Par Michel Monier
Ancien Directeur Général Adjoint de l’Unédic
Objet de tous les soins des politiques publiques, le chômage et son indemnisation font régulièrement l’actualité. Il s’agit, réforme après réforme, de rendre le dispositif plus incitatif à la reprise d’emploi, plus égalitaire et moins coûteux.
L’indemnisation du chômage a été profondément réformée, bien davantage que par les divers ajustements paramétriques, par la suppression de la cotisation salariée à laquelle la CSG est venue se substituer, la cotisation « employeur » étant seule maintenue.
Réforme profonde donc par l’évolution du mode de financement qui fait disparaître la participation du salarié à la couverture du risque chômage au bénéfice d’un système associant la solidarité (CSG) et une cotisation de l’employeur. Ce caractère nouveau est encore affirmé par la modulation de cette cotisation employeur, pour certains secteurs, selon l’intensité du recours à des contrats courts. En maintenant la seule contribution de l’employeur, cette réforme du financement fait de lui l’assuré non pas contre le risque de chômage mais contre les risques d’une rupture du contrat de travail !
C’est là la logique nouvelle qui pointe sous cette réforme. L’employeur seul cotisant à la « caisse chômage » souscrit comme une police de responsabilité civile qui, avec le concours financier de la collectivité, finance l’indemnisation des conséquences du dommage, pour le salarié, de la rupture du contrat de travail.
Alors, et si… et si on poussait cette logique jusqu’au bout ? Ne s’agit-il pas aujourd’hui non plus d’une assurance chômage mais d’une assurance-employeur contre les conséquences de la rupture du contrat de travail pour son salarié « co-contractant » ? La réforme du financement de l’indemnisation du chômage ne met-elle pas l’employeur face au risque chômage dans la même situation que celle vis-à-vis du risque Accident du Travail-Maladie Professionnelle (AT-MP) ? N’assure-t-il pas, au bénéfice de ses salariés, un risque professionnel : celui de la perte d’emploi résultant de la rupture d’un contrat ?
« L’agenda social autonome pour un paritarisme utile, renouvelé accompagnant les transition » que le Medef proposait, en février dernier, aux partenaires sociaux ne va-t-il pas dans ce sens ? Entre autres thèmes de discussion, cette invitation souhaitait la « mise en place d’un organisme paritaire de gestion de la branche AT-MP » et proposait d’« évaluer l’opportunité d’un changement de modèle en matière de gestion de la branche AT-MP en proposant un modèle de gestion autonome des ressources correspondantes ». Ce que l’on nomme Assurance chômage dont les partenaires sociaux sont aujourd’hui exclus de la négociation ne s’est-elle pas, de fait, rapprochée du modèle AT-MP ?
Pousser la logique de cette réforme jusqu’au bout c’est voir que le risque assuré n’est plus le chômage mais bien la rupture du contrat de travail. C’est l’assurance d’un risque qui résulte de la politique, de la stratégie de l’employeur. À l’instar du risque AT-MP pour lequel l’employeur met en œuvre diverses mesures de prévention et de protection, il dispose d’outils de gestion des risques associés à la rupture du contrat de travail : la GPEC, la formation professionnelle, la VAE… sont des instruments sinon de maîtrise totale du risque du moins de sa gestion, de son anticipation, de sa prévention.
Pousser cette logique jusqu’au bout c’est aussi faire de la prévention de la perte d’emploi un sujet qui donnerait aux ordres du jour des Comités économiques et sociaux une belle ambition : celle de la responsabilité partagée des représentants des salariés et de l’employeur.
Au niveau national, les Partenaires sociaux auraient un grain à moudre d’une autre teneur que la négociation des paramètres de l’indemnisation qui leur a échappée : la négociation des outils du maintien dans l’emploi, de l’évolution des compétences. Autant de questions qui, pour reprendre les mots de la lettre du Medef, font de l’entreprise le lieu qui permet à nos concitoyens d’amplifier le sens du collectif. Des sujets qui, à l’évidence, renouvelleraient le paritarisme, un paritarisme utile, accompagnant les transitions.
Alors, en poussant cette nouvelle logique du chômage conçu comme un risque professionnel, la cotisation employeur pourrait être objectivement modulée, comme le sont les cotisations AT-MP, en fonction des moyens et des résultats obtenus dans la prévention du risque rupture du contrat de travail-chômage.
La réforme du financement de l’indemnisation du chômage ne propose-elle pas un nouveau paradigme : celui de « tout essayer pour l’emploi » après avoir « tout essayé contre le chômage » ?
Alors, et si… on gérait le chômage comme un risque professionnel ?