Tribune

« La valeur travail en tant que valeur sociale et le financement de la protection de tous dans une logique de solidarité semblent moins appréhendés par les jeunes générations »

Par
Dr François Blanchecotte
Président national du Syndicat des biologistes

La valeur travail est devenue une valeur économique pour beaucoup de membres des jeunes générations. Il est avant tout un moyen de gagner de l’argent. Une enquête IFOP d’octobre 2023 montre que 45 % des personnes interrogées affirment ne travailler que pour l’argent (33 % en 1993). Et ce chiffre atteint 54 % chez les 18-24 ans.

Le travail ne représenterait-il plus qu’une contrainte dans le cadre d’un métier que l’on n’a peut-être pas choisi, et non un moyen de réalisations personnelle et professionnelle ? L’évolution du rapport au travail ne doit-elle pas être plutôt appréhendée à travers le prisme du partage entre vie familiale et vie au travail ? Faut-il aussi rechercher les causes de cette désaffection dans le monde de l’entreprise et les méthodes de management ?

La crise de la Covid-19 nous a montré que de nombreux salariés ont quitté leur emploi pour changer de vie, la pression parfois trop lourde des conditions de leur poste provoquant de nombreux burn-out, en particulier dans les métiers de la santé. Changer de vie pour retrouver du sens à son activité, pour être plus autonome et maître de ses journées, voire pour ne plus avoir à travailler, quitte à diminuer ses besoins ou aller vivre dans un pays où l’on ne doit pas contribuer au financement collectif.

L’apparition du télétravail ou encore du freelancing comme mode de conciliation vie/travail a séduit, mais isolé les salariés. Certains ont décidé d’opter pour leur indépendance : plus de 1 000 personnes par jour choisissent de s’installer comme microentrepreneurs, modulant loisirs, travail, vie familiale au gré de leurs besoins financiers.

Retrouver un équilibre entre le temps au travail et le temps consacré à sa vie personnelle est parfois une nécessité ou une contrainte. Mais jusqu’où pousser cette logique ? Peut-on vivre sans travailler avec des revenus financiers de placement ? Est-ce vraiment une possibilité ouverte à tout le monde ?

La valeur travail en tant que valeur sociale et le financement de la protection de tous dans une logique de solidarité semblent moins appréhendés par les jeunes générations. Travailler pour financer la protection sociale au sens large, améliorer la qualité de vie des autres et favoriser le progrès social est différemment partagé selon les catégories d’âge, les jeunes étant plus séduits par leur participation active à la préservation de l’environnement que par le choix de notre pays de protéger socialement les plus fragiles.

Reste que certains voient dans cette vision collective un sens éthique comme un devoir moral, une responsabilité envers la société et une contribution au bien-être de tous. Ils y voient souvent aussi, à titre personnel, une satisfaction, un développement des compétences qui permet de s’accomplir et de se réaliser.

À côté du travail productif existe ainsi celui du bénévolat. Plus l’apanage des plus âgés, il est tout de même celui aussi de jeunes générations qui veulent donner de leur temps dans le secteur associatif de leur choix au service des autres.

Les évolutions des attentes des jeunes en général, mais aussi celles de l’économie, en particulier, l’évolution numérique, et les changements culturels, avec l’importance croissante de l’autonomie et de la flexibilité, font fortement évoluer la relation au travail.

Il semble que, dans le secteur salarié, la qualité du management soit essentielle pour que l’ambiance et les conditions de travail qui sont proposées permettent une fidélisation dans le poste occupé. La modularité des jours ou des horaires de travail sont dorénavant des facteurs de stabilité et de productivité de l’entreprise.

En somme, la disparition du travail en tant que concept est peu probable, mais il va subir des évolutions dans sa nature et dans sa conception. Sa nature va changer, il devra tenir compte des évolutions technologiques et de l’automatisation de certaines tâches répétitives ou contraignantes. Des algorithmes pourront apporter des améliorations importantes. De nouveaux emplois verront le jour, liés en particulier à la créativité, à la résolution de problèmes complexes souvent dans les domaines peu automatisables.

Le temps de travail pourrait être beaucoup plus partagé entre vie professionnelle et vie familiale, permettant l’émergence d’activités plus collectives ou communautaires. Le travail évoluera peut-être vers plus de flexibilité dans les horaires, avec des contrats de travail innovants qui s’attacheront des périodes d’emploi au sein desquelles chaque individu bénéficiera d’une plus grande souplesse d’organisation personnelle.

Mais le travail devrait rester un des éléments de l’organisation de nos sociétés. Il permet à tous de créer de la valeur et de fournir un moyen par lequel les individus contribuent, interagissent et trouvent un sens à leur vie, forte pour tous les individus, d’une dimension liée au collectif et donc au social.