Par David Gruson, Judith Mehl et Anaïs Person
Directeur programme santé de Luminess et fondateur d’Ethik-IA, Responsable des affaires publiques de Luminess, Présidente de l’association Privacy Tech
La réponse à la crise sanitaire si dure que nous connaissons a d’abord été principalement humaine. Les professionnels sont en première ligne face au contexte COVID et il convient évidemment de commencer par, à nouveau, leur rendre hommage. Leur engagement sur le terrain a constitué un démenti très net pour tous ceux qui avaient, un temps, pu penser que le numérique et la robotisation viendraient les remplacer.
Pour autant, en parallèle, cette période a été aussi marquée par une diffusion de plus en plus large des nouvelles solutions d’intelligence artificielle en santé. L’apprentissage machine par reconnaissance d’image connaît à présent de très nombreux cas d’application dans des domaines aussi divers que la traumatologie, le diagnostic de la rétinopathie du diabète, l’interprétation des mammographies, le diagnostic du glaucome ou encore l’interprétation de clichés de tumeurs. Par ailleurs, l’IA de pilotage par les données de santé, adjuvant des nouvelles approches territorialisées en santé, entre également dans le réel, tout particulièrement dans les domaines des maladies chroniques ou métaboliques.
Dans ce contexte, la France et l’Europe ont clairement un atout stratégique. Face à la puissance financière et technologique des GAFAM et des BATX, l’horizon de l’IA en santé européenne est celui des solutions d’excellence et de la médecine de spécialité. Les équipes européennes sont performantes tout à la fois sur le plan technologique et – c’est sans doute l’essentiel – sur le plan de l’innovation médicale elle-même dans des domaines de pointe comme l’algorithmique appliquée à la génétique. Ce positionnement sur le fond se double aussi d’un autre avantage majeur s’agissant de la soutenabilité éthique de ce développement de l’IA en santé. La reconnaissance du principe d’une Garantie Humaine de l’IA dans la loi de bioéthique française de 2021 et dans le nouveau projet de règlement européen sur l’IA représente, à cet égard, une avancée essentielle pour une intelligence artificielle durable restant au service de l’Homme.
Un domaine d’action reste, cependant, nettement en retard s’agissant de la diffusion de l’IA en santé : la mise en accessibilité économique pour tous de ces nouvelles solutions. Comme nous le montrions dans une première étude du groupe de travail diligentée par le CRAPS sur IA et protection sociale, la question de la prise en charge de ces innovations par la Sécurité sociale et les complémentaires reste, à ce stade, largement en suspens. Certes, un certain nombre d’initiatives pilotes sont déjà à relever sur les premières admissions au remboursement de dispositifs médicaux avec IA ou sur de nouveaux contrats proposés par des mutuelles ou des assureurs pour donner accès à ces solutions dans plusieurs domaines de spécialités. Mais nous sommes encore très loin d’une mise en accessibilité globale.
Le temps presse, pourtant : nous ne sommes sans doute qu’à quelques mois de l’apparition d’un « Netflix de l’IA en santé » donnant accès, moyennant versement d’un abonnement forfaitisé et via un opérateur numérique extra-européen, à une batterie d’algorithmes médicaux de premier cran. On voit, évidemment, le risque majeur d’une telle évolution : celui d’une réservation pratique de l’innovation en médecine algorithmique à ceux de nos concitoyens qui en auront les moyens et donc d’un approfondissement des inégalités d’accès aux soins.
Et si nous pouvions éviter cette perspective sinistre ? Fixons-nous comme objectif collectif, pour les cinq années qui viennent, de donner accès à chaque Français – qu’il soit en ville ou en zone rurale reculée – à un panel d’algorithmes médicaux pour ses besoins courants, dans un cadre naturellement intermédié par les professionnels de santé. Rassemblons, à cette fin, dès cette année 2022, les acteurs de la couverture du risque santé, les professionnels de santé, les représentants des patients et les innovateurs en IA dans le cadre d’une concertation opérationnelle portée par un engagement fort des pouvoirs publics.
Et réussissons sans tarder. Collectivement.
La préservation d’une innovation solidaire en santé est à ce prix.