Dr Émile-Roger Lombertie
Maire de Limoges, ancien psychiatre des hôpitaux & Coprésident de la commission santé de France Urbaine
Pour le maire, la santé mentale est l’équivalent de l’harmonie, de la tranquillité, du bien-être, proche du bonheur : le nirvana, car il pourrait s’en prévaloir et profiter de la paix qu’elle lui apporte. La maladie mentale recouvre, elle, tout ce qui est violence, désordre, réactions brutales ou inadaptées tant au sein de la famille que dans le reste de la société, criminelles ou non. Bref, est pathologie mentale tout ce qui vient perturber l’ordre établi, entre Utopie et généralisation stigmatisante. Une horreur pour un maire.
L’abandon du concept d’aliénation a renforcé le déni de l’importance des conséquences de la fragilité psychologique et des maladies mentales sur l’aptitude de ceux qui les portent à organiser, réfléchir et défendre leur liberté et leur autonomie. Les recherches scientifiques sur l’ensemble de ces pathologies à côté de beaux succès thérapeutiques ont fourni prétexte à complexifier davantage le modèle de soins auquel nos concitoyens ont de plus en plus de mal à faire appel par la création d’hyperspécialistes au sein de la spécialité.
Vu du bureau du maire pour avoir accès à un avis psychiatrique le parcours s’est singulièrement complexifié ces 10 dernières années sous l’effet de la gestion ultralibérale des ARS qui n’ont eu de cesse d’augmenter les processus mais avec une constante diminution des lits et dédales de contraintes. Le même service dans le même département repose sur : hôpitaux spécialisés publics et privés, services et consultations dans les hôpitaux généraux publics et privés, territorialisation des soins par secteur plus gestion hors territorialité, soins sous contrainte et soins libres gérés par des lois et règlements différents, services d’urgences, psychiatres privés et consultations de dispensaires. « La maison qui rend Fou » : pour pouvoir accéder aux soins en phase aiguë, réhabilitation, en hôpital de jour ou en consultation, il faut trouver un spécialiste capable de dire si vous en relevez : alors, il faut trouver l’entrée du parcours patient qui serait le même que le parcours patient : le médecin généraliste. Il lui est fait trop souvent la réponse typique de Doctolib pour la vaccination anticovid : il n’y a pas de place. Sans consultation psychiatrique d’orientation, comment savoir si la souffrance est liée à une difficulté psychologique ou à un trouble plus grave. Le cas des difficultés psychosociales des étudiants en période de COVID en est un bel exemple avec l’incapacité de trouver une porte d’entrée pour accéder à un bilan psychologique. Le pire, dans le système psychiatrique, me semble être l’accès aux consultations auprès de psychiatres d’enfants. L’augmentation des tentatives de suicides chez les plus jeunes me semble largement due à des retards de consultations pour des souffrances psychologiques non prises en compte et se résolvant dans des passages à l’acte désespérés comme l’expriment les médecins généralistes, les professionnels et les familles. Nous devrons très vite simplifier l’organisation générale pour la rendre plus visible, faciliter le premier contact et les recours en mettant l’accès libre au spécialiste en psychiatrie et en s’appuyant systématiquement, après coup s’il n’est à l’origine du contact, sur le médecin généraliste quand les patients en possèdent un. L’idée des psychologues et des infirmiers en première ligne est intéressante (je l’ai appliquée pendant 40 ans) à la condition d’avoir une équipe complète avec des psychiatres disponibles et ouverts, qui puissent s’épauler, au service des patients.
En termes de réalisation dans le but d’aider la population et les professionnels de santé, nous avons créé le Comité local de santé mentale dont la mission est de mobiliser rapidement des ressources pour tous les problèmes psychosociaux signalés. Tous les troubles liés à une grande violence comportementale semblant reposer sur des troubles mentaux patents font l’objet, à la demande des familles et ou des médecins généralistes, d’une intervention rapide de la police et d’une hospitalisation sous contrainte signée par l’élu au vu du certificat médical du médecin si le patient refuse l’hospitalisation. Cette procédure apparemment banale immobilise médecins et policiers durant des heures autour d’un agité, et il convient de réduire les temps d’attente pour ne pas créer de circonstance de violence aggravée. J’avais instauré en matière de prévention de l’autisme, le bilan systématique psyco-développemental pour les enfants accueillis dans les crèches de la ville de Limoges. Pour tous les citoyens en situation de handicap psychique, nous avons favorisé l’accès au logement en travaillant avec les bailleurs. Enfin, nous avons développé les résidences intergénérationnelles et les logements accessibles avec aide domotique. En cinq ans, nous avons réinséré l’ensemble des personnels administratifs de la collectivité (plus de 150) souffrant de limitation d’aptitude par application de la loi 2005/102 en nous appuyant sur l’évaluation de leurs capacités restantes et en adaptant leurs postes de travail.
En tant qu’ancien psychiatre, je suis régulièrement confronté aux demandes des patients mais aussi de leurs familles. La dimension sociale des troubles mentaux est aussi un marqueur important de l’évolution de notre société. Par le biais du CCAS, nous avons mis en place des aides d’urgence et un accompagnement pour tous ceux dont la maladie va de pair avec un abandon de leurs droits sociaux et une marginalisation. Nous les aidons à conserver un statut social, à revenir vers les soins, où trop souvent ils sont refusés pour des motifs inacceptables. À affirmer que la maladie mentale est une maladie comme une autre, nos penseurs ont fini par amalgamer les problématiques de la psychiatrie classique issues de la clinique européenne et celles des errances de la psychiatrie anglo-saxonne sans avoir su prendre le meilleur des deux. C’est un challenge que nous devons relever.