Par Michel Monier
Ancien directeur général adjoint de l’Unédic
La Protection sociale est en panne, et ce n’est pas nouveau. La maladie qui l’affecte a été déclarée en 1981, année de publication d’un rapport de l’OCDE (L’État protecteur en crise) et d’un essai de Pierre Rosanvallon (La crise de l’État-providence). C’est donc aujourd’hui une affection de longue durée face à laquelle les sciences, administratives et politiques, sont impuissantes. Pire, les politiques publiques n’ont fait qu’aggraver le mal. Réformes après réformes, le souci d’universalité de la Protection sociale fait naître des droits et prestations nouvelles quand le souci de la soutenabilité des finances publiques contraint, lui, à des artifices de financement et à du saupoudrage.
Alors, le constat s’impose : oui, le « pognon de dingue » n’a trop souvent que peu d’effets !
Fallait-il les Gilets jaunes ou le premier confinement pour mettre au jour les inégalités territoriales, les criantes inégalités de revenus « après redistribution », les inégalités de sécurité de revenus, les déserts médicaux, les 120 000 NEEDs produits chaque année par l’Éducation nationale. Fallait-il 40 ans pour se désespérer qu’il faille aujourd’hui 6 générations à un « pauvre » pour espérer atteindre le niveau du revenu moyen ? Fallait-il voir, sur les trottoirs de certaines banlieues, s’allonger des files d‘attente pour, simplement, accéder à un repas ? Les associations caritatives nous alarmaient, l’émotion primait. Une misère que l’on ne voyait pas, ou que l’on ne voulait plus voir, se montrait alors que l’attention était tout entière occupée par celle qu’il fallait apporter à ceux des « premières lignes ». Était-ce là une façon de continuer à cacher encore ceux qui n’en sont même pas de ces indispensables des premières lignes ?
L’émotion passée, avec l’aide de quelques « Ségur », et l’aide aussi de la dette souveraine, l’heureux rebond de notre économie semble suffire à promettre un retour à meilleure fortune, une sage euphorie fait oublier que les causes préexistantes à la crise sanitaire sont toujours là. Le pari est fait de la croissance économique retrouvée qui garantira le financement du système de Protection sociale. Ce pari, sur lequel il faut miser, a de dangereux que, tel qu’il est formulé, il risque d’ajouter encore « un pognon de dingue » à un système aujourd’hui défaillant. La sage euphorie est alors submergée par l’ambition de la mise en œuvre effective de réformes elles aussi un moment confinées. Mieux, la « Grande Sécu » ajoute à l’ambition en faisant oublier que des besoins immédiats restent insatisfaits !
Alors et si… et si avant de vouloir faire les choses en grand, on faisait efficace et rapide ? Si l’on répondait d’abord à l’urgence en réallouant cette part inefficace du pognon de dingue au financement d’actions sociales majeures immédiates ?
Les leçons de la crise sont nombreuses et enseignent quelques mesures d’urgence. Les mettre en œuvre de façon prioritaire, ce serait redonner du sens au modèle social ; ce serait participer à remettre en marche l’ascenseur social.
Alors, et si… et si on s’interrogeait sur l’irrationalité qu’il y a à investir dans des moyens qui ne sont utilisés que 9 mois sur 12 quand on subventionne par ailleurs des structures associatives pour pallier l’absence de la République ? Ces infrastructures, écoles, collèges et lycées, ces moyens sont-ils à bail exclusif de l’EN ? Quel tabou les rend inutilisables pour le bien commun quand ils sont inutilisés un tiers du temps ?
Alors, et si on laissait ouvertes les cantines scolaires 12 mois sur 12 pour assurer, « à ceux qui en ont le plus besoin », la sécurité alimentaire ?
Et si on mobilisait, durant les vacances scolaires, pour offrir aux « jeunes » des « territoires oubliés de la République » les activités dont ils sont privés ? Ces activités que des associations subventionnées peinent à réaliser…
Et, puisque l’on parle ici de l’EN… Et si… Et si l’EN prenait en charge la lutte contre l’illettrisme ? Peut-être trouverait-on là à mieux rémunérer les (des) enseignants…
Et si, dans un autre domaine, celui de l’emploi, l’on validait des expérimentations telles que les « territoires zéro chômeurs » avec la même réactivité que celle mise pour imposer des politiques publiques conçues dans les cabinets ministériels et les administrations centrales ?
Et si l’on développait les Contrats à impact social qui font déléguer la mise en œuvre d’une politique publique à un tiers que l’État rémunère en fonction des objectifs effectivement atteints ? Faut-il que ces tiers soient qualifiés de « start-up du social » pour que le dispositif trouve de l’intérêt ?
Oui, et si la nécessaire refondation du modèle social se faisait pas à pas en commençant par donner du sens à ce qui n’en a plus ; en s’attachant à des « success stories » faciles à obtenir, en réduisant les dépenses inutiles pour affecter les crédits à la réalisation de « petites Sécu » ?
Alors, et si… et si on commençait par faire simple, rapide, mesurable pour répondre à des urgences et donner un sens à de plus grandes ambitions.