Raymond Soubie
Président des sociétés de conseil ALIXIO et TADDEO
Inverser la courbe du chômage n’a pas été possible et le nombre de demandeurs d’emploi progresse aussi dramatiquement que régulièrement. Pensez-vous comme F. Mitterrand qu’au regard du chômage « on a tout essayé » ?
La France connaît en matière d’emploi un problème majeur : un taux de chômage supérieur dans la durée à celui de la moyenne des autres pays industrialisés. Cette permanence dans le constat a fait dire autrefois à François Mitterrand que tout avait été essayé, sous-entendu, en vain. Ce constat est-il réellement fondé ? Le taux de chômage, comme l’inégalité devant l’emploi, dépendent de deux facteurs différents : les politiques spécifiques de l’emploi stricto sensu, comme la formation professionnelle, la mobilité, l’orientation, l’accompagnement au cours de la vie professionnelle, mais aussi les politiques favorisant ou non les créations d’emplois, c’est-à-dire, au premier chef, la croissance.
Sur le premier volet, tout au long de ces dernières années, des réformes importantes ont été menées, par exemple, en matière de formation, de procédures de licenciements économiques, de contrats aidés. François Hollande comptait d’abord sur elles pour inverser la courbe du chômage, et on a pu constater que cet objectif n’a pas été atteint. En réalité, l’obstacle rencontré a été l’absence de création d’emplois, et même la destruction d’emplois – environ 80 000 dans le secteur privé marchand en 2014. Les perspectives récemment données par l’UNEDIC, 20 000 emplois crées en 2015, ne suffiront pas à inverser la courbe du chômage compte tenu d’un accroissement de la population active d’environ 100 000 personnes par an. Le cœur du sujet de l’emploi est donc bien la recherche d’une croissance soutenue, c’est-à-dire supérieure à 1,5 % au cours des prochaines années. Pour y parvenir, deux conditions seront nécessaires : un environnement économique favorable et une amélioration de la compétitivité de notre économie.
Dans le cadre de la création de nouvelles régions et dans la perspective de les doter de nouveaux domaines de compétences comme la prescription de la formation, pensez-vous qu’il soit souhaitable de régionaliser Pôle emploi comme le souhaite le Président de l’ARF?
Pôle emploi résulte d’une fusion, pas si lointaine, entre l’UNEDIC et l’ANPE, qui a posé beaucoup de problèmes et qui a pris du temps. Pour mener cette première étape, il fallait une unité de conception, de commandement et d’exécution, qui imposait un maintien de la nouvelle entité dans le giron de l’Etat. Aujourd’hui que Pôle emploi est entré dans une nouvelle étape, celle de la recherche d’une meilleure efficience dans le reclassement des demandeurs d’emploi, faut-il régionaliser l’institution ? Ce n’est pas certain, car Pôle emploi expérimente de nouvelles mesures en concentrant mieux ses efforts sur les salariés les plus éloignés de l’emploi, en créant des équipes chargées du contrôle, en ayant pour les salariés les plus autonomes recours aux nouvelles technologies sur Internet. Quand tout ceci sera au point, il sera peut-être alors temps de se poser la question de la régionalisation, mais sans doute pas avant.
L’augmentation du chômage entraîne un déficit de l’Assurance Chômage jamais atteint qui sera fin 2015 de l’ordre de 24 Milliards d’euros. Le 9 octobre dernier, le Premier Ministre, devant la Représentation Nationale, déclarait que réformer l’indemnisation des demandeurs d’emploi n’était pas un sujet tabou.
Quelles sont le pistes à suivre, selon vous, pour à la fois « encadrer » le déficit et assurer un salaire de remplacement décent aux demandeurs d’emploi?
Il est vrai que la situation de l’UNEDIC, non seulement ne s’améliore pas comme on l’espérait encore il y a un an, mais s’aggrave. Cette situation est naturellement due à la progression continue du chômage, dont la courbe ne devrait pas s’inverser – au mieux – avant 2016 ou 2017. Dans ce contexte, le déficit annuel du régime dépasse 4 Milliards par an. Son endettement sera de l’ordre de 26 Milliards d’euros cette année. C’est la raison pour laquelle le 9 octobre dernier, le Premier Ministre a fait la déclaration que vous rapportez. Par ailleurs, un autre régime géré par les partenaires sociaux, celui des retraites complémentaires, connaît aussi un déficit important. La responsabilité des partenaires sociaux est donc lourde. S’agissant de l’assurance chômage, il est difficile de prendre des mesures défavorables à certaines catégories de chômeurs, alors que le chômage perdure. Pourtant, c’est la question que les partenaires sociaux vont avoir à traiter en 2016 lorsqu’ils se rencontreront pour renégocier la convention. La France a un des régimes les plus favorables d’Europe : durée et plafond de l’indemnisation, non dégressivité des allocations, pour ne citer que ces exemples. Si la croissance ne revient pas, forte et durable, il faudra bien faire des choix douloureux.
N’y a-t-il pas, selon vous, contradiction ente la volonté du gouvernement de développer le dialogue social et sa réflexion de relever les seuils sociaux dans les entreprises, de légiférer à travers la loi Macron sur les conditions de travail au sens large des salariés et ceci au titre de la recherche de croissance ?
Le gouvernement est cohérent avec la loi Larché et avec sa propre volonté. La loi Larché de janvier 2007, prévoyait qu’avant de proposer une mesure législative, sur tout sujet ayant trait à l’emploi, à la formation, aux relations sociales, le gouvernement devait engager une concertation avec les partenaires sociaux pour voir s’il était possible d’inviter ceux-ci à conclure sur le sujet à traiter, un accord national interprofessionnel. François Hollande a toujours voulu privilégier le dialogue social, d’ou des conférences sociales annuelles définissant les sujets relevant du dialogue entre partenaires sociaux. S’agissant de la loi Macron sur le travail le dimanche, celle-ci renvoie pour une série de points importants, notamment les compensations des salariés, à une négociation. Par ailleurs, le sujet des seuils sociaux fait partie de l’ensemble sur le dialogue social qui a été en négociation entre les partenaires sociaux. Il n’y a donc pas, selon moi, de contradiction entre l’intention du gouvernement et ses pratiques actuelles.
Avec la chute spectaculaire du prix du baril de pétrole et la baisse tout aussi rapide de notre monnaie face au dollar, facteurs incontestables de croissance, doit-on remettre en cause les prévisions de l’OCDE et de l’Unedic, qui tablaient encore dernièrement sur 130 à 140 000 demandeurs d’emploi en plus pour l’année 2015?
Non, l’UNEDIC vient de faire de nouvelles prévisions pour l’année 2015 qui partent d’une hypothèse de croissance de 0,8 %, consensus actuel des économistes, légèrement inférieur à la prévision de 1 % du gouvernement. Cette dernière projection prévoit un accroissement du nombre des demandeurs d’emploi de 100 000 en 2015. Soit un freinage réel par rapport à 2014, mais une augmentation toujours importante. Dans ce scénario, la chute du prix du pétrole et la baisse très forte de l’euro par rapport au dollar, ont été prises en compte.