Tribune
Dr Line Farah
Pharmacienne spécialiste en économie de la santé, accès au marché et intelligence artificielle
Coordinatrice du centre d’innovation des dispositifs médicaux de l’Hôpital Foch
L’avènement du numérique en santé et des innovations technologiques ont favorisé l’émergence de nouvelles pratiques de soin personnalisées et de nouveaux dispositifs médicaux. Au regard du nombre accru de sollicitations des industriels et des professionnels de santé, des hôpitaux se dotent de centres d’innovation et d’expérimentation sur les technologies de santé numériques pour attirer à la fois les talents (professionnels) et les patients au sein de ces structures à la pointe de l’innovation numérique.
1re phase – L’innovation dans le soin : Cultivons notre jardin pour faire germer les idées de nos professionnels de santé
L’objectif de ces tiers-lieux d’expérimentation est de démontrer le bénéfice potentiel d’une innovation technologique, organisationnelle, numérique afin de co-développer les technologies de santé de demain. Les outils d’e-santé impactent l’ensemble du parcours de soins, depuis la prise de rendez-vous sur les plateformes, en passant par l’utilisation d’intelligence artificielle pour le diagnostic précoce ou la planification préopératoire tridimensionnelle, jusqu’à la prédiction du risque de complications postopératoires et le suivi digital des paramètres cliniques au domicile du patient voire des jumeaux numériques. L’e-santé a d’ailleurs été qualifiée de « gisement de performances » selon la Cour des comptes en 20211.
Il est donc dans l’intérêt des hôpitaux de proposer d’intégrer ces innovations numériques dans leur projet d’établissement pour promouvoir le dialogue entre leurs professionnels de santé et les industriels et académiques. En parallèle de ces collaborations en e-santé, des challenges d’innovation sont proposés dans certains hôpitaux aux professionnels afin de leur permettre d’identifier et de préciser les besoins. C’est une façon de donner du sens aux actions à construire dans une démarche de « Sensemaking, Sensegiving2 », pour cococonstruire le sens au service de l’utilisateur final de l’outil digital. Une proposition d ’ accompagnement multidisciplinaire peut ainsi être proposée par les équipes d’innovation de l’hôpital et par les experts externes permettant d’aboutir à la cocréation de solutions digitales qui pourront être disséminées dans d’autres hôpitaux, dans certains cas.
Définir, identifier et valoriser une innovation au sein des équipes soignantes constitue à la fois un challenge et un levier d’action. Cette adéquation entre le besoin des bénéficiaires (professionnels de santé, patients, hôpitaux) et les solutions techniques des industriels constitue la pierre angulaire qui permet de qualifier l’intérêt pour une technologie de santé numérique. C’est un élément prépondérant pour le financement futur de ces innovations.
2e phase – L’évaluation médico-économique : Puisons à la source de nos données pour évaluer la valeur créée par les solutions numériques codéveloppées
Ces technologies d’e-santé bousculent parfois les concepts classiques de remboursement des produits de santé, puisqu’elles impliquent une prise en charge plus intégrative du patient. Elles peinent donc à trouver des financements selon les modèles économiques standards. Des preuves de leur intérêt clinique au regard des économies potentielles sont attendues par les décideurs en santé et les financeurs nationaux (État, Sécurité sociale), régionaux (centrales d’achat) et locaux (hôpitaux).
La place des acteurs « historiques » du financement en santé comme la Sécurité sociale commence à se redessiner alors que de nouveaux « financeurs » émergent. Des assureurs financent, notamment, des outils de visualisation au bloc opératoire, des mutuelles proposent à leurs adhérents une liste d’outils numériques de prévention et de bien-être, des centrales d’achats mutualisés référencent des logiciels et des dispositifs numériques pour les hôpitaux adhérents, des patients se procurent des montres connectées et des établissements de santé investissent dans des algorithmes d’intelligence artificielle pour le diagnostic voire le traitement de certaines pathologies.
La question des preuves médico-économiques nécessaires pour déterminer ces nouveaux modèles de financement trouve donc tout son sens et son essence dans ses réflexions macro-économiques. Afin de réaliser l’évaluation de l’intérêt médico-économique des technologies de santé digitales, le besoin de données à la fois cliniques et économiques représente un point névralgique qui peut être comblé du fait de la génération en continu de données issues de ces outils. Il apparaît donc indispensable de tirer parti de ces données grâce, par exemple, à l’élaboration d’outils d’évaluation multicritère au service de la prise de décision des décideurs financiers ; étape cruciale pour garantir la mise à disposition et l’adoption de ces innovations numériques dans nos hôpitaux.
3e phase – L’adoption de l’innovation digitale : En conclusion, prenons soin de nos patients et de nos soignants en pérennisant notre système de santé à travers une analyse médico-économique efficiente de l’apport de ces technologies numériques pour favoriser la mise à disposition précoce de ces outils au service des professionnels, des patients et des établissements.
1 Cour des comptes. Le rapport public annuel. 2021. Disponible sur : https://www. ccomptes.fr/sites/default/files/2021-03/20210318-RPA-2021-synthese.pdf.
2 Gioia, Dennis A., and Kumar Chittipeddi. “Sensemaking and Sensegiving in Strategic Change Initiation.” Strategic Management Journal, vol. 12, no 6, 1991, pp. 433-448. JSTOR, www.jstor.org/stable/2486479. Accessed 10 oct. 2020.
Source : Les nouveaux chemins de la performance en santé – CRAPS et ANAP