissait notre conception d’un État social !