Robin Mor
Directeur adjoint en charge des relations publiques MNH-nehs & ancien Directeur de clinique psychiatrique
Pour une psychiatrie sous article 51
« La psychiatrie est à la veille d’une profonde transformation de son modèle de financement, et par conséquent de son modèle de fonctionnement. »
Cette affirmation, nous l’entendons toutes et tous depuis de nombreuses années. Maintes fois annoncée, la « révolution » de la psychiatrie n’a pourtant pas encore eu lieu. Et les derniers reports de calendrier confirment que la tendance n’est pas vraiment à l’accélération.
Une occasion rêvée pour se réinterroger sur le futur modèle que nous souhaitons pour les patients et professionnels ? Ce serait terriblement préjudiciable de ne pas s’en saisir, au risque de poursuivre dans la voie d’une normalisation et d’une standardisation à tous crins de ce secteur. Lequel ne saurait rentrer dans un canevas trop étriqué.
Car s’il y a bien un secteur dans lequel la complexité doit prendre toute sa place, de la structuration des parcours de santé jusqu’aux modèles de financement, en passant par la coopération des professionnels ou encore les modes de régulation de l’offre, c’est bien celui de la psychiatrie.
Une complexité contre-intuitive pour qui, parlementaire comme administration, a reçu comme mission de définir une réglementation avec nos outils juridiques et financiers classiques. Le système de santé français a, en effet, toujours eu pour habitude de définir des normes dans lesquelles les acteurs de santé doivent se glisser, plutôt que d’offrir une liberté organisationnelle dans une logique de contractualisation et de rapports de confiance.
Et pourtant, le législateur a imaginé un dispositif qui pourrait être parfaitement adapté pour réinventer la psychiatrie française : l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018.
« Un dispositif permettant d’expérimenter de nouvelles organisations en santé reposant sur des modes de financement inédits », de l’aveu même du ministère des Solidarités et de la Santé. Un mécanisme opérant « dès lors que ces nouvelles organisations contribuent à améliorer le parcours des patients, l’efficience du système de santé, l’accès aux soins ou encore la pertinence de la prescription des produits de santé ».
De là à l’envisager comme le régime commun plutôt que comme l’exception ? Pourquoi pas ?
Car y a-t-il une seule vérité en matière de prise en charge en psychiatrie ? N’y a-t-il pas en réalité une multitude d’organisations et de prises en charge, différentes bien que toutes pertinentes et opérantes ?
Une diversité assortie d’une série de points communs. La transversalité des prises en charge (santé mentale et physique), la diversité des intervenants (médicaux, paramédicaux, etc.) ou la structuration de véritables parcours (ville, hôpital, médicosocial, social) n’en sont que quelques exemples.
Comment laisser toutes ces organisations complexes s’exprimer, au bénéfice des patients, dans un cadre trop contenu ?
Dès lors, laissons-nous la liberté de renverser la table de notre méthode de régulation.
Laissons les professionnels de la psychiatrie construire les filières et les parcours, dans les territoires, pour répondre aux besoins de santé de la population, en tenant compte des outils et des structures existants et de ceux qui seraient nécessaires.
Ces projets pourraient, dès lors, être portés par une pluralité d’acteurs : publics, privés, hospitaliers, ambulatoires, médicosociaux, etc.
Autant d’acteurs qui peuvent être aujourd’hui enfermés dans une logique de concurrence dans le cadre de la régulation de l’offre, et qui seraient alors appelés à s’inscrire dans une démarche partenariale, si ce n’est contraints de le faire.
Laissons-les, avec les patients, proposer ces projets aux agences régionales de santé, assortis d’une demande de financement ad hoc correspondant à des éléments factuels et objectivables.
Aux agences de réaliser leur travail de régulateur : vérifier la corrélation du projet avec les besoins de santé identifiés dans ses outils de planification, dialoguer avec les porteurs du projet sur les moyens financiers à allouer, proposer des pistes d’amélioration à la proposition initiale, faciliter les coopérations, etc.
Un véritable dialogue de gestion en somme. Un véritable modèle fidèle à l’esprit de l’article 51.
Les projets validés seraient alors contractualisés, dans le sens étymologique du terme, dans des contrats d’objectifs et de moyens qui porteraient enfin convenablement leur nom. Des engagements seraient pris par les opérateurs, et contrôlés par l’agence régionale de santé, assortis de sanctions en cas de contravention aux objectifs.
Pour que ce modèle puisse prospérer, la psychiatrie aura besoin de progresser sur sa capacité à objectiver ses résultats, lesquels permettront de vérifier si les parcours construits ont bien rempli leur mission. Sujet encore malheureusement parfois perfectible.
Cette analyse des résultats est un impératif pour permettre un lien de confiance avec le régulateur, la population, les pouvoirs publics, et entre les différents opérateurs eux-mêmes. Sans cette confiance, ce modèle ne pourrait prospérer.
Cette psychiatrie sous article 51 reste en l’état de cette proposition perfectible, mais pose les bases d’une nouvelle logique. Celle-ci remet en son centre l’organisation des soins plutôt que la régulation financière. Elle ne nie pas cette dernière, mais la remet à la place qui doit être la sienne : un moyen à la prise en charge des patients.
Loin d’être une proposition purement utopiste, formulée par un rédacteur en retrait de ces activités, la psychiatrie sous article 51 pourrait être une véritable occasion de réinventer ce secteur, ô combien essentiel, de notre système de santé.
Un secteur d’avenir, exemplaire, où l’innovation et l’initiative de terrain n’attendent que le droit et les moyens pour s’exprimer au service de la population !