Par Pierre-Olivier Variot
Président de l’USPO
Les réflexions sur la coopération interprofessionnelle ont officiellement débuté en 2003 avec le rapport Berland intitulé « Coopération des professions de santé : le transfert de tâches et de compétences » qui proposait que des « professions de santé assument des activités qui auraient justifié la seule intervention des médecins il y a 20 ou 30 ans, mais les compétences évoluant ne le nécessitent plus actuellement ».
Les coopérations se consolident avec la loi HPST en 2009 et son article 51 qui prévoit que les professionnels de santé peuvent s’engager, à leur initiative, dans une démarche de coopération ayant pour objet d’opérer entre eux des transferts d’activités ou d’actes de soins ou de réorganiser leur mode d’intervention auprès du patient.
Progressivement, les centres de santé, maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), communautés professionnelles de territoire de santé (CPTS), équipes de soins primaires (ESP) ont été créés. Autant de structures complémentaires dont l’objectif final reste identique : renforcer l’accès aux soins des patients.
En parallèle de ces structures, l’état d’esprit des professionnels de santé a progressivement évolué. Certains restent encore réticents, mais de plus en plus de professionnels de santé comprennent désormais l’intérêt pour leur exercice et pour les patients de travailler en collaboration.
Puis, la crise sanitaire a accéléré cette coordination.
La distribution par les pharmacies d’officine aux autres professionnels de santé des masques, des tests antigéniques, des vaccins a favorisé les rencontres et les échanges entre professionnels du quartier. Par ailleurs, le Gouvernement, soucieux d’assurer la continuité des soins, a confié aux professionnels de santé différentes missions dérogatoires. Les pharmaciens d’officine ont, notamment, renouvelé les ordonnances de patients chroniques stabilisés dont la date de validité était expirée, ils ont dispensé en officine les médicaments habituellement délivrés à l’hôpital…
Par ces mesures dérogatoires, le Gouvernement a initié un nouveau mode de coopération interprofessionnelle souple que nous sommes nombreux à appeler de nos vœux. Il a identifié et utilisé au maximum les compétences de chaque professionnel de santé au bénéfice des patients et a consolidé les échanges entre les acteurs ville-ville ou ville-hôpital.
Aujourd’hui, de nombreux protocoles ou missions ne peuvent exister en dehors d’une structure de coordination comme la CPTS. C’est le cas du protocole de prise en charge de la cystite ou de l’angine, récemment publié au Journal officiel. Le pharmacien d’officine pourra répondre à un soin non programmé et soulager rapidement le patient, s’il exerce dans une structure coordonnée. C’est également le cas pour le pharmacien d’officine désigné correspondant par son patient, aujourd’hui autorisé à renouveler l’ordonnance ou adapter la posologie du traitement, s’il appartient à une structure coordonnée.
Je ne remets pas en cause l’utilité de ces protocoles de soins, bien au contraire, puisque je souhaite que de nouveaux puissent voir le jour rapidement. Je pense notamment aux douleurs dentaires qui devraient pouvoir être prises en charge par un pharmacien d’officine afin de soulager le patient rapidement avant son rendez-vous chez le dentiste, ou encore au traitement de la chlamydia qui devrait pouvoir être dispensé par le pharmacien d’officine dès lors qu’il dispose d’un examen biologique confirmant le diagnostic, comme cela est fait en Écosse.
Au-delà des protocoles, les structures coordonnées doivent aussi s’investir plus massivement pour organiser la sortie hospitalière, renforcer la stratégie de prévention et de dépistage.
Il semble donc évident que tous les patients, et particulièrement ceux qui habitent dans une commune confrontée à un désert médical, puissent en bénéficier. Or, aucune CPTS ou structure coordonnée ne peut exister sans la présence d’au moins un médecin et, en conséquence, ces structures ne sont pas présentes sur tout le territoire.
C’est la double peine pour ces personnes qui, d’une part, ne trouvent pas facilement de médecin et, d’autre part, ne peuvent pas bénéficier des solutions existantes pour renforcer l’accès aux soins non programmés ou assurer la continuité des soins.
La coopération interprofessionnelle pourra renforcer l’accès aux soins, si elle peut s’adapter aux spécificités de chaque territoire, aux besoins des patients et aux contraintes des professionnels de santé.
En effet, malgré des avancées incontestables, la coordination interprofessionnelle ne maille pas encore l’ensemble du territoire et ne peut, par conséquent, pleinement renforcer l’accès aux soins des patients. Au 1er février 2021, 690 CPTS étaient recensées ; en juin 2021, 1889 MSP étaient recensées.
Ces chiffres témoignent d’un engouement réel pour la coordination interprofessionnelle, mais ils soulignent également les difficultés de déploiement inhérentes à ces structures.
En moyenne, deux ans sont nécessaires entre l’émergence du projet de structure coordonnée et sa concrétisation. Une procédure administrative longue et complexe, la création d’une association de loi 1901 et dans certains cas la construction d’un local prennent du temps et de l’énergie aux professionnels de santé et peuvent, parfois, ralentir le déploiement de ces structures.
L’accompagnement financier et humain aujourd’hui proposé par l’Assurance maladie et les ARS pour construire les CPTS et les MSP est une solution pour répondre à ces difficultés et doit être poursuivi.
Par ailleurs, les équipes de soins primaires coordonnées localement autour du patient (comme les ESP CLAP aujourd’hui expérimentées en Pays de la Loire), sont des outils souples de coordination et doivent être généralisées rapidement. Elles reconnaissent et valorisent le travail coordonné de deux professionnels de santé (au moins) centré sur un patient confronté à une maladie chronique complexe ou ayant subi une intervention chirurgicale.
Ne nécessitant aucune création de structure ou d’association, ces structures coordonnées souples pourront couvrir rapidement le territoire non encore maillé par des CPTS ou MSP.
Enfin, nous devrons nous appuyer sur les nombreuses évolutions informatiques, comme la messagerie sécurisée de santé ou l’espace numérique de santé qui sont autant d’outils facilitant la communication et la coopération entre les professionnels de santé.
L’allongement de la durée de vie, la multiplication des maladies chroniques, le raccourcissement des séjours hospitaliers, l’accroissement des déserts médicaux ont rendu nécessaire et urgent l’émergence d’une nouvelle organisation des soins.
Le développement de la coopération interprofessionnelle, la reconnaissance et la pleine utilisation des compétences de chaque professionnel de santé sont essentiels pour répondre aux besoins des patients sur les territoires. Toute autre stratégie serait vouée à l’échec.