TRIBUNE
LES RÉCENTES LOIS MA SANTÉ 2022 ET TRANSFORMATION DE LA FONCTION PUBLIQUE SONT VENUES APPORTER DES RÉPONSES TANGIBLES AUX BESOINS DES ORGANISATIONS…

MATTHIEU GIRIER

PRÉSIDENT DE L’ADRHESS

Voir fonctionner l’hôpital public d’aujourd’hui conduit irrémédiablement à constater une cascade de paradoxes. Paradoxe d’un service public aimé des Français, loué pour la qualité de son service mais souvent critiqué pour la carence de son accueil, trop bondé, trop administratif, trop rigide, qui ne donne pas à tous, et à tout moment, l’attention qu’il ou elle requiert. Paradoxe d’une organisation portée depuis plusieurs siècles par le progrès technique et technologique, et qui rejette, en ces temps de difficultés, le principe du changement permanent qui l’a vu naître et prospérer. Paradoxe d’une organisation conduite par nature à faire du sur-mesure, en matière de parcours, de soins et d’accompagnement, mais qui demeure enfermée dans un certain schéma de l’égalité pour tous et où la rigidité extrême demeure la règle. 

À ces problématiques, les récentes lois Ma Santé 2022 et Transformation de la fonction publique sont venues apporter des réponses tangibles aux besoins des organisations, dont certaines étaient attendues de longue date : simplification des statuts, nouveaux leviers managériaux pour le personnel médical et paramédical, renforcement de l’égalité professionnelle et de l’inclusion de tous dans la fonction publique. En quelques mots, recentrer le service public sur ce qu’il a de meilleur et de plus identitaire, l’égalité des chances, la capacité à s’adapter dans la continuité, et l’aider à poursuivre sa mue dans un contexte de rupture technologique majeure, celle de l’intelligence artificielle et de l’automatisation. 

Plusieurs dispositifs vont être suivis de près, en ce qu’ils sont prometteurs pour l’avenir. La fin de la notation et la création d’un vrai dispositif d’évaluation professionnelle va venir mettre un terme à des décennies de cloisonnement, où progresser dans sa carrière tenait plus de l’ancienneté que de la compétence. L’émergence d’un dispositif d’intéressement collectif à l’amélioration de la qualité du service rendu va permettre, pour sa part, de recentrer la notion de collectif et d’équipe, de créer de nouveaux motifs de coopération et d’entraide, au profit du service rendu au patient. La refonte des règles d’emploi contractuel conduira, enfin, à en rationaliser le recours – prime de précarité oblige – et à rendre plus transparent le positionnement des agents contractuels dans les unités. 

Tout cela va dans le bon sens, certes, mais les réformes conduites en 2019 dessinent surtout le contour de tout ce qui manque, encore, sur le terrain, pour pouvoir conduire une politique RH ambitieuse. L’absence d’avancée sur la simplification des positions statutaires, qui demeurent d’une grande complexité, la difficulté qui se fera toujours croissante de retenir dans le statut de la fonction publique les professionnels très qualifiés des fonctions administratives et techniques pour des raisons salariales – les grilles de rémunération des attachés d’administration, et dans une moindre mesure, des techniciens supérieurs et des ingénieurs étant de plus en plus déconnectées de la réalité du marché du travail pour ces professionnels. 

PLUSIEURS DISPOSITIFS VONT ÊTRE SUIVIS DE PRÈS, EN CE QU’ILS SONT PROMETTEURS POUR L’AVENIR. LA FIN DE LA NOTATION ET LA CRÉATION D’UN VRAI DISPOSITIF D’ÉVALUATION PROFESSIONNELLE VA VENIR METTRE UN TERME À DES DÉCENNIES DE CLOISONNEMENT, OÙ PROGRESSER DANS SA CARRIÈRE TENAIT PLUS DE L’ANCIENNETÉ QUE DE LA COMPÉTENCE…

Devant les enjeux qui sont les nôtres, force est de constater que des champs très larges de réforme potentielle et de modernisation demeurent ouverts, concernant notamment tous ces leviers dont sont privés les collectifs hospitaliers et qui amputent l’action sociale. Où sont les dispositifs de retraite complémentaire qui, aux côtés du régime de retraite additionnel de la fonction publique (RAFP), permettraient à des employeurs d’abonder de façon optionnelle au niveau de vie de leurs agents futurs retraités ? Le service public se conçoit sans participation et sans plan épargne entreprise, par principe liée à la notion de rentabilité, mais n’est-il donc pas possible de reconnaître l’engagement individuel et collectif par une rétribution volontaire des employeurs publics ? N’est-il pas envisageable d’aider les plus précaires et les plus socialement fragilisés parmi les agents publics en décidant, établissement par établissement, en fonction de sa situation budgétaire et géographique, de distribuer une prime venant compenser la cherté de la vie ?

La politique de ressources humaines dans les établissements publics a ceci de particulier qu’elle doit s’adresser à un spectre très large de personnels, d’aspirations individuelles et de défis collectifs, sans disposer de tous les outils que peuvent mobiliser les entreprises privées, pourtant très nombreuses sur les marchés de l’emploi, très complexes et exigeants, des métiers de la santé. Les DRH d’aujourd’hui usent des quelques leviers qui sont les leurs, et qui structurent les plans de Qualité de vie au travail, mais dont la portée, si elle est réelle, demeure limitée et circonstancielle. Il convient désormais d’aller plus loin, et de contribuer à la création de nouveaux champs d’expérimentation pour les établissements en pointe en la matière. 

Poursuivre la réforme de l’hôpital passera donc par la libération des énergies locales, des équipes de terrain, des initiatives d’établissements : donner au terrain l’envie d’avancer, et lui donner les leviers qui vont lui permettre de donner plus de sens et de corps aux carrières hospitalières, devient capital à l’heure de l’accélération du changement. Les équipes hospitalières, médicales, soignantes, administratives, techniques, y sont prêtes, attendent avec impatience la conclusion de la transformation à l’œuvre. Elles seront sans doute le creuset de l’hôpital de demain, et ne demandent désormais qu’à éclore.