Par Sophie Albert-Sutterliti
Directrice Générale de l’hôpital de Ville-Évrard
Ne cherchons plus ce qu’il faut faire : agissons sur la pénurie des effectifs en encadrant, en formant, en régulant un marché où les acteurs sont en permanente concurrence. Vouloir tout faire est impossible mais renoncer devant la complexité est délétère : donnons-nous un échelon politique de coordination d’acteurs encore trop cloisonné et des outils de financements partagés.
Les rapports, les articles, les études se succèdent et les constats convergent : prévention, dépistage, réduction des hospitalisations, réhabilitation psychosociale, respect de la diginité, destigmatisation : les objectifs sont partagés depuis des années. Pourtant la psychiatrie plonge dans une crise alarmante et il devient de plus en plus difficile de répondre à cet enjeu de santé publique considérable.
La santé mentale est, parmi les pathologies chroniques, celle qui touche le plus grand nombre de personnes. Les maladies psychiatriques concernent 2,1 millions de personnes. Toutefois, si l’on ajoute les 5,1 millions de personnes avec un traitement par psychotrope, ce sont plus de 7 millions de personnes qui ont été prises en charge pour une pathologie ou un traitement chronique en lien avec la santé mentale.
Le coût économique et social des troubles mentaux a été évalué par le comité stratégique de la santé mentale et de la psychiatrie du 28 juin 2018 à 109 milliards d’euros par an, dont :
• 65 milliards pour la perte de qualité de vie,
• 24,4 milliards pour la perte de productivité liée au handicap et aux suicides,
• 13,4 milliards dans le secteur médical,
• 6,6 milliards pour le secteur médico-social.
Ces chiffres permettent de conclure que le coût des pathologies mentales est bien supérieur aux dépenses directement engagées pour la psychiatrie (secteur sanitaire, dépenses de l’Assurance maladie).
L’organisation vers laquelle un consensus existe devrait permettre de garantir au patient un parcours de soins fluide où il serait suivi par un médecin traitant et un spécialiste. En cas de besoin, il serait accueilli à l’hôpital pour un séjour court, l’aval serait organisé entre un accueil médicosocial, un retour à domicile, un habitat inclusif, un foyer, une famille d’accueil. Il n’y aurait plus de « sans solution »…
Ainsi, en fonction de son état de santé, le patient se verrait proposer une prise en charge répondant à son besoin y compris pour les situations particulières (détenus en crise, patients difficiles). La prise en charge serait rapide, assurée par des professionnels formés aux dernières évolutions de l’état de l’art, en nombre suffisant et il serait admis dans une structure adaptée à la complexité de son état à toutes les étapes de sa vie (enfance, adolescence, adulte et gériatrie). Enfin, il bénéficierait d’un suivi somatique adapté à son handicap psychique.
N’oublions pas que dans ce monde idéal la maladie serait maîtrisée autant que possible grâce à une politique de dépistage précoce mais aussi des actions sur des déterminants de santé aussi large que l’éducation, l’environnement et la réduction des inégalités sociales dont on sait que plus elles sont importantes, plus la prévalence des troubles mentaux augmente.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
• Un déficit de médecin hospitalier qui conduit à la fermeture de lits et à la dégradation de l’offre ambulatoire.
Et pourtant la France a un taux de 22,9 psychiatres pour 100 000 habitants, la plaçant au-dessus de la moyenne européenne (moyenne 19,95 avec des écarts considérables 51,8 en Suisse, 9,2 en Pologne). Alors pourquoi un tel constat de pénurie dans le secteur public et dans certaines régions ? Il n’existe aucune régulation d’installation et des rémunérations. Le taux de psychiatres en France métropolitaine va de 12,6 en Champagne-Ardenne à 29,1 en PACA. Quant aux rémunérations standardisées par l’âge, elles sont en moyenne de 94 500€ (+38 %) par an pour les psychiatres libéraux, à 79 500€ (+16 %) pour ceux qui exercent en clinique privée et de 65 800€ (- 4 %) dans l’hôpital public alors que ce dernier réalise 80 % de l’activité psychiatrique. Le faible choix de la psychiatrie à l’internat est également un facteur d’inquiétude.
• Des professions paramédicales en tension :
Au déficit des infirmières s’ajoutent des métiers nécessaires en psychiatrie comme les orthophonistes, les ergothérapeutes, les psychomotriciens, les éducateurs spécialisés. Des solutions sont amorcées mais il faut vraiment les intensifier : apprentissage, formation initiale, passerelle de reconversion doivent permettre d’abonder ces métiers essentiels et parfois peu connus dans la prise en charge des patients atteints d’un handicap psychique.
• Des acteurs mobilisés qui ont répondu aux attentes des pouvoirs publics, à travers la mise en place des communautés psychiatriques de territoires et l’élaboration des plans territoriaux de santé mentale.
L’objectif de cette mobilisation est l’organisation générale d’un parcours intégrant les différentes étapes du soin en identifiant tous les opérateurs susceptibles d’apporter leur concours, à un stade ou à un autre du parcours du patient, puis d’établir des modes de coopération et en les formalisant si possible. Même s’il ne sera pas possible de réaliser l’ensemble des plans d’actions remis dans chaque territoire, les arbitrages doivent être clairs et les acteurs doivent être soutenus pour que l’ensemble de ces travaux ne reste pas lettre morte. Il serait délétère de ne pas réaliser une partie de ces propositions. Les outils existent mais la coordination doit être politique car les acteurs impactés sont multiples : sanitaires public et privé, médicosocial, social, sans oublier l’éducation nationale, les PMI, la police et la justice. Une coordination forte au niveau régional doit se dégager : par les ARS ou par un échelon politique comme la région ou le département mais sans cette volonté de décloisonnement on risque de démobiliser les professionnels du terrain.