Dr Cécile Hanon & Dr Renaud David
Praticien hospitalier au Centre Ressource Régional de Psychiatrie du sujet âgé à l’AP-HP & psychiatre et Praticien hospitalier au Service de Psychiatrie de la Personne Âgée au CHU de Nice
Psychiatrie de la personne âgée : les enjeux de la médecine numérique et connectée à l’ère du post-Covid
Le vieillissement de la population mondiale n’est pas un mythe… En effet, depuis 2015, au niveau mondial, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans a dépassé celui des moins de 5 ans et cet écart tendra à se creuser davantage chaque année. Avec une telle évolution démographique, on observe, au niveau médical et médicosocial, une augmentation des demandes de soins et des besoins de prises en charge pour les personnes âgées, y compris dans le champ de la santé mentale. De plus, les soins psychiatriques chez le senior sont complexes, en raison des intrications neuro-cognitives multiples, des comorbidités plus fréquentes, de la polymédicamentation habituelle (l’ordonnance moyenne d’un senior de plus de 85 ans comporte en France au moins 7 médicaments par jour…).
La présence plus fréquente de troubles cognitifs et fonctionnels entraîne un risque de perte progressive de l’autonomie pour les actes du quotidien, et un épuisement des proches aidants.
Cette demande accrue en soins et en accompagnements spécifiques revêt un coût humain et sociétal important, qu’il est difficile de supporter : manque de structures adaptées, manque de moyens disponibles, manque de personnels, professionnels insuffisamment formés et impossibilité pour les proches aidants d’assumer l’intégralité des aides nécessaires et des dépenses y afférentes.
Fort de ce constat, il est nécessaire de pouvoir imaginer des modalités globales d’accueil, d’accompagnement et de soutien aux populations vieillissantes dans ce contexte démographique évolutif, notamment pour les aînés présentant en plus un trouble en santé mentale.
L’actualité de la pandémie de Covid-19 a mis en lumière plusieurs constatations :
• Les dispositifs de santé se sont retrouvés en situation de saturation et d’engorgement, imposant à plusieurs reprises, une déprogrammation des soins, des interventions chirurgicales, des protocoles de chimiothérapies anticancéreuses, afin de permettre une prise en soin spécifique des malades de la Covid. L’impact pour les soins non liés à la prise en charge de la Covid a été rapidement évident et délétère, notamment pour les seniors, classiquement polypathologiques. De nombreuses prises en charge à domicile (infirmier à domicile, auxiliaire de vie, accompagnants dans le médicosocial) ont ainsi été interrompues et ont accentué la perte de chance pour ces personnes.
• Les mesures de confinement, imposées par le gouvernement, ont accentué l’isolement des populations, et d’autant plus celui des seniors, déjà en temps normal fortement affectés par l’isolement social et familial, à l’origine d’une souffrance psychologique indéniable (épisodes anxio-dépressifs, tentatives de suicide). De plus, nombre des activités de socialisation au sein des Ehpad ou d’associations locales en ville ont été interrompues, majorant d’autant le vécu de solitude et d’abandon relationnel.
Dans le même mouvement, la pandémie a ouvert la voie à un développement et une accélération sans précédent des modes de communication à distance via l’accès décuplé aux nouvelles technologies :
• Le développement ultra-rapide des solutions de télémédecine et téléconsultation a permis à la fois un accès rapide et facilité aux spécialistes en santé mentale dans un contexte de confinement, majoré pour les seniors qui souhaitaient limiter leurs déplacements (limitation des contacts pour limiter le risque de contamination, autonomie diminuée et utilisation moins aisée des moyens de transport…), mais a également permis de rompre une certaine forme d’isolement social. Ces développements rapides de solutions ont également eu pour effet de faciliter l’accès aux soins des populations, seniors ou non, des zones géographiques sous-médicalisées.
• Le développement du télétravail, qui a permis aux aidants de rester auprès de leurs proches (enfants, conjoints, fratries…).
• L’accélération de la prise de conscience du « virage numérique » et la nécessité pour les seniors de se former aux outils numériques, afin de garantir le maintien de leurs liens sociaux, familiaux et médicosociaux.
• L’accélération de la recherche industrielle et scientifique sur les solutions distancielles en santé : téléconsultation, cabines médicalisées permettant de transmettre aux praticiens l’information médicale, objets connectés, robotique, réalité virtuelle, etc.
Chaque bouleversement sociétal peut avoir des conséquences tragiques, comme en témoigne la pandémie de Covid-19, mais peut également être déclencheur de prise de conscience et d’opportunités expérientielles. C’est le cas, sans aucun doute, pour l’accès aux soins en santé mentale pour les populations séniors, isolées et fragilisées.