Tribune

« En 2022, plus de 40 % des salariés ont été en arrêt de travail au moins une fois dans l’année, et le taux d’absentéisme a dépassé les 5 %, soit plus de trois semaines d’absence par salarié et par an, contre deux en 2012 »

Julien Tiphine
Avocat Associé chez Fromont Briens

Le nouveau droit aux congés payés pendant les arrêts maladie, depuis les arrêts de la Cour de cassation du 13 septembre 2023, est un bouleversement majeur pour les entreprises, dont les contours, les conséquences, l’application dans le temps ne sont pas encore tous arrêtés – particulièrement dans les métiers et dans les branches marquées par beaucoup d’absences et d’arrêts longs.

En 2022, plus de 40 % des salariés ont été en arrêt de travail au moins une fois dans l’année, et le taux d’absentéisme a dépassé les 5 %, soit plus de trois semaines d’absence par salarié et par an, contre deux en 2012.

Les salariés seniors sont toujours les plus fréquemment absents, mais ce sont les salariés les plus jeunes (18-34 ans), et les cadres dont le nombre de jours d’absence a augmenté le plus vite. Parmi les arrêts de travail, ceux de durée intermédiaire (plus d’une semaine, moins d’un mois) connaissent la hausse la plus dynamique.

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Absence, absences, absentéisme

Si les absences des salariés peuvent avoir de multiples causes et fondements juridiques – congés payés, congés maternité, activité syndicale… – l’absentéisme est caractérisé plus particulièrement par l’ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail), comme une absence qui aurait pu être évitée par une démarche de prévention des facteurs de dégradation des conditions de travail, qu’il s’agisse de l’ambiance, de l’organisation, de la qualité de la relation d’emploi, de la conciliation des temps privés et professionnels.

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Ces tendances, que confirment les derniers baromètres des grands acteurs de la protection sociale (AG2R, AXA, DiotSiaci, Malakoff Humanis, Mercer, WTW…), se reflètent dans les données de l’assurance maladie, qui constate une croissance moyenne annuelle de 3,8 % des dépenses de la sécurité sociale liée aux arrêts maladie entre 2010 et 2022, soit plus de 40 % en dix ans, et 8,2 % pour la seule année 2022.

Sont en cause à la fois des facteurs sanitaires, touchant l’ensemble de la population, avec le développement de maladies chroniques, ; les conditions de travail, qu’il s’agisse de troubles musculo-squelettiques ou psychologiques, de l’anxiété au burn-out ; ou des évolutions de la société et de la géographie du travail, avec les difficultés de transport, de logement, la fatigue des aidants.

Les coûts des absences répétées et prolongées au travail sont pour les entreprises à la fois le coût direct des indemnisations, prises en charge, maintiens de salaires, prévus par les accords santé et prévoyance – le coût différé, de cotisations accidents du travail, maladies professionnelles, santé, prévoyance, accrues – et le coût indirect de la désorganisation des équipes, des retards, des heures supplémentaires, et des remplacements, eux-mêmes rendus de plus en plus difficiles.

Alors quelle assurance – quelle assurance sociale – contre ce risque pour les entreprises ?

Dans le cadre de la protection sociale obligatoire, le salarié placé en arrêt de travail pour maladie bénéficie, à partir d’une certaine ancienneté, d’indemnités journalières de 50 % de son salaire, au maximum de 51 € par jour.

La protection sociale complémentaire, négociée au niveau de l’entreprise ou de la branche, ou éventuellement individuelle, peut ajouter, selon les cas, un maintien de salaire, une indemnisation plus longue, la prise en charge des jours de carence.

Le développement, depuis la LFSS pour 2014, d’accords de protection sociale complémentaire dits à haut degré de solidarité  (“garanties collectives présentant un degré élevé de solidarité” à l’article L. 912-1 du code de la sécurité sociale), permet de recommander un ou plusieurs organismes assureurs à condition qu’au moins 2 % des dépenses soient consacrées à des prestations non contributives, et en particulier à des actions de prévention concernant les risques professionnels, la santé, l’action sociale, la prise en charge des cotisations des contrats courts ou des bas salaires – la gestion de ces prestations pouvant être mutualisée auprès d’un seul organisme recueillant la contribution de 2 % auprès de tous les employeurs.

Cette démarche collective et préventive s’est diffusée depuis dans de nombreuses branches professionnelles, particulièrement dans celles exposées aux absences, aux difficultés de recrutement, à des contraintes fortes sur les conditions de travail (déplacements, exposition à des facteurs de risques).

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– La branche de la propreté a mis en place un programme de sensibilisation sur la prévention du risque routier, à destination des salariés se déplaçant fréquemment d’un site à l’autre.

– La branche des centres d’hébergement et de réadaptation sociale (CHRS) et celle des établissements et services pour personnes handicapées ont mis à disposition une plateforme d’écoute et d’accompagnement pour venir en aide aux salariés rencontrant des difficultés personnelles ou professionnelles.

– La branche des entreprises techniques au service de la création et de l’événement prévoit la réalisation de bilans de santé.

– La branche de la métallurgie prévoit le financement des actions des entreprises en matière de dépistage (domaine cardiovasculaire, santé mentale, endométriose), d’éducation thérapeutique du patient (diabète), de prévention des risques psycho-sociaux (RPS), des troubles musculo-squelettiques (TMS), de programmes d’échauffement musculaire, d’actions à mener sur l’ergonomie du poste de travail.

– La branche des entreprises techniques au service de la création et de l’événement prévoit l’attribution de secours individuels, et d’aides pour les dépenses d’hébergement d’un proche (adulte ou enfant) handicapé dans un établissement médico-social.

– La branche des prestataires de services du tertiaire soutient l’acquisition de prothèses auditives.

– La branche des pharmacies d’officine a mis en place un accompagnement par des services téléphoniques et sur application mobile, pour faire face aux situations de décès ou de maladie grave d’un proche.

– La branche de l’horlogerie bijouterie a mis en place un programme d’accompagnement post-traumatique faisant suite à une prise d’otage, à un braquage ou à des violences graves.

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Les négociations collectives sur la protection sociale complémentaire permettent de tenir compte des spécificités des branches, d’avoir des actions ciblées qui s’adaptent à la pénibilité des métiers, et font entrer les partenaires sociaux dans le travail concret de la définition des garanties et des financements que les entreprises mettront en oeuvre pour leurs salariés.

Par ces innovations issues de la négociation – et aussi des extensions réglementaires du champ de la prévoyance complémentaire, dont les exonérations incluent depuis 2022 les cotisations finançant des prestations complémentaires pour les proches aidants – la protection sociale peut continuer à s’adapter davantage, sur mesure, de façon décentralisée, aux besoins des salariés, des entreprises et de la société.