Tribune
Hervé CHAPRON & Michel MONIER
Membres du CRAPS, respectivement anciens Directeurs Généraux Adjoints de Pôle emploi et de l’Unédic et auteurs de « Penser le social – 5 questions pour 2022 »
Episode 8 sur 8 de la série réalisée en partenariat avec le Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP)
Keynes prédisait la fin du travail1, Rifkin2 celui de l’emploi. L’industrie sans usine3 d’abord, l’ubérisation ensuite, la valeur ajoutée à travers la matière grise et non plus dans les tournevis, le télétravail enfin auraient concrétisé ces prophéties.
L’un et l’autre ne se seraient-ils pas trompés ? Moins qu’une disparition annoncée, la question n’est-elle pas celle de l’évolution récente des formes du travail qui mettent à mal le contrat social objet de multiples réflexions, quelquefois amendé, jamais adapté à la nouvelle économie.
L’allégement voire l’exonération des cotisations sociales devenues charges, l’économie de services aux emplois peu qualifiés, le chômage et les emplois de courte durée, l’émergence d’emplois non-salariés, de facto peu socialisés et donc peu financeurs ont asséché durablement le financement du système. L’impôt a remplacé la cotisation. La confusion entre assurance sociale et solidarité depuis les Trente piteuses a achevé le processus d’éloignement du financement fondé sur la logique travail.
Le prélèvement obligatoire et la redistribution ont comblé le besoin croissant de financement social mais aussi pesé sur la compétitivité, créé des pièges à bas salaires : le rôle de l’État s’est affirmé. Il est devenu gérant et non plus garant du système.
L’opprobre jeté sur les corps intermédiaires4, le faible taux de syndicalisation, une technocratie forte de ses échecs ont muselé le dialogue social, tant par le rétrécissement de son champ d’action que par les processus de sa saisine.
Pour autant, dans une économie de services, avec les perspectives du développement de l’IA, de la robotisation inéluctable, du renversement de la proportion capital financier/ressources humaines, l’Entreprise reste le lieu privilégié de création de la valeur : la transformation du modèle de protection sociale doit suivre la même évolution et abandonner son ancrage « travail » sous peine non de disparition mais de changement de nature : un système fondé exclusivement sur l’assistance.
Les acteurs économiques et sociaux ont un rôle nouveau, fondamental à jouer : celui de socialiser la création de valeur et non plus le seul travail salarié. Représenter toutes les formes d’emploi sans distinction de statut et non plus les seuls salariés : c’est là le nouveau monde d’une protection sociale refondée qui permettra de continuer à « ne pas courber l’échine5 » !
1 Keynes. « Perspectives économiques pour nos petits-enfants ». 1930.
2 Rifkin. « La fin du travail ». 1998.
3 Serge Tchuruk. 2001.
4 Nicolas Sarkozy. Discours de la Concorde. 15 avril 2012.
5 René Teulade. Ministre des affaires sociales et de l’intégration de 1992 à 1993 du gouvernement Pierre Bérégovoy.
