Morgan Perruez
Infirmier aux urgences AP-HP
Depuis 2009 et l’entrée dans le cursus licence-master-doctorat de la formation initiale des infirmières, un nouveau référentiel par compétences a été rédigé pour décrire les dix compétences à développer tout au long de nos trois années d’études. L’une d’elles, la compétence 8 « Rechercher et traiter des données professionnelles et scientifiques », liée, entre autres, avec l’unité d’enseignement 3.4 « Initiation à la démarche de recherche », fait entrer la recherche paramédicale dans la formation initiale des infirmiers et infirmières. Ma propre expérience m’a permis de rencontrer une formatrice très investie dans ce domaine, qui m’a donné le goût de la recherche et l’appétence pour la lecture d’articles scientifiques.
C’est donc tout naturellement qu’une fois diplômé, j’aspirais à mettre en œuvre ce que l’on m’a enseigné, avec la conviction de vouloir faire avancer la recherche paramédicale au cours de ma carrière.
Pourquoi investir dans la recherche
Mais tout d’abord, pourquoi les infirmiers souhaitent-ils investir la recherche ?
Puisque je ne suis pas « les infirmiers », mais que je suis « un » infirmier, je vais répondre à cette interrogation avec mon propre point de vue. Faire de la recherche, c’est s’inscrire dans un processus qui nous permettra de produire nos propres connaissances, de faire grandir notre profession en faisant émerger de nouveaux savoirs dans un but commun avec les professions médicales : l’amélioration de la qualité de la prise en soin des patients. C’est suivre les pas de « la dame à la lampe », et accroître notre savoir en décrivant, en comprenant, en expliquant, en prédisant et en vérifiant. C’est aussi s’affranchir des professions dominantes en nous permettant d’établir nos propres normes d’études et de formation, comme le soulignait Eliott Freidson, dans son ouvrage La Profession médicale (1970). Pour les paramédicaux, le chemin est cependant semé d’embûches, encore de nos jours.
Mon projet de recherche remonte à 2018, lorsque j’établis un constat simple : l’infirmière d’accueil des urgences n’a que 5 à 10 minutes pour faire « le tri » des patients, et elle délègue souvent l’administration de l’antalgique à l’aide-soignante, après avoir effectué les vérifications d’usage qui s’imposent et après avoir ôté le comprimé de son emballage. Ce délai, très court, peut, en apparence, s’avérer insuffisant pour établir une relation de confiance avec le patient. Au fil de mes lectures, avec la méthodologie que l’on m’a transmise dans mon institut de formation, je découvre l’existence de l’effet placebo et des travaux de Benedetti et, à l’aide de deux collègues et d’une très longue période de revue de littérature, nous problématisons ainsi : « En quoi le discours et l’attitude de l’infirmière, administrant un traitement antalgique à un patient consultant aux urgences pour un traumatisme de membre simple, influent sur l’évaluation de la douleur par ce dernier ? » Nous avons émis l’idée de travailler sur ce projet en 2018, il a réellement été problématisé en 2020.
Les difficultés de sa mise en œuvre
Tout d’abord, une formation initiale trop légère en matière de recherche, qui ne nous permet pas de nous approprier les outils existants. Aussi, je pense que le corps encadrant, qui exerce très souvent depuis de nombreuses années, n’a pas été sensibilisé comme nous au nécessaire développement de la recherche paramédicale. Malgré de multiples sollicitations, notre encadrement n’a pas été capable de nous orienter vers les personnes-ressources, nous a même encouragés à mener la phase empirique sans solliciter d’autorisation (du CPP, du comité éthique…), alors que cette étude est expérimentale, puisque nous agissons sur notre comportement à l’accueil. Il a fallu que nous traversions la capitale afin qu’un coordinateur de la recherche paramédicale nous indique que nous avions les personnes-ressources dans notre établissement et que celles-ci se trouvaient même au même étage que notre service : l’unité de recherche clinique. Une aberration et une perte de temps qui ont pu parfois faire chavirer notre motivation. C’est après avoir pris contact avec notre direction des soins et l’URC que notre travail a progressé, avec l’aide de personnels qualifiés et qui ont consolidé notre passion pour la recherche. Cependant, nous restions assez désemparés de voir que notre encadrement n’a pris part à aucune des réunions de travail à laquelle nous les invitions.
Quelques pistes de solution
Je pense que nous devrions sensibiliser les directions et les équipes d’encadrement au développement de la recherche paramédicale, à ses enjeux primordiaux dans le développement de notre profession. De nombreux acteurs de terrain, effrayés de se lancer dans l’inconnu, ont plein d’idées qui méritent d’être écoutées et travaillées, valorisées, mais n’osent pas, devant les réticences et parfois le manque de connaissance de leurs supérieurs dans ce domaine. De plus, il n’existe pas de temps dédié à la recherche dans les emplois infirmiers actuels, et les agents intéressés par ce domaine peuvent participer à des formations ponctuelles, se présenter à des diplômes universitaires, mais rien n’est fait pour que l’accès à la recherche soit facilité au sein même des services de soins. Les professionnels investis dans la recherche le sont principalement sur leur temps de repos, comme bénévoles. Enfin, je pense qu’il faudrait solliciter des instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) afin que de jeunes professionnels investis dans la recherche présentent leurs travaux aux apprenants et les énormes enjeux que constitue notre rôle dans la recherche. Peut-être que le fait de pouvoir plus facilement s’identifier à eux leur permettra de s’intéresser à ce domaine qui, de par ses codes et sa rigueur, peut faire peur, mais qui est infiniment intéressant et passionnant.
Oui, les infirmiers sont utiles à la recherche médicale.