Thibaud Bertrand
Chargé de projets relation acteurs et territoire au Département Parcours des Personnes Âgées à la Direction de l’Offre de Santé et en faveur de l’Autonomie au sein d’une agence régionale de santé
Problématique : durant des décennies, le versant sanitaire de la psychiatrie a pris le dessus dans la perception de l’opinion publique de nos sociétés contemporaines des sujets liés aux enjeux de santé mentale. Pourtant, l’OMS définit bien la santé comme étant « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». La crise Covid met également en exergue que s’il existe un sujet lié à la prise en charge des malades de ce virus, les conséquences de la pandémie créent même pour certains une épidémie dans l’épidémie. Cela nécessite donc encore plus de mettre en avant les moyens et dispositifs créés en France pour décloisonner les secteurs sanitaire et médicosocial, d’affirmer les enjeux de prévention, pour faire face aux enjeux de la santé mentale.
Ces dernières années, des mouvements législatifs majeurs sont intervenus à mesure que les acteurs étaient en capacité d’entreprendre les démarches des pouvoirs publics.
Les Projets territoriaux de santé mentale : un tournant espéré dans le travailler-ensemble
La mise en place des PTSM a été instituée en 2016 par la loi de modernisation du système de santé, mais s’est véritablement déroulée sur la phase 2019/2020 dans la grande partie du territoire national. Le PTSM a vocation de permettre une certaine harmonisation et à englober l’ensemble du territoire départemental dans sa mise en œuvre d’actions pluri partenariales. Ce qui est principalement attendu ici, c’est de renforcer la coordination des acteurs, de faciliter la recherche de solutions graduées et complémentaires dans le parcours de l’usager.
Plusieurs cloisons existent : celle du secteur psychiatrique public avec le secteur privé, celle du secteur médicosocial avec le secteur sanitaire, celle des soignants avec les représentants des usagers. Pourtant, le constat est simple et partagé par l’intégralité des acteurs y compris les autorités de tutelle : il faut déjà apprendre à se connaître et à déconstruire parfois des stigmates du passé, faire table rase des clivages, dans le souci de fluidifier les prises en charge, faciliter le recours à l’urgence et/ou l’expertise, déployer des dispositifs « hors les murs », et aller plus loin dans les enjeux de déstigmatisation, de la peur face aux maladies mentales et à la souffrance psychique.
La démarche PTSM a permis, sans nul doute, sur les territoires, de répondre à quelques problématiques par sa méthode d’élaboration. Est mis en place un comité de pilotage gageant de la plus grande représentativité des acteurs et secteurs, une chefferie de projet : ces éléments sont bien évidemment échangés auprès des ARS qui sont en appui dans la méthodologie par le relais des outils de l’ANAP également. Les acteurs élaborent alors un autodiagnostic du territoire sur les enjeux de santé, l’état de l’offre, la cartographie des besoins, ce qui est déployé. Cette étape de plusieurs mois est fondamentale et peut être un franc succès avant même le rendu du document au DGARS : souvent, les acteurs apprennent ainsi à travailler ensemble, les directions se rencontrent dans un cadre commun, les représentants des usagers y ont aussi leur place. Ce travail accompli est soumis ensuite à échanges auprès des instances de démocratie sanitaire avant décision de validation du DGARS. Dans la réalité, il a pu être constaté sur un exemple que j’ai suivi, que si les acteurs jouaient le jeu à 100 %, que les pilotes du projet étaient engagés, il se dégageait en commun chez tous les acteurs le sentiment de fierté et d’accomplissement valorisant ainsi déjà une évolution dans les pratiques professionnelles : cela a permis de développer une vision territoriale auprès des établissements parfois trop centrés sur ce qui se passe in situ. Aussi, la deuxième étape d’élaboration d’une feuille de route sur le déploiement des PTSM est en réalité plus compliquée qualitativement à résoudre. Les autorités de tutelle ont des attentes légitimes, les acteurs eux-mêmes également, cependant l’exercice est difficile. Comment se projeter sur des actions innovantes sans pleine visibilité des décisions politiques pouvant impacter des systèmes dont les réformes sont jugées nécessaires ou encore récentes (Grand âge, Politique inclusive sur le champ du handicap, réforme du financement de la psychiatrie, et bien évidemment l’impact de la Covid plus récemment).
Les PTSM ont ainsi permis à des acteurs à un instant T de se parler sur un projet commun, mais malheureusement dont le déploiement des feuilles de route sera très hétérogène en réalité. Force est de constater que bien souvent ces travaux peuvent ne pas être mis en exergue, y compris dans les démarches d’appel à projets instituées a posteriori dans certaines régions.
L’enjeu aujourd’hui des établissements et services sur les prises en charge est celui de valoriser les réussites partenariales et de les engager à l’échelle territoriale, si ce n’est pas le cas. Les effets de la suppression du numerus clausus, le temps de former de nouveaux professionnels médicaux ou paramédicaux, prendront du temps mais la prise en charge et la nécessité de travailler ensemble sont des besoins immédiats. Si les besoins de travailler ensemble subsistent, il faut aussi faire face aux enjeux liés de déstigmatisation avec les pouvoirs politiques locaux et comprendre aussi que des enjeux peuvent dépasser une situation médicale.
La cristallisation des enjeux liés aux prises en charge des personnes : la santé face à la sécurité ?
La réforme de 2011 sur les hospitalisations sous contraintes a été un tournant majeur dans l’affirmation des droits et libertés des patients, l’affirmation du rôle prépondérant du juge des libertés et de la détention aussi. Ces éléments sont d’autant plus prégnants que nous vivons dans un monde où les amalgames par les médias sont simples dans les faits divers. Les enjeux liés à la sécurité existent néanmoins. Il faut donc à la fois accompagner la formation des élus locaux sur les pouvoirs de police mais aussi les inciter encore plus fortement à prendre conscience qu’une personne même atteinte d’un trouble mental sur sa commune (nécessitant des soins avec ou sans son consentement), demeure un citoyen.
Il est ainsi regrettable que les dispositifs comme le sont les conseils locaux de santé mentale ne soient pas développés de manière égale sur le territoire national. Ces CLSM peuvent être déployés depuis plus longtemps que les PTSM et ont un cadre territorial plus restreint, mais ont toutes leur place en lien avec les PTSM. Or, quel agent d’ARS travaillant sur les missions liées aux enjeux de santé mentale sur un département n’a jamais été appelé par un DGS d’une commune ou le maire lui-même demandant comment interner une personne ? Ces questions, dont on imagine le fondement, montrent encore en 2021 l’enjeu de sensibiliser et d’expliquer que la santé mentale ne se résume pas à la psychiatrie, et que si des situations d’urgence peuvent exister, il n’en demeure pas moins important de s’assurer d’un bien-fondé juridique et médical. Il y a aussi un travail à mener sur le vocabulaire en lien avec la santé mentale.
Dans le champ des soins sans consentement, les missions sont effectuées par les ARS pour le compte du préfet de département qui a, lui, connaissance d’éléments propres à sa fonction sur les enjeux liés à la tranquillité, salubrité et au respect de l’ordre public. Les ARS participent à la formation et à la sensibilisation des enjeux de santé mentale à chaque prise de poste dans le corps préfectoral qui peut, par exemple, se montrer très strict sur le volet sécuritaire lors des demandes de sorties de patients SDRE, dans les prises de poste notamment.
Si le corps préfectoral est amené à rencontrer les établissements accueillant des personnes en soins sans consentement, qu’il dispose de beaucoup de bonne volonté pour mettre en œuvre des rencontres avec la Justice, les forces de l’ordre, les établissements et l’ARS : ces discussions ont souvent un tournant sécuritaire sur les enjeux liés aux fugues, aux sorties, aux transferts de détenus. Il n’y a pas suffisamment de lien entre les représentants des usagers et le corps préfectoral.
Les ARS assurent le secrétariat des commissions départementales en soins psychiatriques. Les usagers diront que le fonctionnement de ces CDSP est perfectible (cf. dernier rapport UNAFAM). Ces commissions souffrent d’un déficit de visibilité et si les prérogatives de la CDSP permettent de saisir le préfet, en réalité, il peut manquer un dialogue informel entre cette commission et le corps préfectoral en y associant les ARS : on pourrait imaginer que le bilan de l’année soit échangé chaque année par une rencontre avec le préfet du département par un amendement législatif ?
Conclusion : la santé mentale et la psychiatrie regorgent de travaux à mener en partenariat, et en lien, avec les institutions. Les enjeux liés à la reconnaissance de la pair-aidance doivent aussi permettre à l’avenir de participer à l’installation d’une politique aussi inclusive en santé mentale. Les prises en charge hors les murs des hôpitaux sont aussi à valoriser. L’expérimentation menée dans des départements par les CPAM sur les remboursements des consultations de psychologue a aussi mené des effets bénéfiques. Les prochaines années doivent permettre de valoriser et faciliter les parcours des usagers dans le souci d’une politique d’inclusion dans la vie de la cité. La crise sanitaire laisse déjà des séquelles mentales, auxquelles nous nous devrons d’apporter des réponses.