Dr Marion Espitalier
Psychiatre au CReSERC du CHU de Nantes, CReHab’S et CReHPsy des Pays de la Loire
« Notre rétablissement est un chemin individuel de transformation non linéaire qui nous conduit à vivre une vie qui nous satisfait, riche et pleine de sens. On accueille notre nouvelle réalité, on apprend à se connaître. On apprend à prendre soin de nous, à nous entourer, à trouver les activités qui nous correspondent. On accepte aussi nos limites et on découvre en nous-mêmes tout un potentiel de nouvelles possibilités. On identifie nos besoins et aspirations et on retrouve le pouvoir d’agir dans le monde, vers ce qui est bon pour nous. […] ». Témoignage de pairs aidants de Nantes.
Le rétablissement est une évolution des troubles psychiques qui diffère des notions de guérison, de rémission clinique ou fonctionnelle. Il fut d’abord défini par des personnes concernées par des troubles psychiques comme un processus dans lequel la personne gagne en espoir, élargit son engagement social et contrôle ses soins et sa vie1. C’est une reconstruction des normes vitales, un chemin qui s’appuie sur les besoins, les aspirations mais aussi les limites de la personne plutôt que sur des références extérieures.
Les éléments constituants du rétablissement sont :
• espoir et optimisme,
• affermissement d’une identité positive,
• reconstitution du sens,
• restauration d’un pouvoir d’agir,
• l’importance fondamentale des relations humaines.
Il comporte plusieurs étapes, de la phase de moratoire – déni, colère et désespoir – à celle de croissance – bien-être et redéfinition de soi2. Le processus n’est pas linéaire ; une personne peut se considérer en rétablissement malgré la persistance de certains symptômes3.
Un nouveau paradigme pour les soins
Progressivement reconnu par les professionnels comme possible, voire largement accessible, le rétablissement est au centre d’une évolution majeure des pratiques.
Si seules les personnes concernées peuvent réaliser ce cheminement, il est clair que pour le soutenir, ou au moins ne pas l’entraver, le rôle des soignants est déterminant. Il s’agit de mettre en œuvre des conditions propices à son développement. La compréhension et l’appropriation du paradigme, l’ajustement de la posture et l’engagement dans de nouvelles modalités d’accompagnement sont un enjeu majeur.
Un changement d’objectifs pour soutenir l’espoir
Les soins sont traditionnellement axés sur l’amélioration des symptômes et la prévention des rechutes. Si ces objectifs restent importants dans les soins orientés rétablissement, les cibles principales y sont la qualité de vie et les objectifs propres de la personne.
Il s’agit de susciter et renforcer l’espoir : que le rétablissement existe, qu’il est potentiellement accessible pour tous. Cet espoir, partagé par tous, devient un objectif commun. Les aspirations des usagers sont considérées comme primant celles jugées « réalistes » par les professionnels, qui n’ont pas plus d’expertise que le sujet lui-même sur ce qu’il serait en capacité de réaliser à l’avenir. Seule l’évaluation objective avec la personne de ses capacités et des obstacles à surmonter permet d’éviter un irréalisme naïf.
Un changement de posture pour soutenir le pouvoir d’agir et l’autodétermination
La prise en considération du savoir « expérientiel » est centrale, l’individu étant considéré comme détenteur d’un savoir d’expérience, acteur, capable de décider pour lui-même en dehors des situations aiguës de mises en danger. Les soignants passent d’un statut d’expert légitimant un pouvoir, à une posture de partenariat collaboratif, mettant à disposition leurs compétences professionnelles, outils, réseaux, au service de la personne. Celle-ci, placée au centre de ses soins et des décisions qui la concernent, acquiert un sentiment de contrôle et de responsabilité. La valeur de ce savoir d’expérience est incarnée par la pratique de la pair-aidance, incluant au sein des services de soins des personnes concernées par les troubles et l’expérience du rétablissement.
« Tout service, traitement, intervention ou soutien doit être jugé en fonction du critère qui suit – dans quelle mesure me permet-il de mener la vie que j’ai choisi de mener ?4 »
Une attention portée à la personne pour accompagner la reconquête d’une identité nouvelle
Patricia Deegan, psychologue et chercheuse américaine souffrant de schizophrénie, a publié de nombreux travaux sur le rétablissement5. Elle décrit l’expérience de la maladie comme la perte d’une identité multiple, riche et intégrée, pour une identité restreinte et occluse de « malade mentale ». Le rétablissement est la reconquête d’une identité nouvelle, comportant des limitations comme de nouvelles possibilités.
Les accompagnants, soignants, aidants ont possiblement leur place dans l’accompagnement de ce cheminement : par la recherche obstinée des ressources propres, de l’humain au-delà des troubles, de l’expérience au-delà des symptômes. Par le non-renoncement au « vivant » chez chacun, au potentiel de rétablissement de tous.
« Je voudrais que tous les gens qui sont dans cette situation se souviennent que quoi qu’il leur soit arrivé dans leur vie, une part d’eux-mêmes demeure intacte. Accompagner les personnes qui souffrent d’un trouble psychique dans la reconquête de cette part d’eux-mêmes qui est intacte, pourrait être une très belle définition du rétablissement. » Philippa Motte, parlons psy, 9 décembre 2019.
Vers un rétablissement sociétal ?
Ainsi, les pratiques orientées rétablissement constituent un changement de taille : mettant la personne et son projet de vie au cœur des soins, la relation d’aide collaborative comme paradigme d’accompagnement, elles préservent et nourrissent la vie chez chaque personne malade. Cette horizontalisation de la relation d’aide contribue en soi à la déstigmatisation et la normalisation des pathologies psychiques, reconnaissant en chaque humain l’existence d’une santé mentale potentiellement fragilisée par des facteurs de stress ou de vulnérabilité.
Les sociétés actuelles rencontrent des difficultés à être au service du « vivant » de manière pérenne… Promouvoir des soins orientés rétablissement n’est-il pas une nécessité dans ce contexte ? N’ouvrent-ils pas ainsi un champ des possibles, vers un rétablissement sociétal ?
1 Evidence-Based Processes in an Era of Recovery : Implications for Rehabilitation Counseling and Research [Internet]. [cité 25 juin 2020]. Disponible sur : http://connection.ebscohost.com/c/articles/96284700/evidence-based-processes-era-recovery-implications-rehabilitation-counseling-research
2 Andresen R, Caputi P, Oades L. Stages of recovery instrument : development of a measure of recovery from serious mental illness. Aust N Z J Psychiatry. déc 2006 ; 40(11‑12) : 972‑80.
3 Shepherd G, Boardman J, Slade M. Faire du rétablissement une réalité : 29.
4 Repper J, Perkins R. Social Inclusion and Recovery : A Model For Mental Health Practice [Internet]. undefined. 2003 [cité 28 janv 2021]. Disponible sur : /paper/Social-Inclusion-and-Recovery % 3A-A-Model-For-Mental-Repper-Perkins/d4cb6ec531714b2979e3660dfe81809562e65ba0
5 Deegan PE. Recovery as a Self-Directed Process of Healing and Transformation. Occupational Therapy in Mental Health. sept 2001 ;17(3/4):15.