Tribune

Portrait du Docteur Ophélie SÉGADE-BOURGEOISET
Avec cette mesure, exit le temps de la rencontre, de l’élaboration et de l’introspection, l’inconscient n’a plus de place pour être pensé

Dr Ophélie SÉGADE-BOURGEOISET
Docteur en psychologie, psychologue clinicienne dans le service de pédopsychiatrie de l’Hôpital Necker-enfants malades, formatrice au COPES et en exercice libéral à Paris.

L’enquête COviPrev portant sur l’évolution de la santé mentale des Français pendant et après la Covid, révèle que 10 % des personnes interrogées entre le 31 août et le 7 septembre 2021 ont eu des pensées suicidaires au cours de l’année, soit 5 points de hausse par rapport au niveau enregistré hors épidémie. 23 % des interrogés montrent aussi des signes de troubles anxieux, soit 10 points de plus qu’avant la période Covid.

C’est au regard de ce constat que la crise de la Covid a souligné le rôle majeur des psychologues dans le domaine de la santé mentale.

Le remboursement des consultations auprès d’un psychologue, annoncé par E. Macron mardi 28 septembre à la suite des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, est une avancée qui témoigne de la légitimité et de l’utilité réelle d’une prise en charge psychologique. Il convient cependant de s’interroger sur les conditions proposées pour sa mise en œuvre : 10 séances de 30 minutes, payées 40 euros la première séance et 30 euros les suivantes, sans dépassement d’honoraires possible, de plus prescrites par un médecin. Après un long désert de réflexion sur la santé mentale, cette mesure représente-t-elle une oasis ou un mirage ?

Cette proposition est issue d’une réflexion rassemblant membres du ministère de la Santé et des psychiatres. Elle a été testée dans 4 départements et n’a pas obtenu les effets escomptés : les psychologues ont refusé d’y participer soutenant que les conditions proposées ne leur permettaient pas de faire éthiquement et professionnellement un travail de qualité, dans l’intérêt même du patient. Le gouvernement semble vouloir intégrer une démarche thérapeutique restreinte dans son enveloppe budgétaire, sans réelle réflexion sur ce qu’est réellement un travail thérapeutique.

Ce remboursement, annoncé comme une prise de conscience des pouvoirs publics sur la nécessaire démocratisation de l’accès aux consultations psychologiques, se ferait alors sur des modalités qui me semblent contraires à ce qu’est un processus thérapeutique. Cette mesure n’est cohérente, ni vis-à-vis du patient, ni vis-à-vis du psychologue. Elle véhicule une vision erronée de l’appareil psychique et de son fonctionnement, envisagés de manière standardisée, paramétrée et mécanique. Il est chimérique de faire croire que l’être humain est une machine que l’on pourrait réparer en 10 séances de 30 minutes.

C’est nier l’extrême diversité du psychisme humain, la pluralité complexe des symptomatologies et la nécessité absolue du temps psychique et du processus de guérison. Avec cette mesure, exit le temps de la rencontre, de l’élaboration et de l’introspection, l’inconscient n’a plus de place pour être pensé.

Il apparaît clairement que le gouvernement délègue sa mission d’ordre public au psychologue libéral. Le libéral deviendrait alors l’antichambre des hôpitaux, proposant les soins que l’hôpital, réformé avec des rustines et débordé, n’est plus à même de fournir. Les CMP (Centres médico-psychologiques) ont pourtant été créés pour être au plus près des populations défavorisées. Ils méritent d’être considérés comme une prise en charge de secteur de premier choix, avec des moyens à la hauteur de leur mission de service public et de leur charge de travail. On ne peut que saluer la création des 800 postes promis à l’issue de ces Assises : il est à craindre que ce soit largement insuffisant pour endiguer les listes d’attente de plus de 18 mois sur la majorité du territoire français.

Par ailleurs, ce tarif de consultation fixé à 30 euros ne correspond en aucune façon à la réalité de l’exercice du psychologue libéral car, rappelons-le, il convient de déduire l’ensemble des charges liées à cette activité professionnelle (loyer, charges, impôts et taxes diverses, etc.). Est-ce aux psychologues libéraux de porter la responsabilité du service social en rentrant ainsi eux-mêmes dans la précarité ? Le président précise toutefois que « cette mesure de forfait de consultation est davantage destinée aux psychologues qui n’arrivent pas à vivre de leur métier. » Ironiquement, les psychologues qui s’inscriraient dans cette mesure risquent d’être effectivement les plus jeunes et moins expérimentés.

Enfin, ni le remboursement ni le renouvellement des séances ne doivent être conditionnés à une prescription médicale. Les médecins sont des partenaires précieux dans la prise en charge d’un patient en santé mentale et une collaboration autour du patient est souvent souhaitable, d’autant que le patient ne va pas toujours de lui-même consulter directement un psychologue. Toutefois, laissons aux psychologues la responsabilité d’évaluer les modalités de prise en charge thérapeutique et leur appréciation de l’évolution du patient dans sa singularité.

Cette annonce pourrait être considérée comme une manœuvre politique évidente de séduction du grand public, empathique avec ceux qui souffrent et ont besoin d’accéder à une thérapie que d’aucuns pourraient estimer souvent trop coûteuse. Non, le gouvernement ne pourra pas payer l’intégralité des consultations « pour tout le monde », et c’est bien normal. C’est au rôle des CMP de secteur de permettre un accès aux soins psychologiques aux familles les plus défavorisées. S’il est tout à fait juste de favoriser l’accès aux soins psychiques par une participation financière, il est impératif de préserver la dignité du soin psychique et de l’accompagnement des patients. Cette nouvelle mesure mérite d’être repensée en permettant au psychologue d’être responsable des modalités de la prise en charge qu’il propose, à un tarif décent en autorisant un dépassement d’honoraire, et permettant le temps du changement.