Par Robin Mor
Directeur Adjoint en charge des relations publiques du Groupe MNH-NEHS
Alors que nous tentons péniblement de sortir d’une pandémie dont nous subissons encore les résurgences successives, il semble être déjà l’heure de tirer des leçons structurelles et structurantes sur l’organisation de notre système de santé et de protection sociale.
Ô non, pas pour proposer une forme de radicalité centralisatrice et hégémonique que d’aucuns souhaiteraient rendre programmatique, à la veille d’échéances électorales centrales pour notre pays. Pas plus que pour revoir cette organisation à travers l’unique lorgnette financière, alors même que les défis systémiques ne se situent pas ici, dans une France qui bénéficie des restes à charge parmi les moins élevées du monde, malgré les efforts évidents qu’il reste à fournir sur le sujet.
Non, ce n’est clairement pas de propositions dogmatiques et beveridgiennes dont a besoin notre système de santé et de protection sociale.
C’est en réalité à la question suivante, bien plus profonde, que nous devons désormais répondre collectivement : comment faire, pour les 30, 40, 50 prochaines années, pour augmenter l’espérance de vie en bonne santé de nos concitoyens, laquelle stagne, alors même que l’espérance de vie continue pour sa part de progresser ?
Face à ce défi immense, la logique extrêmement curative de notre système de santé et de protection sociale ne saura suffire. Elle démontre d’ailleurs des limites de plus en plus prégnantes.
La prévention doit donc, désormais (et enfin !), devenir notre boussole commune.
Nul besoin de revenir sur ses bienfaits et ses vertus, décrites depuis de nombreuses années par d’éminents spécialistes, sur un nombre considérable de spécialités médicales, de pathologies et de sujets sociaux et sociétaux.
Mais si la prévention est si bien décrite et a été jusqu’à aujourd’hui l’objet d’incantations politiques régulières, force est de constater qu’elle ne constitue toujours pas le « cœur du système ». Nous la touchons en réalité tout juste du doigt. Et ce n’est pas ici faire injure aux femmes et aux hommes qui agissent au quotidien : ils le font avec une volonté et un engagement sans faille, mais en réalité avec les faibles moyens que notre système met à leur disposition, et dans une organisation qui ne les place pas au juste niveau.
Et alors que certains préfèreraient le simplisme organisationnel d’un opérateur unique, d’autres font le pari que la diversité des acteurs du système de santé et de protection sociale constitue une véritable richesse. Une richesse dans laquelle puiser pour faire de la prévention notre nouveau pilier commun, au service de la santé des Françaises et des Français.
C’est sur les fonts baptismaux de cette logique préventive que doit se construire une nouvelle articulation entre le régime obligatoire et le régime complémentaire, basée sur une relation partenariale renforcée, plutôt que sur une forme strictement délégataire.
Il s’agit alors de remettre la notion de « complémentarité » dans son acception originelle, trop longtemps dévoyée.
Car les acteurs du régime complémentaire, au premier chef desquels les mutuelles, ont en réalité beaucoup à apporter au régime obligatoire sur les questions de prévention.
Ils se sont en effet, pour une part non négligeable d’entre eux, construits autour d’une logique affinitaire, qu’elle soit géographique, professionnelle, populationnelle ou encore confessionnelle. Fruits de cette approche singulière, les acteurs complémentaires ont acquis une connaissance particulièrement fine de leurs adhérents (ou assurés pour les acteurs lucratifs), avec qui ils ont tissé des liens de proximité et au quotidien.
Le mouvement mutualiste est, au-delà, intrinsèquement composé de ses adhérents, qui en assurent sa gouvernance, comme ce peut être le cas dans une autre forme des institutions de prévoyance, gérées paritairement par les partenaires sociaux. Ceux-là même qui assurent la gestion des branches professionnelles auxquelles se rattachent lesdites institutions.
En ce sens, les organismes complémentaires sont une richesse pour notre système de santé et de protection sociale, alors même qu’ils accompagnent nos concitoyens tout au long de leur vie, de leur naissance jusqu’à leur décès.
Dans cette nouvelle stratégie préventive, l’assurance maladie obligatoire ne saurait avoir une approche populationnelle aussi fine que peuvent l’avoir les complémentaires santé, et cela ne doit en réalité pas être son rôle. Il est donc temps d’envisager la construction de nouveaux partenariats et d’engagements mutuels entre ces acteurs, obligatoire d’une part, et complémentaires de l’autre, pour mener des actions de prévention générales tout autant que ciblées, à tous les moments de la vie, et auprès de chacun d’entre nous.
Ces nouveaux partenariats doivent bouleverser le pilotage actuel du système. Alors que les organismes complémentaires peuvent être parfois considérés à défaut comme des variables d’ajustement du régime obligatoire, ils doivent désormais être directement inclus dans le pilotage et la construction des politiques publiques.
Pas dans une volonté de s’imposer au système, mais d’apporter une contribution éclairante, complémentaire à celles des autres parties prenantes, qu’ils soient l’assurance maladie obligatoire, les professionnels de santé, les élus locaux et nationaux, etc.
Les capacités d’innovation et de mise en œuvre opérationnelle des organismes complémentaires seront alors directement au service de ces politiques publiques, qu’ils auront participé à coconcevoir. Des politiques qui fixeront des priorités clairement établies en tenant compte des données, informations et projections que chacun apportera aux autres.
Ce sont des débats et de la pluralité des points de vue que doivent se nourrir nos politiques publiques, jamais d’une vision unique.
En réalité, les organismes complémentaires n’ont pas attendu une révolution systémique pour poursuivre les objectifs des politiques de santé publique. Ils l’ont fait, en les anticipant parfois, voire en les inspirant quelques fois. Mais ils l’ont fait sans que cela soit le fruit d’une démarche partagée, qui les engage avec le régime obligatoire autour d’objectifs de santé publique communs, monitorés, suivis et envisagés dans le temps long.
C’est ici l’enjeu central d’un nouveau partenariat régime obligatoire-régime complémentaire au service de la santé de nos concitoyens.
Une telle approche rendra par ailleurs indispensable de revisiter nos logiques de pilotage. La prévention, enjeu du long terme, ne passera pas l’épreuve du stricte exercice budgétaire annuel que nous connaissons. D’autres indicateurs devront être coconstruits et mesurés, notamment sur l’ensemble des externalités positives produites par les actions préventives menées par tous.
Cette nouvelle méthode de calcul doit impliquer une révision de la structure des comptes de la sécurité sociale, mais également de ceux des organismes complémentaires, y compris dans les règles de solvabilité qui doivent dépasser la seule conception financière. L’utilité sociale, environnementale et sanitaire doivent faire partie d’un nouveau système de pensée.
C’est donc une transformation en profondeur qu’il faut opérer. Confiance, contractualisation, action conjointe en seront les maîtres-mots.
En somme, il s’agit ici de repenser notre système de santé et de protection sociale, dans son ensemble, en inversant nos priorités : la prévention, avant le soin. Le tout, en faisant le pari que la réussite et la résilience de cette révolution seront celles de notre richesse collective, issue de notre diversité et d’une saine complexité.