Bruno Valersteinas
Directeur général adjoint de La France Mutualiste
La Protection sociale désigne l’ensemble des dispositifs collectifs permettant aux individus de faire face, tout au long de leur vie, aux risques « sociaux » susceptibles d’affecter leur sécurité économique : vieillesse, maladie, invalidité, chômage, etc. En France, le système mis en place autour de la Sécurité sociale constitue un des grands acquis sociaux du XXe siècle : reposant sur des principes de solidarité et d’universalité, respectueux des facultés contributrices de chacun, il est au cœur de notre contrat social.
Dans ce système, le risque « vieillesse » est une branche essentielle. Ayant tôt fait l’objet de dispositions spécifiques (le premier système d’assurance vieillesse obligatoire pour les salariés date des lois de 1910 et 1928), son organisation n’a cessé d’être réformée, en particulier lors des trois dernières décennies. Cette boulimie réformatrice est la conséquence de la dégradation des conditions de financement des retraites : vieillissement de la population, baisse de la part des actifs, épuisement des régimes obligatoires et recul du taux de remplacement, la vieillesse tend à redevenir ce que le système de Protection sociale avait voulu effacer : un facteur d’insécurité pour les individus.
Cette fragilisation n’épargne pas les militaires. En 2018, 67 % des militaires du rang, pour lesquels la pension militaire de retraite acquise pour motif d’ancienneté est entrée en paiement, ont perçu une pension brute mensuelle d’un montant inférieur à 1 000 euros1.
Face à cette équation inédite, le développement de la retraite « supplémentaire » apporte un début de solution. Troisième pilier de notre système de retraite, elle regroupe les produits d’épargne permettant aux individus de constituer pendant la vie active des revenus qui, à la retraite, compléteront la pension versée par l’État. À ce jour, l’épargne retraite reste faible en France : à peine 2 % du total des prestations versées. Elle pourrait toutefois progresser à l’avenir : c’est l’un des objectifs de la loi PACTE adoptée en mai 2019, qui a modernisé un dispositif jusqu’alors complexe et hétérogène.
Dans ce cadre, un produit mériterait davantage de lumière : la Retraite mutualiste du combattant (RMC).
Produit bientôt centenaire, la RMC a été instituée par la loi du 4 août 1923 – ce qui en fait le premier produit d’épargne retraite en France. Ouverte aux combattants et victimes de guerre au titre du droit à réparation pour services rendus à la Nation, chaque génération de combattants depuis la Grande Guerre a été autorisée à en bénéficier. Dispositif éprouvé par le temps, la RMC reste d’actualité : elle est une réponse pertinente au défi de la préparation de la retraite, tout en s’inscrivant pleinement dans la logique de progrès qui a porté le développement de la Protection sociale en France :
• c’est un produit « sécuritaire » : garantissant le capital épargné, il permet de bénéficier d’un complément de revenu sous forme de rente à l’échéance de la retraite ;
• c’est un produit « solidaire » : il repose sur le principe de la mutualisation des risques entre les assurés, mais aussi – solidarité cette fois de la Nation – sur le soutien financier de l’état (revalorisation de la rente, exonérations fiscales et sociales) ;
• c’est un produit « universel », enfin : des militaires du rang aux officiers généraux, elle profite à toutes les couches sociales et assure un avantage substantiel à chaque adhérent.
De fait, ces caractéristiques s’expriment largement dans les valeurs du mutualisme, dont les organismes aujourd’hui habilités à proposer la RMC sont issus.
Pour autant, la RMC reste peu connue, sinon confidentielle. C’est que l’État, curieusement, ne cherche pas à la promouvoir. Alors qu’il impose aux organismes en charge de la Protection sociale complémentaire des militaires de proposer des garanties santé et prévoyance, l’offre retraite n’est pas obligatoire. De surcroît, les conditions d’accès aux militaires sont, dans les faits, pour le moins difficiles, ce qui ne facilite pas leur information. Le paradoxe est notable : alors que la faible culture financière des Français est unanimement considérée comme un frein au développement de l’épargne retraite, la condition du militaire ne lui laisse, a fortiori, ni le temps ni les moyens d’envisager avec sérénité la préparation de sa retraite.
Aujourd’hui, la donne socio-économique autant que la volonté politique favorable à l’épargne retraite invitent à donner à la RMC une nouvelle vigueur. L’enjeu est double. Lui donner plus de visibilité, d’une part : la communauté de Défense gagnera à une meilleure information sur les enjeux de la retraite, dans les bases, auprès des anciens combattants qui ont rejoint la société civile, au sein des militaires d’active en général. Lui donner une nouvelle jeunesse, d’autre part : pourquoi ne pas proposer des RMC « nouvelle génération » qui s’inspireraient des dispositifs créés par la loi PACTE ? Des dispositifs qui desserreraient la dépendance vis-à-vis des fonds euros (laquelle pèse sur le rendement servi aux adhérents autant que sur l’équilibre financier des assureurs), en favorisant une gestion financière à long terme plus adaptée à l’horizon de la retraite.
Il ne s’agit pas ici de remettre en cause ce qui a pu faire ses preuves : il faut préserver les RMC en cours, continuer de s’appuyer sur les organismes référencés qui la distribuent. Mais à l’approche de son centenaire, le moment est venu de dynamiser et enrichir ce dispositif, comme la loi PACTE s’y est employée pour les dispositifs « grand public », individuels et collectifs.
Depuis bientôt un siècle, la RMC a imposé la légitimité et la viabilité de son modèle : elle dispose aujourd’hui des capacités pour s’adapter aux enjeux du monde contemporain. Pour cela, elle pourra compter sur l’aptitude à l’innovation sociale dont a fait preuve le mouvement mutualiste au cours de l’Histoire. à ces conditions, la RMC prendra toute sa mesure : un dispositif financier venant répondre à un besoin social, en même temps qu’un outil de reconnaissance pour ceux que leur engagement – à l’image des premiers de cordée ou des premiers de corvée – a portés en première ligne.
1 Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, 2019.