Par Michel Monier
Ancien Directeur Général Adjoint de l’Unédic
… Alors qu’elle consomme plus du tiers du PIB, la Protection sociale se présente, dans l’architecture administrative et politique, comme un objet mal identifié. La gestion de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques et sociales a mis en évidence, jusqu’à la cacophonie, la multiplicité des acteurs qu’elle mobilise.
« La Protection sociale est un domaine partagé, voire déchiré entre un ministère du « Travail » et un ministère « des Solidarités et de la Santé », les deux sous tutelle de celui de l’Économie, des Finances et des … Comptes publics ». Et ce n’est là que la partie visible d’un iceberg ! Chacun de ces ministères pilote des opérateurs, des agences avec lesquelles collabore le monde associatif. Et il faut ne pas oublier l’action des municipalités, départements et régions ! Ne pas oublier, non plus, l’action des acteurs économiques, employeurs et syndicats !
La rationalité administrative a cédé le pas à l’irrationalité dans le domaine de la Protection sociale. L’amalgame s’est fait d’un tout, devenu illisible, qui associe ce qui relève des assurances sociales, de l’assistance et de la solidarité. Ce qui reste de rationalité ne serait plus que celle de Bercy qui s’attache à faire que la trajectoire des finances publiques reste maîtrisée et pour qui le risque de dérapage se trouve, tout entier, dans la Protection sociale ! Le ministère de l’Économie s’est fait ministère des économies que l’on ne peut trouver ailleurs que dans les dépenses sociales.
Pour autant que la Protection sociale, financée par la redistribution, ne puisse pas être ni un puits sans fond ni le palliatif de l’absence d’une réelle politique de développement économique elle n’est pas pour autant son ennemie ni celle de la bonne gestion des finances publiques. L’argument de la soutenabilité budgétaire rend inaudible celui de la soutenabilité sociale des politiques publiques.
L’économie institutionnelle nous apprend que l’organisation, les Institutions, déterminent l’action. Elle invite à repenser, ici, la rationalisation des choix budgétaires et autres tentatives en ajoutant la rationalisation de l’organisation, cette impossible réforme de l’État !
Alors, et si on créait un ministère de la Protection sociale ? Un ministère de plein et entier exercice qui défendrait effectivement le budget social devant la Représentation nationale ? Un ministère qui n’aurait plus à subir telle décision opportune de l’État qui en ignore les conséquences sur le financement de la Sécurité sociale dont il creuse le déficit. Un ministère en responsabilité d’une politique sociale de prévoyance et d’accompagnement du développement économique qui piloterait avec des objectifs affirmés l’ensemble de cette galaxie d’acteurs sociaux … une galaxie qui ne manque pas d’avoir ses trous noirs.
Le sujet est forcément absent d’un débat qui ne se fait pas sur ce que doit être une Protection sociale adaptée aux enjeux de ce siècle. Le débat ne se fait pas car il n’est pas, comme on le pense, dans ces réformes au coup par coup de tel ou tel domaine, dispositif ou institution participant à la Protection sociale.
Créer un ministère de la Protection sociale aurait comme premier intérêt d’obliger à dire ce qui est du domaine de la Protection sociale pour permettre de définir une politique lisible, puis son financement et préciser ensuite sa gouvernance opérationnelle.
Pourquoi le système de retraite est-il aujourd’hui une mission du ministère des Solidarités et de la Santé davantage que du ministère du Travail ? Pourquoi la santé au travail est-elle une mission du ministère du Travail ? Quelle est la place de la politique de la ville quand elle vise à réduire les inégalités sociales ? Quelle est la place d’un secrétariat d’État aux personnes handicapées, quelle est celle d’un programme de lutte contre la pauvreté aujourd’hui interministériel ?
Un ministère de la Protection sociale ce serait donner une architecture à ce qui est aujourd’hui un puzzle. Ce serait traduire effectivement dans les faits cet objectif, déjà ancien (2001), de la LOLF qui ambitionne de présenter un « budget transparent et complet, permettant aux parlementaires et, à travers eux, aux citoyens, d’avoir une vision précise et étayée des politiques publiques et des dépenses de l’État associées ».
Si on créait un ministère de la Protection sociale l’État afficherait bien davantage qu’une politique publique, il afficherait une volonté.