Tribune

« l’État est partout où il ne devrait pas être, […] trop longtemps trop peu présent dans ses fonctions régaliennes et trop peu efficace dans la dépense publique »

Michel Monier
Ancien Directeur Général adjoint de l’Unédic et membre du think tank CRAPS

PLF, PLFSS et perspective d’un nouvel et inévitable 49-3 d’un côté, Conférence sociale, négociations des partenaires sociaux à l’Agirc-Arrco et à l’Unédic d’un autre côté et chou blanc des incitations gouvernementales pour la vente à perte. Nous vivons une époque formidable dans un calendrier diabolique : celui de la fin, heureuse, du quoi qu’il en coûte. En bruit de fond la revue des dépenses publiques, une fois encore, de peu d’effet semble-t-il sur la maîtrise de la trajectoire des finances publiques alors qu’il faut retrouver les 3% de déficit, qu’il faut réduire la dette, qu’il faut tout faire maintenant.

La promesse de « pas d’impôts supplémentaires » trouve, pour être tenue, une recette qui n’est pas une surprise : taxer. Cette fois, les taxes visent les bons gestionnaires des régimes paritaires et des organismes de santé-prévoyance. Il faut reconnaître aux maîtres de ce calendrier un courage évident, celui de convoquer les partenaires sociaux à cette Conférence sociale tout en leur faisant les poches à l’Agirc-Arrco, à l’Unédic (dont la ressource principale reste la contribution des employeurs) aux mutuelles et institutions de prévoyance.

On peut voir dans ce rapt organisé un juste retour de choses : il faut bien que l’État se refasse après avoir nationalisé les salaires avec l’activité partielle, après les chèques censés juguler l’inflation en subventionnant le pouvoir d’achat. Il faut bien qu’il touche les bénéfices de l’effet report de la date d’ouverture des droits à retraite. Il faut bien qu’il touche les dividendes de la baisse, subventionnée, du taux de chômage. Il faut bien qu’il trouve à faire financer le 100% santé… et il n’est pas besoin, là, d’un 49-3 : l’injonction suffit.

On peut ainsi voir, dans ce rapt organisé, l’instauration forcée d’un nouveau type de prélèvements obligatoires consistant à saper ce qui fonctionne. Les organismes de la sphère sociale sont des vaches à lait qui financent le désengagement de l’État. Ces régimes assuranciels deviennent financeurs de politiques publiques, de la solidarité nationale. C’est une option qui, méthodiquement, détricote le système hérité de 1945 et dont il faut dire que, de réformes en rafistolages, il ne correspond plus au modèle économique actuel ni aux enjeux de ce siècle.

On peut aussi voir que l’État est partout où il ne devrait pas être, occupé à inventer les chèques ressemelage et réparation d’appareils électroménagers et depuis trop longtemps trop peu présent dans ses fonctions régaliennes et trop peu efficace dans la dépense publique.

C’était faire un faux procès à ce gouvernement que de dire qu’il est celui des riches : il est celui de la dépense publique. S’il est heureux que la récente enquête de l’Insee1 nous dise à quoi sert le pognon de dingue il faut craindre, avec ce mouvement de solidarisation des assurances sociales, que le consentement aux cotisations sociales faiblisse de la même manière que le consentement à l’impôt. L’excès c’est le poison ! Il faut craindre que revienne au débat le caractère obligatoire de la Sécu et la demande du libre choix de l’organisme d’assurance sociale… ce qui laisserait l’État en charge de la seule solidarité…

Détricoter le système, détricoter aussi le « contrat social » c’est une option qui, parce qu’elle avance à bas bruit, ne nécessite aucun courage politique. Elle ne nécessite aucun courage politique tellement nous sommes habitués, biberonnés, à l’assistance publique d’un État qui s’est fait nounou à défaut d’être providence. Elle ne nécessite aucun courage politique tellement, en même temps, nous voulons des exceptions, de l’individualisation des prestations.

La fin du quoi qu’il en coûte ne sera pas, tout de suite, la rigueur budgétaire mais celle d’une nouvelle architecture de la dépense publique et de son financement. Dans un premier temps, outre quelques taxes nouvelles sur tel ou tel service, tel ou tel concessionnaire d’ouvrage public, les régimes complémentaires soumis à des prélèvements obligatoires et contraints d’absorber les déremboursements apportent un financement nouveau (demain, obligés aussi de maîtriser leur tarification, ils seront coupables de ne plus répondre à leur mission). Quant à la « Sécu », elle n’aura pas le temps de devenir la « Grande Sécurité sociale », elle deviendra, fiscalisée, une variable d’ajustement de la dépense publique et sera une « petite sécurité sociale ». La place sera faite à un RSU, revenu de solidarité universelle, à une couverture Santé-solidaire et à des dispositifs d’assurance individuels librement choisis.

PS : en relisant les travaux du HCAAM2, qui n’a pas investigué cette hypothèse, je prends conscience que cette tribune est pure élucubration. Merci au lecteur de la considérer comme telle…

1. « La redistribution élargie, incluant l’ensemble des transferts monétaires et les services publics, améliore le niveau de vie de 57 % des personnes », INSEE Analyses, N°88, 19 septembre 2023.

2. Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie (HCAAM) , « sécurité sociale et complémentaires de santé : quelles pistes de réforme ? », janvier 2022.