INTERVIEW
Michel Chassang & Frédéric Van Roeckeghem
Président de la CSMF & Directeur Général de la CNAMTS
La démographie médicale semble être un sujet qui ressemble à un véritable serpent de mer, depuis plus de 20 ans, les rapports se succèdent et s’empilent sans que la tendance change. Aujourd’hui, en mars 2013, avons-nous trop ou pas assez de médecins ?
Michel Chassang : La question des zones sous-médicalisées est complexe et multifactorielle. Pour y répondre efficacement, il faut se garder des mesures autoritaires toujours contreproductives et envisager le problème dans sa globalité. Mais tout d’abord, il faut se garder des idées reçues, comme celle qui consiste à dire qu’il n’y a pas assez de médecins. La perception d’un déficit de médecins, alors que leur nombre n’a jamais été aussi important, est un paradoxe qui a pour origine leur mauvaise répartition sur le territoire et surtout une mauvaise répartition entre les différentes spécialités médicales. Et de cela, personne n’en parle. Pourtant en 2010, aucune installation en libéral n’a eu lieu dans 14 spécialités. Pire, le solde de l’effectif libéral entre départs et installations est négatif dans 8 spécialités. L’Ordre des médecins a mis en évidence un afflux de médecins diplômés hors de l’hexagone, mais qui ne s’installent pas principalement dans les zones sous-denses. Le CNOM a comptabilisé 19 890 médecins titulaires d’un diplôme européen et extra-européen, ils représentent 7,4% de l’ensemble des médecins inscrits au tableau de l’Ordre. « Parmi les 6 053 médecins nouvellement inscrits au cours de l’année 2011, 27% d’entre eux sont titulaires d’un diplôme obtenu hors de France. Donc attention à ne pas faire n’importe quoi en prônant des solutions à l’emporte-pièces qui favorisent peut-être le clientélisme électoral, alors que le sujet est complexe et délicat.
Frédéric Van Roeckeghem : La France se caractérise, si l’on en croit les statistiques de l’OCDE, par une situation médiane en matière de démographie médicale. Ce n’est vraisemblablement pas tant le nombre de médecins qui pose question, que la répartition entre spécialités, la répartition sur le territoire et la coordination des professionnels de santé, médicaux et paramédicaux, entre eux, qui constituent les principaux enjeux
FAUT-IL FORMER SELON VOUS PLUS DE GÉNÉRALISTES, QUE DE SPÉCIALISTES OU L’INVERSE ?
M.C. : Il faut clairement former davantage de médecins dans certaines spécialités dont les effectifs ont sensiblement baissé. C’est le cas par exemple des ophtalmologistes ou une centaines de postes sont ouverts chaque année à l’issue du concours d’internat, alors que se développent des files d’attentes dans certaines régions pour pouvoir avoir un rendez-vous. La gestion des effectifs par les pouvoirs publics selon les désidératas des mandarins est un problème. Elle devrait se faire selon les besoins constatés dans chacune des spécialités et par région.
F.V.R. : De manière générale, l’attractivité des spécialités cliniques, y compris la médecine générale, est à renforcer. Pour les spécialités autre que la médecine générale, la question se pose différemment suivant que l’on considère les spécialités de plateaux techniques (notamment chirurgie, anesthésie, obstétrique), les spécialités médicaux techniques (par exemple l’imagerie) et les spécialités cliniques. Il me semble que les décisions en matière de formation devraient être prises à partir d’une analyse des besoins de soins projetée sur les prochaines années, des innovations et des gains de productivité envisageables sur les différentes activités médicales.
QUELLES SOLUTIONS AVANCEZ-VOUS POUR INCITER LES MÉDECINS À S’INSTALLER DANS LES ZONES SINISTRÉES, OU PLUS EXACTEMENT DANS LES DÉSERTS MÉDICAUX ?
M.C. : Pour construire une politique de meilleure répartition des médecins sur le territoire il est urgent de revaloriser l’exercice libéral. Il faut répondre aux aspirations nouvelles, des femmes comme des hommes, de mieux équilibrer leur vie professionnelle avec leur vie personnelle. Ceci suppose d’adapter l’organisation professionnelle, en favorisant des modes d’exercice en réseau ou en groupe entre médecins et autres professions de santé, et enfin entre les structures hospitalières publiques et privées. Dans le même esprit, il faudrait permettre aux médecins libéraux d’accéder aux plateaux techniques des hôpitaux sur la même base de nomenclature que la rémunération des actes en libéral. Il faut naturellement améliorer les conditions de la permanence des soins et trouver des solutions de collaboration public/privé dans les zones déficitaires. Trop souvent le poids des gardes est tel qu’il constitue un facteur très dissuasif à l’installation dans ces zones. Il ne sera pas possible de faire l’économie de l’alignement du niveau de rémunération sur celui des autres médecins européens. L’installation dans les zones peu attractives doit être encouragée par des incitations multiples, sous condition que le médecin ne soit pas contraint d’effectuer la totalité de sa carrière professionnelle dans une seule zone. Pour répondre en urgence au problème des zones les plus sous-médicalisées, un contrat volontaire pourrait permettre de créer des cabinets secondaires partagés entre professionnels pour assurer une présence permanente. Le numerus clausus doit être établi au niveau régional en prenant en compte les besoins par spécialités dans les années à venir, par le retour à l’internat régional. Naturellement, la création d’un statut de collaborateur libéral est à explorer. C’est encore l’exercice à temps partiel ou à temps partagé qu’il faut développer. La meilleure façon de promouvoir la médecine libérale, c’est d’en faire un terrain de formation en multipliant les stages tout au long de la formation.
F.V.R. : L’analyse des motivations des jeunes médecins montre que les facteurs non financiers sont tout aussi décisifs pour le lieu d’installation que les incitations financières. Il faut donc en premier lieu mobiliser les facteurs d’attractivité des territoires et les perspectives de carrière que l’on pourrait construire pour les jeunes médecins qui s’engageraient à s’instal- ler dans les zones sous-dotées pendant une période donnée. Mais le temps presse et si des réponses rapides ne sont pas trouvées, le risque d’une politique plus contraignante ne peut être écarté.