Tribune
Par
Jean-Paul Ségade,
Président d’honneur du CRAPS
&
Alexandre Drezet,
Directeur de l’innovation à l’Hôpital Foch
Lors de la passation de pouvoir entre l’ancien Premier Ministre – Gabriel Attal – et le nouveau – Michel Barnier -, ce dernier a mis l’accent sur la nécessité et l’exigence de vérité que se devait d’avoir le corps politique dans la définition et la construction de son action publique. Ce travail sur la « vérité » – qui s’apparente davantage à de la transparence – est de prime abord louable, mais il interroge.
D’abord de quelle vérité s’agit-il ? La vérité comptable, celle de la définition et de l’expression des besoins, celle relative à l’adéquation entre le besoin et l’offre, celle de l’évaluation des actes ?… À l’heure où les fake news sont fréquentes – notamment sur les réseaux sociaux où se déchaînent les idéologies passionnelles et les invectives – et ou l’IA générative peut donner sa « vérité », cet objectif ne peut être que pluriel, chacun pouvant revendiquer sa vérité – ou sa part de vérité -. La science, qu’elle soit médicale, économique, financière, juridique comporte-t-elle à elle seule la vérité ? Cet été, le CRAPS a voulu objectiver le débat sur certaines questions sans revendiquer la définition d’une vérité. Que soient ici remerciés ceux qui se sont engagés dans cette série – la vérité, qui ne peut être seule et unique, se doit d’être quasi-incontestable et largement partagée mais aussi objectivée. Ainsi comprenons nous qu’après avoir évoqué la nécessité de vérité, le Premier Ministre ajoute le mot d’écoute et d’humilité. L’histoire a démontré qu’il fallait se méfier de la Pravda et que la recherche de la vérité n’a de sens que si elle est couplée par l’écoute et le respect de la vérité des autres.
Le CRAPS en publiant l’édition « Les idées des acteurs » a voulu éclairer la recherche de la vérité par une approche plurielle en donnant la parole aux acteurs de terrain. En ce sens, vérité et concertation ont été les vecteurs d’une même démarche allant jusqu’à associer des vérités différentes pour nourrir un débat indispensable à la construction de la Protection sociale.
Vérité et concertation, si en plus la participation est associée, sont les meilleures garanties d’une plus grande confiance. Le corps politique n’est aujourd’hui pas au rendez-vous. La confiance des citoyens envers les institutions publiques est en berne. Selon le dernier baromètre du CEVIPOF, 70% des français ne font pas confiance au corps politique.
Dès lors, comment tendre vers une vérité plus concertée et plus partagée pour clore le débat ?
Prenons deux exemples :
– Le débat sur les déserts médicaux comme sur la proximité des soins oublie souvent la référence à la qualité des prises en charges. Les français métropolitains idéalisent de se trouver à proximité immédiate d’une maternité. Toutefois le maintien des maternités ayant une trop faible activité et / ou disposant de compétences médicales insuffisantes engendre une moindre qualité relative – voire dans les cas extrêmes, une perte de chance – pour les patientes qui y sont prises en charge… Comment donc concilier proximité et qualité ?
– Le débat sur le manque de moyens rappelé de manière récurrente dans les médias cache aussi une réalité concernant la pertinence des actes et le maintien de structures ou d’activités dont le progrès médical et technologique implique inexorablement leur reconversion.
Il ne suffit pas d’être en présence de la vérité pour que celle-ci soit intelligible, acceptable puis largement acceptée et enfin réaliste. Le théologien et philosophe Thomas d’Aquin ne rappelait-il pas que la vérité est l’adéquation entre la réalité et l’intelligence ? (De Veritate)
La démarche de vérité suppose que l’on puisse débattre et permettre de dégager des priorités comme des impératifs de qualité et d’équilibre au niveau national en laissant l’opérabilité de ces mesures à des échelles plus restreintes et davantage opérantes.
L’exemple du Danemark est édifiant : le pays a décentralisé sa planification sanitaire en conciliant des règles nationales définies par les autorités scientifiques, politiques, administratives et déléguant aux autorités locales leur mise en application.
En somme, le devoir de vérité s’impose mais il ne passera que par un effort substantiel de pédagogie, d’acculturation et d’argumentation pour toujours mieux convaincre mais surtout faire participer. Et si on tentait la décentralisation en laissant au niveau national la définition des règles et des garanties dont les citoyens doivent disposer par l’élaboration des cahiers des charges et en faisant confiance aux acteurs de terrain pour proposer des solutions ?