Juliette Vaillant
Médiatrice de Santé-Paire à l’EPS Barthélemy Durand & Formatrice en santé mentale à l’AFAR
En tant que Médiatrice de Santé-Paire (MSP), professionnelle de santé, mes compétences premières sont : mon vécu de la maladie psychique, de l’hospitalisation en Psychiatrie et mon parcours de rétablissement en santé mentale. Ce socle de savoirs expérientiels est étayé par une formation, une 3e année de licence à l’université Paris Sorbonne Nord. J’ai intégré une équipe de psychiatrie hospitalière, il y a 3 ans (intra-hospitalier, CMP, ETP).
Mon statut de salariée de l’hôpital à temps plein a pour vocation de favoriser les pratiques orientées rétablissement, l’empowerment des usagers via un accompagnement et une vision qui sont complémentaires à celles apportées par les autres professionnels de l’équipe. Mes thèmes d’intervention : le déni de la maladie, l’adhésion aux traitements, la compréhension de la maladie et sa gestion au quotidien, l’orientation au sein du système de soin, les projets (lieu de vie, emploi, socialisation…), l’Éducation thérapeutique du patient…
Très rapidement, les personnes hospitalisées m’attendaient le matin à la porte du service, elles avaient saisi que j’avais du temps pour elles, que je pouvais être sollicitée tout au long de la journée sans nécessairement prendre un rendez-vous ou patienter plusieurs heures. En intra-hospitalier, au CMP ou à l’ETP, le dévoilement de mon statut a un impact notoire sur les personnes. Il s’ensuit parfois un temps de latence puis un écarquillement des yeux, des questions, des remarques, des félicitations même. Ma proposition d’accompagnement est rarement refusée, même si je souligne le caractère facultatif de celui-ci. Cet engouement devient de temps à autre une projection, ex : « Juliette, comment fait-on pour devenir Médiateur de Santé-Pair ? J’aimerais bien faire ça, plus tard, quand j’irai mieux. Je pourrai aider les autres… »
Si la présentation de mon métier et de ce qu’il implique a un effet notable quasi immédiat chez la plupart des usagers, l’impact de cette annonce me semble plus important encore lorsqu’il s’agit des proches, des familles. Au-delà de l’espoir que le MSP peut apporter en termes de rétablissement, de qualité de vie, sa présence dans une structure rassure, comme s’il garantissait une bienveillance de l’institution, une sorte de garde-fou. On lui attribue volontiers la compétence qui semble faire défaut à l’entourage, celle de mieux comprendre la personne souffrante et, de fait, lui accorder un meilleur soutien. Ex : « On peut partir en vacances tranquilles, on sait que vous veillez sur elle et vous la comprenez mieux que nous. »
Alors que les usagers se sont très vite saisis de cette opportunité d’échanger avec moi, de travailler sur leur propre chemin de rétablissement, cela est moins évident pour une équipe qui a toujours fonctionné sans MSP et qui s’interroge sur les apports potentiels de ce nouveau métier au sein de leur service. Ex : « Juliette, toi on t’a bien intégrée, par contre pour ton métier on ne sait pas encore… » L’assimilation est plus lente, car les enjeux ne sont pas les mêmes. On se demande si des postes d’infirmiers vont être à terme remplacés par des postes de MSP. S’ajoute à cela la question des territoires d’exercice. Ainsi, le délai nécessaire pour démontrer que le MSP a des apports qui lui sont spécifiques et qu’il n’empiète pas sur les tâches de ses collègues, peut s’avérer long surtout si l’équipe n’a pas été préparée à son arrivée.
Pour qu’un maximum d’usagers puissent bénéficier de ce type d’accompagnement, il me semble nécessaire de former davantage de MSP mais aussi leur permettre de s’intégrer facilement dans une équipe et de se projeter vers l’avenir via des perspectives d’évolution de poste et de salaire.
Afin de tendre vers une pérennisation et une démocratisation de ce type de postes, dans les services de psychiatrie, la formation préalable des équipes est décisive. Formation qui a trait aux pratiques orientées rétablissement, à l’empowerment, à la réhabilitation psychosociale, à l’inclusion sociale, et qui nécessite une réflexion profonde. Ces formations sont proposées aux équipes par le CCOMS (Centre collaborateur de l’OMS pour la recherche et la formation en santé mentale), qui porte le projet. Ces formations sont systématiquement co-animées par un ou plusieurs MSP.
De manière empirique, j’ai découvert qu’en présentant mon métier à des étudiants infirmiers, aides-soignants, internes de mon service, j’éveillais un intérêt qui était plus difficile à obtenir de la part de professionnels déjà bien installés dans leurs fonctions. Ainsi, la pluridisciplinarité et les pratiques innovantes, si elles sont enseignées ou simplement discutées durant les études, permettraient d’amenuiser les réticences qui sont souvent liées à la méconnaissance du métier, au statut qui peut paraître ambigu de professionnel de santé concerné par la maladie psychique, à la question du territoire d’exercice…
Malgré les difficultés rencontrées au cours de ma période d’intégration, et malgré le chemin qu’il reste encore à parcourir avant que ce métier trouve pleinement sa place en Psychiatrie, je me sens à ma juste place. Je ne pourrais pas être plus utile aux autres, à la société et à moi-même que dans cette fonction. Aussi longtemps que ce sentiment m’habitera, je mettrai tout en œuvre pour continuer dans cette voie et participer à son développement.
En situation : Juliette, MSP – Nicolas, usager
Nicolas – « Les souvenirs de ma première rencontre avec Juliette sont flous et à la fois très précis. Elle avait de grands yeux et une coquetterie dans son sourire. »
Juliette – « Nicolas sortait de chambre d’isolement suite à une décompensation. »
Nicolas – « Elle est venue dans ma chambre et elle a pris le temps de se présenter, prendre le temps à l’hôpital c’est important. »
Juliette – « Je me suis assise à sa hauteur, je lui ai expliqué la particularité de mon métier. »
Nicolas – « J’étais dans un grand état de confusion et d’angoisse. »
Juliette – « Je lui ai parlé du rétablissement, l’ai rassuré sur le caractère transitoire de son état actuel et ai souligné ses avancées. »
Nicolas – « Elle a réduit mon angoisse et de cette discussion, l’espoir est apparu. Depuis ma sortie de l’hôpital, nous nous voyons régulièrement, de cette première rencontre un dialogue est né, une parole et un espoir. »
Juliette – « Aujourd’hui, de façon très horizontale, nous travaillons à poursuivre son parcours de rétablissement, nous échangeons nos trouvailles : livres sur la psychiatrie, conférences, recherches scientifiques… »
Nicolas – « Il est difficile de trouver un interlocuteur qui sache écouter, simplement écouter pour pouvoir proposer ensuite et orienter si nécessaire. »