Par le Dr Dominique Debray
Président du Comité Technique « Services de Chirurgie et de Médecine Esthétique » du Comité Européen de Normalisation (CEN)
Les interventions esthétiques, qu’elles soient chirurgicales (liftings, implants mammaires…) ou médicales (produits de comblement dermique, botox, laser…) connaissent un essor considérable. En France, chaque année, près de 200 000 injections d’acide hyaluronique sont pratiquées et les demandes sont en constante augmentation. L’injection d’acide hyaluronique, de botox ou le laser ne sont pas des actes anodins. Ils doivent être exercés par des médecins, comme le prévoit la Loi.
Or, à l’heure où le recours à la médecine esthétique fait toujours plus d’adeptes, notamment chez les jeunes, très influencés par les stéréotypes véhiculés par les réseaux sociaux, on constate une augmentation inquiétante d’affaires impliquant des officines et des praticiens clandestins. Des cliniques clandestines de « médecine esthétique », de faux médecins, toutes sortes de « praticiens » et injecteurs autoproclamés exercent, en effet, illégalement la médecine.
Ils sévissent sur Internet et n’hésitent pas à proposer des actes invasifs à prix cassés à un public qui n’a pas conscience des risques encourus. Ces interventions clandestines comportent pourtant des risques importants pour la santé de ceux qui passent par ce marché parallèle. Non réalisées par des professionnels habilités qui connaissent les conditions d’utilisation des produits et la prise en charge des effets secondaires, ces actes peuvent avoir des conséquences dramatiques pouvant conduire jusqu’à la mort.
Au regard des risques et des complications possibles au cours de ces interventions, le patient doit être en mesure de fournir un consentement libre après avoir été informé loyalement. Hors d’un acte pratiqué par un médecin, ce consentement est absent. Les victimes – pour la plupart jeunes et souvent vulnérables – tiennent pour acquise l’existence d’une réglementation qui les protègent. Lorsqu’elles se présentent dans des cabinets médicaux ou aux urgences avec des complications, il est difficile et souvent trop tard pour agir et réparer les dégâts, parfois irréversibles.
Un cadre légal existe, mais demeure inachevé, et les dérives se développent de façon exponentielle. Il est urgent d’achever le cadre réglementaire et de permettre au public de s’assurer que les lieux sont autorisés, que les praticiens sont qualifiés, que les produits sont sûrs, que les patients reçoivent des informations exactes et qu’une prompte prise en charge médicale est disponible en cas de problème. Par analogie, tout se passe aujourd’hui comme si le Code de la route posait le principe d’une limitation de vitesse selon la nature des routes, mais renvoyait à un décret inexistant pour la vitesse autorisée. Les forces de police ne pourraient pas sanctionner les chauffards !
Tel est exactement le cas pour les actes à visée esthétique : la Loi a donné aux agences régionales de santé les moyens humains et répressifs pour protéger efficacement la population mais, faute de précisions relevant d’un décret inexistant, elles peinent à exercer leur pouvoir. Certes, l’exercice illégal de la médecine relève de sanctions pénales, mais elles arrivent trop tard. D’autant que les victimes n’osent le plus souvent pas déposer plainte que ce soit par honte, ou par intimidations provenant de réseaux clandestins de mieux en mieux structurés.
Au-delà, les professionnels eux-mêmes doivent disposer de la formation, de l’expérience et des moyens adaptés aux actes qu’ils mettent en œuvre. La réglementation doit ainsi définir la formation et l’expérience exigées de chaque profession, préciser les modalités de déclaration et de publicité des praticiens et des lieux autorisés, et enfin fixer les normes techniques à mettre en œuvre. Ce cadre réglementaire est prévu par la loi, et conforme au droit commun. Les normes techniques qui ont été élaborées par les sociétés savantes au sein du Comité Européen de Normalisation, et approuvées par l’administration, existent.
Pour remplir sa mission de protection de populations souvent vulnérables, il ne reste à l’État qu’à publier un décret sur des bases déjà normées et connues, donnant à l’autorité administrative les moyens de faire cesser un braconnage, nuisible à la confiance du public et éminemment dangereux pour les plus vulnérables.
Cette remise en ordre fut réalisée de manière volontariste par le NHS en Grande-Bretagne lorsque les pratiques illicites s’y développèrent, avant qu’elles ne se propagent désormais en France. Il est encore temps d’agir, afin que nos concitoyens qui recherchaient ainsi une amélioration de leur bien-être ne subissent une dégradation funeste de leur qualité de vie. Force doit rester à la Loi !