Émilie de Fos
Psychologue clinicienne et coordinatrice du CLSM de Nanterre
La crise sanitaire a la vertu de faire émerger le terme santé mentale dans le discours politique. Nous pourrions nous réjouir de cette soudaine popularité du mot. Toutefois, ce que chacun met derrière cette locution reste au mieux flou au pire complètement erroné, autant chez les professionnels que dans le grand public, et parfois même chez les soignants.
En effet, de vieux stéréotypes demeurent : la santé mentale, c’est l’affaire de la psychiatrie ; ceux qui souffrent d’un trouble psychique sont nécessairement des faibles ou pire des dangers pour la société, en tout cas, ils ont bien dû faire quelque chose pour mériter leur sort. Voilà un petit florilège des idées reçues les plus brutes. Certaines sont plus insidieuses, mais toutes ont la vie dure. Pourquoi ? Parce qu’elles nous rassurent en utilisant le vieux ressort du « eux et nous ». Les psychotiques, les dépressifs, les borderlines, les paranos (la liste est tristement longue) tous coupables de leur déraison et nous. Aujourd’hui, on parle et on sollicite des « psys » à tout bout de champ, mais sait-on vraiment ce qu’implique une bonne santé mentale ?
Pourtant, un nombre certain de publications s’accordent sur les déterminants de santé mentale, ainsi pour n’en citer que quelques-uns : emploi, genre, pauvreté, niveau d’éducation jouent un rôle crucial dans notre équilibre psychique. En d’autres termes, si vous êtes chômeur, peu instruit et issu d’une minorité, vous risquez bien plus de souffrir d’un trouble psychique que le reste de la population. De quoi accentuer un peu plus les inégalités.
Il est alors aisé de comprendre que les questions de santé mentale dépassent largement les murs ceints des hôpitaux ou les cabinets des psys et relèvent d’une responsabilité commune.
Ainsi, les Conseils locaux en santé mentale (CLSM) répondent à cette nécessité de responsabilité partagée. Ces dispositifs ont pour vocation l’élaboration de politiques locales de santé mentale en associant l’ensemble des acteurs d’un territoire à la réflexion (élus, soignants, usagers, bailleurs, travailleurs sociaux, etc.). Et celle-ci se doit d’être pragmatique pour répondre aux problématiques concrètes des habitants et des professionnels.
En outre, les CLSM ont participé à l’élaboration des projets territoriaux de santé mentale. Ces projets, fruits d’un travail commun des acteurs de terrain, contiennent suffisamment d’idées pertinentes qui, si elles sont généralisées, peuvent grandement améliorer les soins : développer l’aller-vers, ouvrir des structures d’accueil de crise en ville, favoriser la participation des usagers, renforcer les partenariats inter-institutions, etc.
Nombreuses sont les formidables actions mises en œuvre par les CLSM à travers la France en matière de logement, d’inclusion sociale ou d’accès aux soins pour les personnes en souffrance psychique. Nous connaissons la route : créer plus de CLSM, décloisonner les institutions, impliquer les élus et les citoyens. Mais nombreuses sont encore les résistances et mon expérience de coordination d’un CLSM m’amène à penser que celles-ci sont dues en partie à tous les préjugés énumérés plus haut.
Ainsi, il faut faire évoluer les représentations communes et pour cela je crois indispensable d’éduquer à la santé mentale. Je suis convaincue qu’elle doit être enseignée aux enfants dès la primaire. La pédagogie est évidemment notre meilleure arme. La folie, la mort, la sexualité, les questions fondamentales de nos existences sont rarement abordées avec les enfants. Or, il est préférable de dire aux enfants les choses comme elles sont, aurait dit Dolto. Je ne suis pas psychanalyste, mais j’adhère profondément à sa vision selon laquelle les enfants pressentent intuitivement les grandes questions humaines. Nous nous devons d’être à la hauteur de leurs interrogations, sinon ils adoptent des réponses prêtes à penser.
Sensibiliser à la santé mentale ne présente que des bénéfices : les enfants modifient leurs représentations et au fil du temps les idées reçues s’érodent, diminuant de fait la stigmatisation et l’autostigmatisation dont souffrent les patients de psychiatrie. Les enfants prennent conscience de leur pouvoir d’agir pour se maintenir en bonne santé mentale. Ils deviennent plus compétents à identifier leur souffrance psychique (ou celle d’un proche) et à y faire face. Trop nombreux sont les patients qui ignorent tout de leur fonctionnement psychique, de leurs émotions, ce qu’elles signifient et comment elles fonctionnent. Leur jugement est sans appel : ils sont nuls, stupides ou faibles. Tout un monde de représentations à déconstruire pour commencer le travail thérapeutique.
Il nous paraît aujourd’hui évident d’apprendre aux enfants comment fonctionne le cœur, la digestion, la puberté, pourquoi ne pas leur apprendre le fonctionnement de leurs émotions, de leur cognition, etc., leur expliquer que leur santé englobe le corps et l’esprit, leur permettre de mieux se connaître en tant qu’être humain.
Éduquer à la santé mentale, c’est exercer une part de notre responsabilité commune.