Vincent Delivet & Caroline Jeannin
Directeur Général du CH d’Annecy Genevois (Change) & Directrice des affaires médicales, des coopérations, de la recherche et de l’innovation du CH d’Annecy Genevois (Change)
La création par les ordonnances de décembre 1958, sous l’impulsion du professeur Robert Debré, des centres hospitaliers universitaires investis d’une triple mission de soins, d’enseignement et de recherche a indéniablement marqué une étape historique dans la structuration d’une politique d’excellence et d’innovation médicale en France. Plus de 60 ans après cet acte fondateur, il est légitime de s’interroger sur l’efficience de notre système de santé en matière de recherche et d’innovation.
Force est de constater que la France, dans un univers mondial en pleine mutation avec l’émergence des pays asiatiques, peine à asseoir son positionnement. Elle ne parvient pas non plus à s’imposer comme un leader européen. L’épisode de la recherche puis de la production du vaccin contre la Covid-19 illustre cette relative faiblesse alors même que les chercheurs français figurent parmi les plus reconnus au monde et exportent allègrement leurs compétences. De même, la France connaît de réelles difficultés pour proposer de façon réactive des terrains d’investigation pour les essais dont les promoteurs sont industriels.
Tout cela doit nous interroger pour adapter notre modèle et tirer profit de la richesse de notre système de santé. Est-il logique de ne pas plus encourager la mobilisation des équipes médicales des centres hospitaliers ou du secteur libéral, à l’heure de la structuration des groupements hospitaliers de territoire ou des communautés professionnelles territoriales de santé ?
Dans l’univers très concurrentiel de la recherche clinique, les centres hospitaliers français font figure de Petit Poucet face aux institutions universitaires et académiques qui concentrent la très grande majorité des moyens humains et financiers. En 2020, les 67 centres hospitaliers autorisés à faire un export de leurs données pour prétendre à un financement par la dotation socle MERRI ne percevaient que 5,28 % de l’enveloppe nationale pour les établissements de santé (contre 80,95 % de l’enveloppe pour les 32 CHU). La place des centres hospitaliers est encore plus réduite en termes de promotion des essais cliniques et ils figurent très rarement parmi les lauréats des appels à projet nationaux : sur 108 projets retenus en 2019 pour l’appel à projets PHRC-C, seuls 8 projets étaient portés par des établissements de santé non universitaires (dont seulement 2 en dehors de la région parisienne)1. La concurrence n’est pas moins âpre au niveau régional : à titre d’exemple, parmi les 38 projets lauréats des appels à projet PHRC-I des années 2017, 2018 et 2019 retenus par le GIRCI Grand Ouest, aucun n’était porté par un centre hospitalier.
Pourtant, les centres hospitaliers accroissent chaque année leurs efforts et la dynamique de ces établissements est souvent supérieure à la moyenne nationale. Ainsi, dans le domaine de la cancérologie, parmi les 310 000 patients inclus dans les essais cliniques sur la période 2010-2019, 17 000 étaient des inclusions réalisées par des centres hospitaliers, avec une progression constatée de 64 % des inclusions par ces centres au cours des cinq dernières années2. Cette dynamique s’est aussi traduite par une réactivité et un engagement exceptionnels pendant toute la durée de la crise sanitaire COVID. Le centre hospitalier Annecy Genevois s’est ainsi illustré dans tous les domaines de la recherche : participant en tant que centre investigateur à l’étude DISCOVERY promue par l’INSERM, le CHANGE s’est vu confier le monitoring des patients inclus dans l’étude pour plusieurs CHU (Lyon et Saint-Étienne) ; les investigateurs du CHANGE font partie des auteurs de l’étude COVIDOCRECHE, dont les résultats ont été publiés dans la revue Child and Adolescent Health du Lancet ; et plusieurs études ont été promues en interne dans le cadre d’un appel d’offres des établissements de l’arc alpin, dont l’essai ACV Alpin sur l’acceptabilité vaccinale qui compte déjà plusieurs milliers de réponses.
Il faut donc sortir de cette logique de concurrence et passer dans une réelle dynamique de partenariat entre tous les acteurs d’un territoire. La constitution des grandes régions françaises constitue une opportunité indéniable pour revoir cette coordination de la recherche et faciliter les synergies entre des opérateurs très différents, qui concourent à l’amélioration du système de santé. L’innovation en santé passe par ce travail impliquant des collectivités publiques, des industriels, des usagers du système de santé, des professionnels de santé. Les créations de living lab constituent des outils intéressants de développement de cette dynamique. Ainsi, le Centre hospitalier Annecy Genevois a-t-il contribué à la mise en place du Stabbi lab pour co-construire des innovations destinées à prévenir la perte d’autonomie et améliorer la qualité de vie des personnes sujettes à des troubles de l’équilibre et de la marche.
Pour répondre à un objectif de diffusion de l’innovation, d’accès le plus large possible aux pratiques innovantes et d’amélioration de la prise en charge, il est donc indispensable de repenser l’organisation de notre recherche et de cultiver une approche en réseau capable de concilier développement des initiatives et cohérence de l’utilisation des ressources. La recherche est également un levier d’efficience pour le système de santé et d’implication des professionnels. Les centres hospitaliers non universitaires ont, dans ce cadre, un rôle important à jouer qui doit être pleinement reconnu et accompagné financièrement pour les aider à structurer leur démarche dans un cadre territorial et partenarial. Il serait également très bénéfique de travailler sur la création d’un statut de praticien hospitalier chercheur permettant de dégager un temps consacré à ces travaux. Celui-ci pourrait être attribué temporairement au sein d’une équipe médicale pour mener des travaux retenus dans le cadre d’un appel à projets.
Cette diffusion de la culture de la recherche et de l’innovation au sein du système de santé est la condition indispensable à l’accroissement de l’agilité de nos organisations et de l’efficacité de la recherche au service de la population. Dans un monde complexe où la performance en santé nécessite la mise en commun de multiples compétences, il est nécessaire de mobiliser le potentiel formidable de tous les acteurs engagés au service des malades. Voici un nouveau défi à relever qui impose de penser différemment la structuration de la recherche médicale.
2 Données SIGREC analysées par le CNCR et présentées lors de l’Assemblée générale du 21/01/2021