Tribune
Christian Anastasy
Président du COS (Conseil d’Orientation Stratégique) santé social de l’AFNOR
Nombreux sont ceux qui dénoncent habituellement l’excès de normes, et ce, à juste titre, car le brouhaha normatif peut nuire à la performance des acteurs du système de santé !
Mais si l’on coordonnait la production des normes volontaires avec celle des normes régaliennes, très différentes bien que complémentaires, on pourrait aboutir à une élaboration concertée des deux types de normes pour une meilleure articulation, voire une réduction globale !
Des mots communs mais des acceptions distinctes
– En français, le mot norme englobe la loi et ses textes d’application ainsi que les normes volontaires contrairement à l’anglais qui distingue quant à lui les mots « Law » et « Standard » le second désignant exclusivement les normes volontaires ;
– Le « droit régalien ou droit dur » est ainsi amalgamé en français avec la normalisation volontaire appelée « droit souple » selon le Conseil d’État. (Pour ajouter à la confusion, le mot français « standard » correspond non à une norme mais à une entente entre industriels) ;
– L’excès de normes invoqué vise donc à la fois le travail législatif et réglementaire, sans cesse croissant et rarement enclin à supprimer des règles devenues obsolètes et, parallèlement, la production par les acteurs économiques et les usagers de normes.
Législation et norme : des effets juridiques distincts
– Les textes émanant de la puissance publique tels que les lois, décrets d’application et arrêtés, fondés sur l’invocation d’un intérêt général supérieur et pour partie parfois établis après avis de représentants de la société civile, découlent de la conception « verticale » d’un droit non susceptible d’être remis en cause. Ils revêtent un caractère obligatoire et s’imposent, selon leur objet et dispositions, à toutes les personnes morales ou physiques ressortissantes du territoire national ;
– Une norme constitue, à l’inverse, un référentiel élaboré par un organisme de normalisation officiellement agréé par un État (AFNOR pour la France). Le Décret N° 2009-697 du 16 juin 2009 précise qu’elle constitue « Un document de référence élaboré de manière consensuelle par toutes les parties intéressées, portant sur des règles, des caractéristiques, des recommandations de bonnes pratiques relatives à des produits, des services, des méthodes, des processus ou des organisations. » ;
– Dans un contexte de concurrence mondiale, elle constitue un outil de protection consensuel des intérêts des États, usagers, entreprises ou organisations innovantes. Dès lors qu’elle n’est plus utile, la norme est retirée.
L’intérêt d’une collaboration rapprochée entre le pouvoir réglementaire et les organismes de normalisation s’imposerait pour améliorer la performance globale des organisations de santé
Selon le Conseil d’État les deux types de textes opposables aux citoyens devraient naturellement se compléter.
– Le Conseil d’État dans son étude annuelle de 2013 consacrée au « Droit souple » précise ainsi qu’il conviendrait de : « Favoriser la rédaction de textes législatifs et réglementaires plus brefs renvoyant explicitement au droit souple, par exemple, à des normes techniques le soin d’assurer leur mise en oeuvre. » ;
– La Direction générale des entreprises (DGE), tutelle de l’AFNOR, va quant à elle dans le même sens quand elle indique que : « Lorsque l’autorité réglementaire souhaite s’appuyer sur une norme, il est recommandé que le texte définisse les exigences essentielles à respecter et prévoit que le respect de la norme dont les références sont publiées donne présomption de conformité à ces exigences essentielles sans être obligatoires. ».
Pourtant, législation et normalisation sont élaborées sans concertation, ce qui alourdit les références opposables aux acteurs de santé !
Les normes en santé sont souvent souhaitées par des parties prenantes enclines à considérer que les textes régaliens sont insuffisamment précis ou rarement actualisés. Cela a été, par exemple, le cas pour les normes relatives à la Biologie et à l’Imagerie demandées par les sociétés savantes et syndicats de biologistes et radiologues.
L’absence de coopération entre les producteurs de normes est souvent liée à des postures qui rendent la coopération difficile
– Nonobstant la recommandation du Conseil d’État en faveur d’une nécessaire convergence avec les normes volontaires, l’administration centrale de la santé reste en général persuadée de la suprématie du droit régalien sur le droit souple. Elle semble ignorer qu’outre leur caractère d’horizontalité démocratique, les normes volontaires pourraient probablement constituer un complément utile, voire parfois suppléer la réglementation nationale ;
– Parfois l’administration centrale, dans son action réglementaire ou de régulation, instrumentalise les réflexions issues de groupes de partages de bonnes pratiques ou les concertations. Le risque est alors de rendre méfiants les participants futurs à toute forme de concertation ; les textes régaliens ne prenant que rarement en compte les consensus d’acteurs contrairement aux normes.
Les concertations en amont de fait sont rares
– La démarche qualité en imagerie médicale (Norme NF S-99-300) a été élaborée par l’AFNOR à la demande des radiologues avec la collaboration de l’ARS Île-de-France mais sans l’ANAP ou la DGOS, par exemple, qui ont poursuivi par ailleurs la rédaction d’autres textes ou référentiels ;
– Le programme Une seule santé de l’OMS : « Bien manger, bien vivre et bien vieillir » inspire la stratégie française de normalisation définie par l’AFNOR en coordination avec les ministères de l’agriculture, de l’industrie et de l’environnement mais sans lien suffisamment établi avec l’administration de santé ;
– Les travaux en cours à l’ISO sur le management des organisations de soins de santé qui aborde l’efficience des structures dispensant des soins ou encore l’implication du patient dans son traitement ne sont que peu suivis par l’administration sanitaire nationale alors qu’ils auront à terme, dès leur approbation et diffusion, un fort impact sur l’organisation nationale des soins de santé en Europe ;
– On pourrait citer également les travaux en cours initiés par la Suède relatifs à la qualité des soins apportés aux personnes âgées ainsi que ceux initiés par l’ISO relatifs à la définition des nouveaux produits, services et solutions répondant aux besoins futurs des sociétés confrontées au vieillissement de la population ou enfin tout ce qui concerne les pratiques liées à la télémédecine, guère suivis par l’administration de santé.
Les absences de coopération sont fréquentes
– Quand des institutions nationales comme l’AFNOR l’HAS ou l’ANAP, par exemple, travaillent sans concertation sur des sujets identiques à ceux établis par les organismes de normalisation ou inversement, quand ces derniers réagissent à la demande de parties prenantes, sans concertation avec les institutions précitées, la pertinence globale du système ne peut qu’apparaître désordonnée aux yeux de tous ceux qui sont assujettis ensuite à la forte nécessité de se référer aux différentes normes et se plaignent dès lors à juste titre de leur inflation ;
– On peut citer à titre d’exemple le guide de l’ANAP de 2020 « Transformation de l’EHPAD ; s’adapter aux nouveaux besoins des personnes âgées », qui a pour objet de soutenir la nécessaire transformation de ces établissements. Mais ce guide ne prend pas en compte la norme de février 2003 de l’AFNOR sur les établissements pour personnes âgées (Norme X50-058_FR) pourtant saluée à sa création par des organisations syndicales importantes comme seul élément contributif pour la qualité du service dû aux résidents. Cette norme volontaire a d’ailleurs été longtemps l’unique outil à disposition des tutelles pour le contrôle de la qualité des Ehpad, avant que le manuel de certification de l’HAS ne paraisse en mars 2022, induisant encore une nouvelle approche sans tenir compte de celles de l’ANAP ou de l’AFNOR ;
– Pour étayer des textes réglementaires ou des recommandations, les méthodes robustes des organismes normalisateurs tels l’AFNOR, le CEN ou l’ISO permettraient pourtant d’aboutir à des normes élaborées sur la base de consensus larges.
Elles compléteraient utilement les objectifs généraux définis par l’État en termes de résultats à atteindre. La concertation entre tous ces acteurs s’impose. La délégation interministérielle aux normes ainsi que les responsables ministériels des normes ont à cet égard un rôle de synthèse et d’orientation qui doit être mieux pris en compte.
En conclusion
– Une démarche convergente des différentes institutions concourant à la définition des droits durs et souples doit donc être initiée dans le sens des recommandations du Conseil d’État afin de concourir, après concertation, à une moindre production et une meilleure articulation entre tous les textes normatifs au service d’une meilleure performance. Des contacts déjà établis entre l’AFNOR et l’ANAP témoignent d’un changement d’état d’esprit à cet égard qu’il convient de saluer ;
– C’est en effet l’intérêt de notre pays d’identifier systématiquement, en fonction de ses objectifs stratégiques nationaux et internationaux, les partenariats institutionnels permettant de développer un système normatif plus cohérent, fondé sur une expertise commune au service d’une performance partagée ;
– Ceci constituera une source de simplification et de clarté pour tous les acteurs de santé et améliorera leur performance collective. Car plutôt qu’empiler de façon désordonnée les textes normatifs de toute nature, le système de santé gagnera en lisibilité grâce à des textes cohérents entre eux, plus courts, plus clairs, ce qui ne pourra que faciliter leur respect.
Source : Les nouveaux chemins de la performance en santé – CRAPS et ANAP