Lucien Vicenzutti
Directeur d’hôpital
Établissement public de santé mentale de référence du territoire Rouen-Elbeuf, connu et reconnu au plan régional, le CH du Rouvray est investi de missions d’expertise et de recours. Il est un acteur incontournable de la filière psychiatrique de Normandie. Néanmoins, il fait face à une crise majeure qui met en jeu son avenir.
Le départ de 10 praticiens (dont 5 chefs de services) parmi lesquels 4 sont recrutés par la nouvelle clinique d’Yvetot constitue une alerte sérieuse pour l’établissement, dans un contexte interne parsemé de doutes et d’incertitudes depuis deux ans. Face aux menaces de la situation, l’hôpital saisit l’opportunité du nouveau projet d’établissement pour mobiliser toutes ses forces autour d’objectifs stratégiques partagés, cohérents et adaptés aux besoins de la population, dans un climat retrouvé de sérénité.
1/ Une crise sans précédent au Centre Hospitalier du Rouvray : crise sociale, perte d’attractivité médicale, absence de vision stratégique et déficit budgétaire
Premièrement, l’établissement a connu en 2018 plus de 78 jours de conflit et une grève de la faim suivie par plusieurs agents, qui a fortement ébranlé l’image de l’établissement et divisé la communauté hospitalière. Malgré la signature d’un protocole d’accord de sortie de crise en juin 2018, sa mise en œuvre est demeuré complexe. Les 30 postes supplémentaires alloués par l’ARS de Normandie n’auront pas permis de résoudre les deux problèmes à l’origine de la crise sociale : la sur-occupation des lits d’hospitalisation et la nécessité de créer une unité pour adolescents de 10 lits.
Deuxièmement, l’établissement fait face à une crise préoccupante de son attractivité médicale. Suite à une première vague de départs de praticiens il y a deux ans, qui a entraîné la dissolution d’un pôle adulte sur les trois existants, une seconde vague sévit ces derniers mois avec le départ de 10 praticiens dont 4 pour la clinique d’Yvetot, sans compter les 4 départs à la retraite prévus en 2020 (sur un effectif global de 100 praticiens), marquant ainsi une rupture sans précédent.
Troisièmement, au plan financier l’établissement n’est pas sous-doté budgétairement, loin de là, mais ses marges de manœuvre se sont réduites ces dernières années, au point de compromettre le financement des projets et des investissements à venir.
Quatrièmement, le CH du Rouvray ne possède pas de projets d’établissements ni de projets collectifs pour donner du sens aux travail des équipes. Depuis la fin du projet d’établissement 2013-2017 (dont de nombreux projets n’ont pas été mis en œuvre faute de lisibilité sur leur financement), l’hôpital a tardé à relancer sa démarche stratégique dans un contexte qui exigeait pourtant d’être attentif aux contraintes de travail des équipes médicales et soignantes dans la prise en charge des patients : augmentation de l’activité (file active), augmentation des durées d’hospitalisation, manque de solutions d’aval pour les séjours longs.
Enfin dernièrement, l’hôpital a été étrillé par la visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) en octobre 2019, qui a non seulement condamné les deux problèmes à l’origine de la crise sociale (sur-occupation des lits et hospitalisation des adolescents, dans des conditions indignes), mais aussi dénoncé d’autres dysfonctionnements importants impactant fortement la dignité et les droits fondamentaux des patients, à savoir : le non-respect de la réglementation relative aux mesures d’isolement à n’utiliser qu’en dernier recours, la liberté d’aller et venir des patients, le droit à l’information des patients. Les personnels ont été profondément heurtés par l’impact médiatique de la publication de ces recommandations.
Désormais l’enjeu est de transformer cet électrochoc en force motrice pour relever les défis d’aujourd’hui et préparer l’hôpital de demain.
2/ D’abord passer de la parole aux actes
Dès l’annonce des recommandations en urgences de la CGLPL, le CH du Rouvray a su remettre en question ses pratiques et établir un plan d’action d’amélioration à court et moyen terme :
Les 31 lits supplémentaires (utilisés dans des conditions indignes) ont finalement été fermés entre janvier et mars 2020 ;
Une action est engagée avec l’ARS, le Département 76, la MDPH et les structures médico-sociales afin de réduire les hospitalisations inadéquates en psychiatrie et orienter une trentaine de patients vers des structures médico-sociales ;
À cet effet, le CHR va mettre sur pied une équipe mobile handicap qui viendra en soutien des établissements accueillant les patients porteurs d’un handicap psychique ;
Le dispositif interne de gestion des flux de patients a été réactivé au mois de janvier pour prévenir les hospitalisations, faciliter les sorties et réduire les durées de séjour. Son efficacité avait déjà été démontré en 2018 mais il avait été malheureusement stoppé ;
Des équipements améliorant l’accueil des patients dans les unités intra ont été recensés et commandés ;
Des groupes de travail ont été mis en place sur les thèmes de l’isolement et des contentions, la liberté d’aller et venir des patients, l’information des patients sur leurs droits et l’ouverture et la sécurisation du site ;
Le projet d’humanisation des chambres d’isolement sera accéléré et les travaux sont planifiés sur 2 ans avec une aide financière de l’ARS de 1 million d’euros ;
Enfin le ministère de la Santé a validé le projet de création de l’unité de 10 lits dédiée à la prise en charge des adolescents de plus de 13 ans. L’établissement bénéficie d’un accompagnement de l’Agence régionale de santé finançant 10,5 postes sur les 36 postes nécessaires au total pour mettre en service cette unité. Celle-ci ouvrira en novembre 2020, à l’issue d’une réorganisation interne qui implique notamment le redéploiement d’une unité adulte de 15 lits.
3/ Saisir l’opportunité du projet d’établissement pour remobiliser l’hôpital
Le directoire a validé le cahier des charges d’une mission d’expertise et d’accompagnement du Centre Hospitalier du Rouvray à l’élaboration de son projet d’établissement. Suite à un appel d’offres un prestataire a été retenu. La définition d’orientations stratégiques partagées et cohérentes est l’effet nécessaire afin de guider l’action des professionnels pour les 5 années à venir et adapter les organisations aux besoins de la population, autour de eux priorités :
• Dépistage et prise en charge précoce des maladies mentales ;
• Réhabilitation psychosociale et réinsertion des patients.
Un véritable plan de transformation attend l’hôpital avec à la clé la trajectoire du retour à l’équilibre financier :
• Mettre au cœur la qualité, la sécurité des soins et le respect des droits des patients ;
• Refonder les organisations en profondeur pour amorcer le virage ambulatoire qui est aussi un virage inclusif ;
• Investir des moyens dans les territoires et développer les coopérations avec les partenaires médico-sociaux, sanitaires, ainsi que la coopération ville-hôpital.
Sur chacun de ces points, il conviendra collectivement de se demander : quelles sont nos valeurs ? C’est quoi la psychiatrie dans 20 ans ? Et les usagers dans tout ça? Et nous les professionnels ? Dans sa démarche l’hôpital a fait le choix d’une large implication des personnels et des équipes dans la définition des projets des pôles et du projet de prise en charge des patients.
Aussi, l’accent sera mis sur la responsabilité car il faudra :
• Prendre en compte les contraintes financières et réglementaires ;
• Proposer des réorganisations audacieuses et courageuses ;
• Identifier les investissements prioritaires et solliciter des financements extérieurs ;
• Procéder à des arbitrages budgétaires, dans la transparence et la concertation, car l’hôpital ne pourra pas tout faire.
On soulignera enfin l’importance du projet social avec un volet médical et un volet non-médical. Seul le dialogue permettra de trouver une meilleure régulation entre les exigences de l’organisation de l’hôpital (qualité, réglementation, équilibre financier) et celles des personnels hospitaliers (formation, reconnaissance, conditions de travail). Il convient de redonner du sens au travail en cernant mieux les missions de l’hôpital, dans un objectif partagé de qualité des soins et de qualité de vie au travail. Malgré les difficultés financières qui pèseront, il sera alors plus acceptable de négocier l’allocation des ressources aux contraintes du travail, notamment en prévenant les risques professionnels et les risques psychosociaux en particulier, à partir de la prise en compte des situations de travail. L’hôpital doit retrouver la voie de la cohésion interne et de l’attractivité s’il veut recruter les compétences dont il a besoin.
Au bout du compte le Centre Hospitalier du Rouvray peut démontrer sa capacité à transformer ses organisations et proposer une offre de soins de proximité et de recours, pertinente et de qualité, pour répondre aux besoins actuels et émergents en santé mentale. Entre-temps, l’épidémie de Covid-19 a mis en pause cette démarche de projet lancée en début d’année. Néanmoins des initiatives ont été prises et augurent de l’état d’esprit nouveau dans lequel les acteurs internes veulent désormais travailler ensemble. Deux exemples emblématiques :
Les contraintes du confinement ont permis aux pôles de psychiatrie de limiter les hospitalisations et de garder le lien social et de soigner à distance grâce au développement sans précédent des téléconsultations, sans constater d’intolérances ou de décompensations préoccupantes chez des patients ;
La perspective du déconfinement pose avec acuité la nécessité d’évaluer avec les Partenaires sociaux du CHSCT les risques professionnels afin de garantir la qualité et le sécurité de la reprise des activités.
Un début encourageant.
