Dr Jean-Luc Roelandt
Psychiatre & ancien Directeur du CCOMS (Centre Collaborateur de l’Organisation Mondiale de la Santé pour la recherche et la formation en santé mentale)
18 propositions pour tout changer en mieux
La santé mentale du futur : quelles perspectives ?
Les représentations sociales de la folie, de la maladie mentale et de la dépression restent stables dans notre société. Le balancier entre surveiller et/ou soigner et/ou punir est toujours à l’œuvre et les forces en présence dans ce domaine restent contradictoires.
Mais cela change. La question de la santé mentale est passée au premier plan du fait de la crise sanitaire de la Covid. Il est maintenant plus évident que nous avons toutes et tous une santé mentale, qui doit être préservée. Et que la santé n’est pas que physique, mais aussi psychique et sociale, comme l’a défini l’OMS. L’épidémie agit tel un effet grossissant de la grandeur et la misère des prises en soins psychiatriques et des besoins en santé mentale de la population. Les inégalités sociales de santé se creusent à la faveur de la crise et il devient évident aussi que les déterminants sociaux de la santé doivent être pris en compte à tous les niveaux de l’organisation sociale. En effet, 80 % des déterminants de la santé (et de la santé mentale) ne sont pas directement liés aux soins, mais à l’environnement dans lequel les individus vivent.
Les réponses aux difficultés de santé mentale qui peuvent toucher tout le monde sont toujours mal, voire non coordonnées, fractionnées, morcelées, centrées sur les institutions hospitalières, sociales et médicosociales. Ceci alimentant la stigmatisation et le non-respect des droits humains. Le bilan de ce système met en évidence des inégalités insupportables dans un pays qui investit autant d’argent dans sa protection sociale et dans sa santé – y compris sa santé mentale – et qui a un des taux de psychiatres et de lits pour 100 000 habitants les plus élevés au monde.
Rien de neuf, donc, sauf des ajouts de dispositifs à l’infini pour rafistoler le système et le rendre encore plus illisible pour les citoyens et les citoyennes.
La réforme ne peut être portée que par le politique, au plus haut niveau, en interministériel tant les forces en présence sont fragmentées, contradictoires et corporatistes.
Après 60 ans de réformes, que reste-t-il à faire ? Très peu de choses :
Réduire les inégalités de santé
• Assurer toit, travail et éducation pour toutes et tous.
• Créer un revenu universel décent (supérieur au seuil de pauvreté) pour toute personne, en situation de handicap ou non.
• Mettre en œuvre les 17 critères de développement durable 2030 de l’ONU, dont 12 impliquent la santé mentale.
Passer d’une culture de soin à une culture de prévention
• Promouvoir la santé mentale dès les premières années d’école et tout au long de la vie.
• Utiliser les technologies de l’information pour prévenir, soigner et informer.
Garantir l’accès aux soins psychologiques de toute la population
• Embaucher 10 000 psychologues dans les secteurs publics pour répondre aux besoins de suivi psychothérapique de la population.
• Les mettre à disposition des cabinets de groupe médicaux et paramédicaux, et dans les centres pluriprofessionnels de santé.
• Permettre la prise en charge de ces soins en intégrant les psychologues dans le Code de la santé publique en tant que professionnels de santé.
Coordonner les réponses aux problèmes de santé mentale dans la Cité
• Créer des conseils locaux de santé mentale sur tout le territoire, pour permettre les synergies de proximité entre tous les acteurs de la cité, élus, services sanitaires et sociaux, éducatif, de justice, associatifs, usagers, citoyens concernés et entourage et familles.
• Impliquer la médecine générale pour réduire la mortalité et la morbidité liées au handicap qui résulte des troubles psychiques sévères.
• Impliquer ces acteurs de proximité dans la gestion des structures de soins et sociales.
• Déployer l’ensemble des établissements de soins en santé mentale dans la communauté (non plus à l’hôpital ou dans les établissements de vie médicosociaux).
• Développer 1 100 équipes mobiles de soins aigus à domicile, en lien avec les soins primaires (820 adultes et 300 enfants et adolescents).
• Interdire l’installation des psychiatres dans le privé, tant que les postes du service public ne sont pas tous pourvus. Revaloriser le service public et rendre obligatoires pour le privé des temps d’intérêt général dans le public.
Garantir les droits fondamentaux des personnes soignées en psychiatrie
• Supprimer l’obligation de soins psychiatriques.
• Interdire l’isolement et la contention des personnes soignées en psychiatrie.
• Reconnaître le savoir expérientiel des usagers et personnes concernées.
• Intégrer des médiateurs de santé pairs dans toutes les équipes psychiatriques et sociales.
En bref, passer à l’action, afin de mener à son aboutissement la merveilleuse révolution psychiatrique inscrite depuis si longtemps dans les textes fondateurs de la sectorisation psychiatrique française. Voire la dépasser, en impliquant toute la société et plus particulièrement les villes, dans la promotion et la préservation de la santé mentale des citoyens et des citoyennes. Le reste n’est que bavardage.