Par le Dr Rachel Bocher
Psychiatre, Présidente de l’INPH et chef de service au CHU de Nantes
Après la parution du nouveau statut unique de PH, (décret n° 2022-132 du 05/02/22), la question continue de se poser.
Premièrement
L’incertitude de l’avenir de notre système de santé en France n’échappe pas à la règle « savoir et prévoir ».
Car, dans notre domaine aussi, les constats s’empilent, les mesures successives s’annihilent, les attentes et les incompréhensions demeurent.
Et l’impuissance éclate alors au grand jour.
Factuellement, les difficultés récurrentes que rencontrent nos hôpitaux sont endogènes. De ce fait, elles résistent aux meilleures volontés, survivent aux plus beaux projets, découragent les professionnels.
Pourtant, à la veille d’échéances électorales majeures, l’hôpital ne fait plus rêver.
Chacun aimerait dresser un constat moins alarmiste, moins pessimiste.
Quoi qu’il en soit, notre monde de la santé est en crise permanente : celle du recrutement, celle du développement, celle du fonctionnement.
Deuxièmement
À situation économique comparable, la France affiche les salaires les plus bas d’Europe, et la multiplication des structures est vécue comme un émiettement non opérationnel, faute d’acteurs.
La réalité de la démographie médicale est cruelle et désarmante.
Et cela devrait interpeller davantage.
En effet, la plupart des spécialités médicales sont en situation de pénurie (de l’ordre de 15 à 20 %, jusqu’à 30 % pour la radiologie ou pour les temps partiels à l’hôpital public).
Les causes sont connues :
• Excès de réglementation « un record dans le monde ».
• Une gestion approximative des ressources humaines à l’hôpital.
• Des discordances salariales avec un déséquilibre entre les rémunérations du privé et celles du public.
• Une place concédée aux intérimaires et difficile à dépasser.
• Un défi des financements actuels du système de dépense de santé et notamment de l’hôpital public ; cela concerne des enveloppes globales couplées à la T2A en fonction des prix GHM. La cause tient également aux exigences des gestions démesurées comme aussi aux tailles excessives des établissements ainsi qu’à l’excès de contrôles et de tutelles. N’oublions pas que l’ONDAM, à 2,3 %, a souvent été dénoncé par l’ensemble des professionnels là où il faudrait un minimum de 4 %.
• Une prévention en panne, liée probablement à un défaut du parcours du patient, (exemple, en Allemagne, seulement 8 millions de passages aussi bien en 2009 qu’en 2019, alors qu’en France sur la même période : 15 millions de passages aux urgences en 2009 et 22 millions en 2019).
Troisièmement
Le classement OCDE est sans appel : la France est le mauvais élève (26e sur 27 parmi les pays de l’OCDE) concernant la rémunération de ses infirmiers avec un salaire dont l’indice moyen est à 0,95 du salaire médian de l’économie.
Face à ce constat, la solution proviendrait d’un recours aux intérimaires, aujourd’hui dénommés « mercenaires » ?
Tout est dit.
Un intérimaire perçoit un salaire journalier d’un montant compris entre 2 500 et 4 000 euros, il va de soi que les hôpitaux publics se trouvent devant une difficulté majeure : la disparité des traitements, – à travail égal rémunération inégale ? –, et ce, dans des conditions d’exercice équivalentes. Ce n’est pas tenable très longtemps.
À plusieurs reprises, cette situation paradoxale de disparité de traitements associée à l’augmentation de vacances a été soulignée.
En premier lieu, en 2013, à la suite d’un rapport écrit par M. Olivier Véran, alors député qui dénonçait déjà le coût des intérimaires chiffré à l’époque à 500 millions d’euros puis une nouvelle fois par Mme Agnès Buzin alors ministre en 2017, le tout malheureusement sans succès.
Enfin, la députée, Mme Stéphanie Rist, a repris ce sujet en 2021 en tentant d’établir des garde-fous avec une journée de remplacement à 1 170 euros brut par 24 heures c’est-à-dire 950 euros nets afin de tenir compte de l’explosion de cette facture qui est actuellement à plus 1,5 milliard d’euros.
L’application de la loi Rist entraînerait une diminution de rémunération de 30 à 40 % pour les intérimaires qui, ipso facto, se sont constitués en syndicat des remplaçants des hospitaliers publics.
À ce jour, la parution n’a pas eu lieu !
Quatrièmement
À l’évidence, il est urgent de réinvestir dans l’humain, que soit décidée une pause dans les réformes, et que la prise de responsabilités par les soignants et la reconnaissance à leur égard soient remises à l’ordre du jour.
Le système de santé, demain, en France, devra être axé sur au moins 3 points : sa réorganisation, sa fonctionnalité, sa transformation :
• Une nouvelle relation soignants-soignés.
• Redonner sens et perspectives aux métiers du soin en écrivant une nouvelle organisation du système de santé qui ne concerne pas que l’hôpital public.
• Les ressources humaines devraient à l’avenir s’appuyer sur les leviers essentiels comme l’attractivité, la fidélisation, la formation et l’évolution des métiers et enfin la valorisation. Plus de 68 % l’attendent.
Cinquièmement
Quelques chiffres.
Selon le CNG, au 31 décembre 2019, le nombre des PH temps plein a crû entre 2011 et 2021, passant de 35 727 à 40 813.
Tandis que les temps partiels sont passés de 5 445 à 4 314 sur la même période.
Ces chiffres sont alarmants d’autant que le nombre d’internes est passé de 3000 à 8000 entre 2008 et 2021.
Il y a là une énigme puisque cette augmentation de près de 3 fois du nombre d’internes n’a pas entraîné celle du nombre de médecins au sein des hôpitaux publics puisque seuls 3 000 candidats tentent le concours.
Plus grave encore : sur la période entre 2015 et 2021, le nombre de PH mis en disponibilité a crû de 2005 à 5 000.
Sixièmement
Alors, reste en suspens la question centrale de la souffrance des soignants dans ce contexte tendu de nos hôpitaux publics.
Cette question est connue et répertoriée depuis 2007 (cf. les différentes études, notamment celle de NextPress du docteur Madeleine Estryn-Behar et l’Observatoire de la souffrance au travail en 2017).
Les grandes causes de cette souffrance sont connues. Elles se rapportent à la gouvernance 51 %, – à la désorganisation des services liée aux multiples réformes 46 %, à la pénurie médicale 41 %, et à la pandémie – seulement si on peut dire – pour 25 %.
En premier lieu, c’est le piège de la rentabilité qui se referme « sur une gouvernance par les chiffres ».
En clair, il faut en finir avec l’invisibilité du soin, et revenir à des valeurs éthiques de nos métiers, peut-être un temps perdues de vue en raison notamment de logiques purement comptables.
Septièmement
Dès lors, il convient d’ajouter le nombre de lits fermés comme première conséquence de ces constats.
Un rapport, en octobre 2021, du conseil scientifique dénonçait 20 % de lits fermés en raison de postes vacants malgré le recours à l’intérim et aux heures supplémentaires.
Il s’agit bien d’une crise dans la crise en 2021.
Par conséquent, nous sommes bien à la recherche de solutions concrètes pour remédicaliser les hôpitaux et surtout faire un moratoire sur les lits.
Huitièmement
Dans cette période programmatique et de propositions, imaginons par exemple l’installation de praticiens qui exerceraient en même temps dans le public et dans le privé.
Un seul statut comme dans d’autres pays ?
Est-ce audacieux ? Trop ?
Aujourd’hui, le nombre de médecins est de l’ordre de 200 000 dont 107 415 d’exercice libéral exclusif, les praticiens hospitaliers et hospitalo-universitaires sont au nombre de 50 000. Le surplus est salarié.
Cette piste de solutions concrètes devrait favoriser une meilleure organisation du système de santé et fluidifier le parcours du patient.
Il s’agit bien d’un parcours de santé et non pas d’un parcours de soins, par une meilleure coopération « public-privé » et faire évoluer aussi le régime de la protection sociale.
Peut-on aller vers un nouveau statut mixte public-privé avec la suppression de l’activité libérale à l’hôpital ?
Peut-on ainsi aller vers la suppression de tous les postes précaires vacataires contractuels ?
Observons que plus de 40 % de contractuels ou de vacataires exercent à l’AP-HP alors que 25 à 30 % des postes sont vacants.
Cela permettrait de faire évoluer le système de santé mais aussi l’évolution des métiers de santé.
Neuvièmement
Qu’est-ce qu’un praticien aujourd’hui ?
Il conviendrait de préciser ses missions en termes d’autonomie et de responsabilité, assorties de revalorisations comme sources de mises aux niveaux des moyennes européennes et mondiales.
Les nouveaux métiers sont là, en lien avec la télémédecine, l’intelligence artificielle, les métiers d’aide à domicile et l’exemple des infirmiers de pratique avancée, et la prise en charge des soins psychologiques.
Nous sommes face à un modèle économique à bout de souffle, à un système compliqué d’où il ressort que plus on travaille plus on creuse les déficits.
Enfin, notons que l’action syndicale professionnelle a beaucoup agi pour faire évoluer le statut au cours des 20 dernières années, même si c’est toujours jugé insuffisant, en matière de revalorisation du salaire de primes des services publics, de RTT, de compte épargne temps, de récupération des gardes en temps de travail, et plus généralement de l’amélioration de la qualité de vie.
Il manque néanmoins toujours des médecins qui soignent.
L’échéance électorale de 2022 devrait permettre de débattre tant sur la démographie que sur la démocratie à l’hôpital.
Le Ségur 1, ratifié il y a quelques mois, a apporté des réponses, mais a souligné aussi bien des attentes.
Il faut réinventer les métiers du soin, le constat est sans appel, COVID à l’appui.
La passion de notre métier agira pour accompagner cette indispensable transformation.
Et les candidats à l’élection majeure devront s’en saisir.
Rendez-vous est pris.