Dossier

Portrait de François-Emmanuel Blanc, Directeur Général de la MSA
La crise du Covid-19 aura contribué à mettre en lumière une tendance apparue depuis quelques années, au gré de l’exode, provisoire ou durable, des villes vers la campagne : depuis 10 ans, 80 % des communes rurales connaissent une croissance démographique.

François-Emmanuel Blanc
Directeur Général de la MSA

Derrière ces formules employées régulièrement pour définir les territoires ruraux les plus éloignés des centres urbains, c’est une image pointant avant tout les fragilités d’espaces oubliés des politiques publiques et sans aucune perspective d’avenir qui est diffusée.

Mais cette image correspond-elle à la réalité ? Ces formules ne sont-elles pas plutôt le reflet de clichés ou idées reçues qui refusent de percevoir les aménités du monde rural et d’en valoriser les richesses et l’attractivité ? Au risque de ne pas suffisamment associer les acteurs de ces territoires dans la déclinaison des actions dédiées à lutter contre certaines de leurs fragilités.

S’il convient effectivement de ne pas nier l’ampleur des défis auxquels la ruralité est soumise, il est important de souligner l’importance et la diversité des initiatives qui sont consacrées aujourd’hui à la préservation de l’activité, et plus généralement des conditions de vie, en milieu rural. Un enjeu majeur pour notre pays, quand on considère que 22,4 millions de Français y résident, soit plus d’un tiers de la population totale.

L’efficacité de ces actions ne pourra se mesurer qu’à l’aune de leur adaptation à la diversité des territoires, et surtout à la capacité d’être en mesure de renforcer leur pouvoir d’attractivité, et de mettre en avant les ressources mobilisées par leurs habitants, dans le cadre des initiatives dont ils sont eux-mêmes les acteurs.

Tout d’abord, quelques chiffres révélateurs de la situation ressentie, ou constatée, sur ces espaces : selon un sondage Viavoice pour la FHP, 49 % des habitants du milieu rural déclarent avoir des difficultés d’accès à un médecin (contre 14% en région parisienne). En ce qui concerne les soins d’urgence, 37% des habitants de zones rurales très peu denses vivent à plus de 30 minutes d’un service d’urgence (étude de l’Association des maires de France).

Cette problématique de mobilité affecte également les plus jeunes : il y a, en milieu rural, en moyenne 8 places en crèche pour 100 enfants situées à moins de 15 minutes du domicile, contre 26 places en milieu urbain. Des illustrations parmi d’autres du constat de l’éloignement des services, qui ne se limite pas aux services publics : l’accessibilité des commerces est plus faible en milieu rural qu’en milieu urbain. Les communes rurales ont deux fois moins de magasins par habitant que les communes urbaines. 26 % des ruraux n’ont aucun commerce dans leur commune (étude INSEE, 2017).

Et si les téléservices sont présentés comme une alternative au maintien de l’accès aux administrations, voire à la médecine de première nécessité (téléconsultation), encore faut-il que l’accès au numérique puisse être assuré sans difficulté : selon le rapport du Défenseur des droits (Dématérialisation et inégalité d’accès aux services publics – 2019), dans les communes de moins de 1 000 habitants, plus d’un tiers des habitants n’ont pas accès à un Internet de qualité, ce qui représente près de 75 % des communes de France et 15 % de la population.

Ces quelques indicateurs, non exhaustifs, illustrent certains des défis auxquels sont soumis les habitants des territoires ruraux. Ceux-ci sont d’autant plus accentués par le ressenti de perte de proximité exprimé à l’égard de nombreux services publics, au premier rang desquels les organismes de protection sociale, et ce, malgré un souci constant de préserver le contact avec leurs ressortissants. Mais deux décennies de conventions d’objectifs et de gestion tournées vers la diminution de la présence territoriale sous forme de lieux d’accueil physiques territoriaux, souvent de manière dogmatique, sans aucune proposition alternative, auront conduit à susciter de l’incompréhension de la part des responsables des collectivités rurales et de leurs administrés. Pour, au final, aboutir à un déficit de qualité de service, et d’image. Sans parler du creusement de l’impression d’abandon et dévalorisation…

49 % des habitants du milieu rural déclarent avoir des difficultés d’accès à un médecin. En ce qui concerne les soins d’urgence, 37 % des habitants de zones rurales très peu denses vivent à plus de 30 minutes d’un service d’urgence.

Et pourtant, la crise de la Covid-19 aura contribué à mettre en lumière une tendance apparue depuis quelques années, au gré de l’exode, provisoire ou durable, des villes vers la campagne : depuis 10 ans, 80 % des communes rurales connaissent une croissance démographique. Si cette dynamique ne concerne pas toutes les zones rurales de la même façon, elle traduit une tendance de fond où qualité de vie, calme et proximité de la nature constituent des aménités qui attirent de plus en plus de personnes. Au regard des enjeux environnementaux et de souveraineté alimentaire au centre desquels se situe le monde rural, ce phénomène nécessite une attention forte de la part des pouvoirs publics, et le déploiement d’actions qui, non seulement, visent à lutter contre les fragilités de ces territoires, mais en valorisent naturellement l’image… Et pour ce faire, mettent en avant la contribution apportée, par les acteurs eux-mêmes, aux solutions mises en œuvre !

Par son modèle original au sein de la protection sociale, la MSA se positionne comme un acteur central de cette dynamique, à la fois par la déclinaison de ses missions régaliennes, à travers son guichet unique (versement des prestations maladie, retraite, famille, accidents du travail, financement de la protection sociale), mais aussi par son action territoriale originale.

Régime assurant l’ensemble de la couverture sociale obligatoire du monde agricole, déployée par ses 35 caisses locales, la MSA s’appuie également sur un réseau de 14 000 délégués élus représentant les professions non-salariées et salariées de l’agriculture. Cette singularité, qui la distingue des autres régimes de protection sociale, constitue non seulement le socle démocratique sur lequel fonctionne la MSA (l’ensemble des adhérents de la MSA élisent leurs délégués locaux, qui ensuite désignent les membres des conseils d’administration), mais aussi une garantie de maintien du lien avec la réalité des territoires. Les délégués, en tant que relais et vigies des problématiques soulevées et vécues par ses ressortissants, constituent pour la MSA des ambassadeurs qui témoignent à la fois des besoins, mais aussi des initiatives portées par le monde rural.

La crise Covid en a constitué une parfaite illustration avec le dispositif MSA solidaires : plusieurs centaines d’élus de la MSA ont mobilisé leur réseau local pour venir en aide à des personnes fragiles, apportant aide et soutien à plus de 250 000 personnes. à travers des démarches de contacts directs (visite de courtoisie à domicile, appels téléphoniques de convivialité…), les délégués de la MSA ont pu capitaliser sur leur ancrage dans leurs territoires de vie pour accompagner personnes âgées, isolées, éloignées des services… Bien plus, des dispositifs de paniers solidaires, mobilisant, en partenariat avec les Caisses d’allocations familiales, les producteurs locaux pour distribuer de la nourriture à des personnes et des familles en situation de précarité, ont mis en lumière l’intérêt des circuits courts, et la richesse que constitue la présence d’agriculteurs sur un territoire, pour faire face aux défis alimentaires liés aux crises, par l’activation de chaînes de solidarité que l’on pensait réservées aux zones urbaines.

Cette notion de solidarité constitue un des axes caractéristiques de la ruralité. Grâce à elle, comment ne pas se dire que les épisodes de confinement ont été moins pénibles à vivre dans les campagnes qu’en ville….

Cette valeur forte motive la MSA dans le cadre de ses politiques dédiées à la petite enfance et à la jeunesse, mais aussi au soutien des personnes âgées. C’est en s’appuyant sur l’ensemble des acteurs présents en milieu rural que des solutions efficaces peuvent être déployées, en fédérant les initiatives et actions conçues localement. C’est tout le sens des chartes de solidarité développées par la MSA depuis 2010. Démarche de développement social local, celle-ci repose sur l’action conjuguée des citoyens, élus et acteurs du territoire (collectivités locales, centres sociaux…), mais aussi l’engagement des organismes et associations extérieures (ARS, organismes de protection sociale), mobilisés par une volonté partagée, quelle que soit la nature de leurs missions ou de leurs motivations, autour des valeurs de solidarité et de « service rendu » aux autres.

L’attractivité des territoires ruraux, c’est également la capacité à assurer une offre de soins de qualité, et lutter contre la désertification médicale que d’aucuns qualifieraient de fatalité.

Ces chartes, par la mise en synergie de ces différents intervenants, permettent la création de services (transports solidaires) ou de structures (accueil de loisirs ou centres sociaux, services au sein des résidences d’accueil de personnes âgées), et la participation à des dispositifs de solidarité (sensibilisation au circuit court en agriculture, initiatives intergénérationnelles) ou à toutes formes d’actions concourant au mieux-vivre des familles ou des aînés. Ainsi, les 54 chartes de solidarité pour les aînés arrivées à échéance fin 2020 ont donné lieu à 750 actions sur les territoires, soit en moyenne 14 actions par charte. 51 chartes de solidarité à destination des familles étaient contractualisées début 2021 : 55 % des territoires visés par elles étaient ciblés prioritairement dans les schémas départementaux des services aux familles. Une preuve que l’action collective participative, à partir du moment où elle fait l’objet d’une impulsion éclairée, peut satisfaire aux objectifs des politiques publiques.

L’attractivité des territoires ruraux, c’est également la capacité à assurer une offre de soins de qualité, et lutter contre la désertification médicale que d’aucuns qualifieraient de fatalité. Certes, les problèmes sont bien réels, mais les dispositifs déployés ces dernières années en termes de CPTS constituent à notre sens un moyen fondamental pour décloisonner les différents acteurs de la santé (ville, hôpital, médico-social), en les sensibilisant, les motivant, et en capitalisant sur leur attachement à leur territoire. Et pour leur donner envie, encore faut-il savoir passer au-dessus des idées reçues : voici le défi que s’est lancé la MSA en déclinant le programme Educ’Tour, qui vise à faire connaître aux jeunes médecins l’exercice en milieu rural, et à en démontrer l’attrait. Expérimenté avec la faculté de médecine de Dijon, ce programme s’adresse à des étudiants en fin d’études des filières de santé et d’assistants sociaux, ainsi qu’à leurs enseignants. Par des rencontres avec des médecins-conseils, enseignants et professionnels de santé des structures de soins coordonnés d’un territoire, et des échanges croisés entre projets théoriques des étudiants et projet réel construit par les professionnels du terrain, il permet de développer une culture commune du soin, donnant les clés pour co-construire ou mettre en œuvre un projet de santé adapté à son environnement.

Les expériences et actions conduites par la MSA sur le champ du parcours de soins permettent également d’illustrer l’intérêt d’associer le secteur médico-social et les professionnels de santé dans le cadre de la prévention, et in fine de l’amélioration de la santé des populations. Faciliter les synergies entre les acteurs, transcender les périmètres d’intervention en mettant en place les conditions de la collaboration et du dialogue, autour d’un même but : favoriser la prise en charge du patient, en le maintenant le plus longtemps possible dans son environnement de « confort » ! Et si bien vivre en milieu rural, c’était aussi cela ? à travers les Maison d’accueil et de résidence pour l’autonomie (MARPA), les MSA ont très tôt mis en place les conditions d’un suivi global de la santé des seniors. Petites unités de vie constituant l’intermédiaire entre maintien à domicile et hébergement en établissement collectif, les MARPA promeuvent le recours à l’ensemble des professionnels de santé du secteur pour le suivi médical de leurs pensionnaires. La crise sanitaire aura constitué un exemple de l’intérêt de ce type de dispositif. La démarche inclusive induite par le modèle MARPA, son inscription dans un tissu économique, sanitaire et social de proximité, adapté aux besoins de personnes âgées conservant leur cadre de vie familier, auront sans nul doute contribué à limiter le nombre de décès, très faible, au sein de ces structures… sans compter, bien évidemment, le grand professionnalisme des équipes des établissements.

Vivre en milieu rural nécessite un réseau de services qui ne se préjuge pas si on ne tient pas compte de l’expression des besoins de la population. La crise des « Gilets jaunes » nous l’a fortement rappelé ! La rationalisation de la présence des services publics et l’alternative proposée par le développement du « tout-numérique » interroge. Au-delà des problèmes de connexion évoqués plus haut, encore faut-il tenir compte de la diversité des populations susceptibles de recourir à ces services, et de leurs plus ou moins grandes capacités d’adaptation. La MSA est bien placée pour constater la réalité de la fracture numérique. La maîtrise d’Internet n’est pas innée, quel que soit le territoire où l’on réside, en ville comme à la campagne. Sauf que pour cette dernière, il n’y a que peu de salut sans l’existence d’un socle minimum de services publics accessibles physiquement, à proximité du lieu de vie. C’est pour préserver cette capacité d’accès que la MSA s’est très tôt inscrite dans la contribution, voire le portage, des espaces France Services, qui constituent une expression concrète de l’agenda rural. Quel meilleur exemple d’une utilisation intelligente et rationnelle des ressources préservées sur les territoires, mais aussi de la capacité à mobiliser des compétences locales pour maintenir un service de proximité et permettre à nos concitoyens d’accéder à de « vraies » personnes, sans devoir parcourir des distances déraisonnables, au mépris de certains enjeux environnementaux très actuels !

Les exemples de ces initiatives locales, portées par les acteurs des territoires, qu’ils relèvent des institutions, du monde associatif, ou de la société civile, sont nombreux. Le succès des appels à projet régulièrement lancés par la MSA dans différents domaines (médico-social, logement, jeunesse…) prouve la motivation du monde rural pour contribuer à l’amélioration de son environnement, et illustre un dynamisme réel, qui ne fera qu’en renforcer l’attractivité.

L’action de la MSA, à travers ses délégués et ses équipes, consiste à démontrer comment un régime de protection sociale peut s’appuyer sur des fondamentaux, et en particulier sur son ancrage professionnel, pour en faire un outil de valorisation des initiatives territoriales, et contribuer au bien-être de tous. La MSA se fait par ce biais l’illustration de la capacité d’innovation et de résilience du monde agricole. Loin de correspondre à un secteur en perte de vitesse, son dynamisme et son sens du territoire en font un acteur idéal pour contribuer à refaire des espaces ruraux des lieux de vie attractifs, dotés de services et d’atouts. C’est parce que la MSA est le régime de protection sociale du monde agricole qu’elle dispose d’une réelle légitimité auprès du monde rural.

C’est parce que la MSA est le régime de protection sociale du monde agricole qu’elle dispose d’une réelle légitimité auprès du monde rural.

Et puisque nous souhaitons participer à la valorisation de l’image de ce dernier, ne parlons plus de protection sociale du dernier kilomètre, mais plutôt du 1er kilomètre, celui où l’initiative vient de ses composantes, où les sources d’inspiration sont issues directement du vécu et de la mobilisation du tissu local. à ce titre, impulser des dynamiques en s’adaptant au besoin, et non pas en adaptant ce dernier à la capacité théorique des politiques publiques, devient un vrai leitmotiv. C’est en ce sens que la MSA entend promouvoir la mise en place de vrais centres de ressources territoriaux, s’appuyant sur les expertises de proximité, reconnues par leur expérience et leur connaissance du terrain, et l’image positive loin des clichés et autres idées reçues, que certains peuvent véhiculer.

Avec la volonté de contribuer à rétablir les services auxquels la ruralité a droit, du fait de son rôle central dans le projet agricole français, mais aussi plus globalement dans la préservation des richesses de notre territoire.