Dr Leslie Madelaine
Cheffe de clinique en chirurgie thoracique au CHU de Dijon
Le monde de la recherche en général concerne de très nombreux domaines, notamment la recherche médicale, que l’on peut intégrer par différents parcours. Ma vision de la recherche va s’axer sur la recherche médicale intégrée à différents moments dans une carrière médicale et comment cette formation évolue avec le temps.
La recherche au cours des études médicales
Pour ma part, je suis issue de l’ancien cursus des études médicales, où nous n’étions pas encore intégrés dans un système LMD. Durant les études médicales classiques, la recherche est quelque chose de très abstrait, et rares sont les étudiants qui savent déjà qu’ils veulent en faire leur spécialité à plein temps. Un parcours dans le milieu de la recherche est associé dans l’esprit des étudiants à une volonté lointaine et hypothétique d’un projet de carrière universitaire et/ou l’accès à un poste en post-internat.
Il nous est proposé d’accéder à la recherche médicale durant nos études en étant candidat à l’école de l’Inserm. Cependant, les étudiants de mon époque et ceux d’aujourd’hui ne se voient pas partir seuls, se décaler de leur promotion d’affectation et de leurs amis, pour intégrer une année de recherche dans cette école. Il est difficile de se projeter dans ce milieu, d’imaginer un réel projet à ce moment de leur formation en plein apprentissage des fondamentaux médicaux. Cette « sortie de route » implique aussi un problème financier pour les étudiants, car elle nécessite une année de plus de financement pour la vie courante (job étudiant, soutien parental…), dans un cursus universitaire déjà long.
Seuls quelques étudiants, plus solitaires, souvent ayant eu une « autre vie universitaire » préalable (école d’ingénieur, parcours en faculté de sciences, etc.) plus « matures », ont cette vision expérimentale et se lancent dans ce genre de projet. En effet, la grande majorité des étudiants ont à cet âge-là, une grande « immaturité professionnelle » et sont réticents à ce genre de projet. Cependant, il existe une alternative pour réaliser, au sein de la faculté, des enseignements supplémentaires avec un stage de « recherche » : le master 1. Les unités d’enseignements sont diverses, certains stages peuvent se faire en laboratoire de recherche avec un premier mémoire à la clé. C’est ce que j’ai fait lors de mon externat : une unité d’enseignement en statistiques-recherche clinique et en anatomie.
Ces disciplines étant très proches de mon cursus académique, et pouvaient me servir sur le long terme, ayant un attrait pour la chirurgie et pour mieux appréhender la littérature scientifique. Ce master 1 est un compromis entre la découverte du monde de la recherche, dans notre faculté, sans nécessité de financements. Il permet surtout de ne pas changer de promotion pour maintenir le lien social avec nos amis de la faculté et continuer à travailler ensemble sur un nouveau projet assimilé à de la recherche scientifique.
C’est ce même lien social qui, actuellement, absent ou rare depuis le confinement, engendre une grande souffrance morale chez les étudiants. Cela peut expliquer en partie la réticence des étudiants à un projet de recherche exclusif.
Peut-être faudrait-il simplifier l’accès aux stages en laboratoires de recherche, voire l’intégrer dans les enseignements fondamentaux médicaux, pour que les étudiants en médecine soient plus investis dans la recherche. Cet accès aux stages en recherche est plus facile et mieux intégré aux parcours des étudiants dans les autres facultés hors médecine et pharmacie.
La recherche au cours de l’internat
Internes, nous devenons vraiment des membres d’un service dans un établissement universitaire. Nous baignons constamment dans divers protocoles de recherche, à orientation chirurgicale pour ma part, en cours dans notre service, dans l’établissement, voire multicentriques. La recherche devient plus concrète avec également une reconnaissance par nos pairs, selon les résultats obtenus, avec des publications scientifiques, participant à la renommée de notre centre.
Nos encadrants, universitaires ou non, ont fait ou font de la recherche.
Le parcours classique à vocation universitaire est souvent en parallèle du parcours médical : Master 1, Master 2, thèse de science, et enfin l’habilitation à diriger la recherche (HDR).
Du fait d’une organisation de service avec une pyramide des âges entre les internes, et/ou la nécessité d’attendre un poste de post-internat, il est possible de s’arrêter un an et de se décaler pendant notre formation pour faire de la recherche. Cette césure est toujours bien vécue par ceux qui l’ont entreprise. De plus, il existe une maturité professionnelle naissante, des projets individuels, une volonté d’un choix de carrière universitaire, qui font que le parcours dans la recherche médicale est un passage obligatoire pour atteindre ces buts.
Arrêter son cursus est un long projet qui s’anticipe et signifie : trouver un laboratoire dans l’axe de notre projet/notre spécialité d’exercice, trouver un diplôme correspondant à ce projet (Master 2, thèse de science), trouver des encadrants, trouver des financements pour financer son salaire si on doit s’arrêter (il est difficile d’avoir du temps dédié en pratique clinique à temps plein pour faire de la recherche en tant qu’interne), trouver également les financements du projet de recherche pour effectuer les différentes expérimentations, souvent coûteuses.
Le master 2 : recherche et développement
Une année de recherche à temps plein, c’est une occasion de découvrir le monde de la recherche en laboratoire, pour ma part dans une équipe de recherche translationnelle en biologie du cancer. On découvre de nouvelles connaissances pratiques, dont les fondements théoriques ont été appris durant notre cursus étudiant.
Les cours théoriques de master 2 m’ont permis de découvrir le monde de la recherche, de l’innovation chirurgicale, mais surtout de l’entreprenariat : start-up, dépôt de brevet, ingénierie, applications médicales sur ordinateur ou smartphone, juristes… En tant que cliniciens, nous avons souvent de nombreuses idées afin d’améliorer le parcours du patient : avant, pendant et après son hospitalisation. Mais nous nous heurtons aux contraintes de l’entreprenariat et de l’ingénierie, auxquels nous sommes complètement étrangers pour la plupart d’entre nous.
Mon projet de recherche était très « classique », recherche en cancérologie chirurgicale et se basait sur de l’expérimentation animale. Les procédures, leur déroulement, leur encadrement, la bienveillance et la rigueur du comité d’éthique animale local et national sont un garde-fou indispensable à ce type de procédures.
Cependant, en plus des différents problèmes matériels et techniques du déroulement de ce projet, l’expérimentation animale m’a beaucoup fait réfléchir, a remis en question, et fait évoluer mes convictions personnelles sur l’intérêt d’un modèle animal expérimental. D’autant plus, qu’a posteriori les résultats finaux de mon projet furent décevants vis-à-vis de l’importance de mon investissement personnel dans ce projet.
La recherche me passionne, mais est-ce que je ne pourrais pas en faire différemment dans mon domaine ? En tant que médecin de la génération 2.0, serait-il possible d’obtenir différemment des résultats en recherche médicale chirurgicale ? Existerait-il des méthodes alternatives informatiques pour reproduire ou prédire ces résultats ? Même si l’expérimentation animale reste jusqu’alors la méthode la plus adaptée pour mettre au point des techniques chirurgicales innovantes. Durant ce stage dans le laboratoire et dans notre pratique quotidienne, nous voyons que l’innovation et l’intelligence artificielle (IA) sont indissociables de la recherche médicale.
Et si l’intelligence artificielle était l’avenir pour la recherche médicale de demain ?
Intelligence artificielle : Big data, GAFA, éthique, prédiction et législation
De nos jours, l’IA est partout, dans nos foyers avec nos smartphones, dans tous les objets connectés de nos maisons, mais aussi dans nos milieux professionnels, notamment en santé.
La santé et ses données seront l’enjeu de l’IA de demain avec le « Health Data Hub ». Ces données vont nous permettre de réaliser avec l’intelligence artificielle des études de santé plus performantes, qui prédisent mieux les résultats qu’avec les méthodes statistiques usuelles.
Afin de mieux maîtriser au quotidien cette nouvelle science, ses enjeux scientifiques et surtout éthiques, j’ai décidé de me former personnellement à l’IA sur le plan théorique et pratique. Car comme pour l’éthique humaine, médicale ou animale, nous devrons être les garants de l’utilisation éthique de l’IA en santé. En effet, cette nouvelle technologie soulève de nombreuses interrogations éthiques : les données (data) (appartenance, provenance, récupération, utilisation…), leur stockage (consommation d’énergie, capacité de stockage, quelle entreprise les stockera (GAFA ?), leur utilisation, leur mise en valeur, qui financera ce genre de projet, qui traitera les données ? Les données seront-elles parfois vendues ?
Toute la définition des données et de leur cadre de protection reste à faire. L’éthique animale est au centre des discussions depuis de nombreuses années en recherche médicale, mais il faudra aussi une éthique de l’IA avec une supervision humaine de ses potentielles dérives.
Cette éthique de l’IA en général est au cœur du débat européen avec la résolution du 20 janvier 2021, qui confirme le rôle de la supervision humaine dans l’usage de l’IA notamment en santé et de l’IA dans la relation médecin-malade. En France, l’IA sera également au cœur du débat de l’article 11 de la future loi de bioéthique qui met en avant une transparence des données et de leur traçabilité.