Par Hervé Chapron
Ancien Directeur Général Adjoint de Pôle emploi
… Avant et après crise sanitaire, un chômage qui bat des records en France. Avant et après crise sanitaire, des PME et des ETI qui peinent à recruter dans les Territoires. Un pays résigné devant ce fléau qui depuis plus de 40 ans mine la société française, qui de guerre lasse banalise le phénomène. 8 % de chômeurs, 4 % de plus que l’Allemagne, finalement ce n’est pas si mal !
Ouvrons enfin les yeux. La lutte contre le chômage ne se résume pas au seul coût du travail ou à la seule faculté de licencier. Le coût du travail dans notre pays est équivalent voire inférieur à celui de ces proches voisins. Alors ?
Notre système d’accompagnement vers l’emploi est à bout de souffle. Son émiettement entre Pôle emploi et les centaines d’organismes présents dans nos Territoires entraîne une déperdition d’énergie et une explosion des coûts. 32 % des effectifs dédiés aux fonctions supports contre 24 % en Allemagne. Notre pays n’aura jamais consacré autant de moyens financiers et humains au service public de l’emploi qu’aujourd’hui. Les politiques de l’emploi avec plus de 100 milliards annuels sont la caricature d’une organisation jacobine, momifiée, celle d’une vision verticale de la société : de haut en bas, de Paris vers la province, des grands groupes vers les PME, de l’État vers les collectivités locales. Cette organisation est devenue aujourd’hui destructrice en termes économiques et donc d’emploi…
Il est temps de regarder la réalité en face. Il est temps de changer de modèle. Il est temps de faire preuve d’audace. L’heure est venue de remettre en cause certains dogmes… sans trembler !
Osons régionaliser les politiques de l’emploi. Osons individualiser l’indemnisation du chômage !
Les Régions doivent être reconnues comme seules autorités organisatrices pour assurer la coordination des acteurs, organiser le maillage territorial et la répartition des moyens au plus près des besoins des bassins d’emplois, mettre en place une véritable politique de prospection des entreprises et enfin cibler les publics prioritaires en fonction des caractéristiques du territoire. En d’autres termes, il convient de conférer une assise locale aux politiques de l’emploi par une capacité de piloter au plus près du terrain, par une définition à ce niveau des objectifs notamment en matière de formation, en prolongement du plan stratégique régional PME/PMI, et de déléguer à une instance ad hoc présidée par le Président du Conseil régional tout ou partie du processus décisionnel pour faire agir les services de Pôle emploi en fonction des réalités du terrain en pleine cohérence avec le plan stratégique régional.
Cette réforme systémique doit aller de pair avec un renforcement de la démocratie sociale au niveau régional. La marginalisation au plan national des Partenaires sociaux, la réduction à la portion congrue de la démocratie sociale sans qui, rappelons-le, la démocratie politique n’est qu’un processus non abouti, doivent cesser pour retrouver au sein d’un nouveau dialogue social territorial toute leur force.
Allons encore plus loin, brisons un dernier tabou : celui de l’indemnisation des demandeurs d’emploi. Faisons fi des vives critiques qui s’opposeront à cette idée iconoclaste, la « rupture d’égalité » entre citoyens ! Mais la rupture d’égalité n’est-elle pas, déjà, dans les taux de chômage régionaux, que l’on s’applique à mesurer pour les consolider en un taux national nullement représentatif qui aboutit à occulter les situations disparates.
La question de l’individualisation de l’indemnisation doit être posée pour renforcer et peut être même créer le lien historiquement manquant entre l’accompagnement au retour à l’emploi et le service de l’allocation, fort du constat que la sanction pour refus de l’offre préalable à l’emploi n’est pas appliquée. Individualiser l’indemnisation, non pas quant aux conditions d’accès mais pour moduler la durée de l’indemnisation. Les métiers en tension régulièrement détectés justifieraient, à eux-seuls, que la question des conditions de l’indemnisation des demandeurs d’emploi issus de ceux-ci soit posée. Dans un pays dont les marges de manoeuvres sont réduites pour cause d’une dette abyssale, peut-on encore s’entêter longtemps à indemniser indifféremment, en termes de durée, les demandeurs d’emploi formés pour un métier, immédiatement opérationnels dans un secteur dans lequel les offres d’emploi abondent et les demandeurs d’emploi devant bénéficier d’un parcours de formation-reconversion important. Le cadre régional pour poser cette question et y répondre n’est-il pas le mieux adapté ? N’est-il pas, là encore, davantage opérationnel que celui d’une approche nationale ?
Et si on régionalisait les politiques de l’emploi ? Et si on individualisait l’indemnisation des demandeurs d’emploi ? À n’en pas douter la défiance envers les institutions s’estomperait !